La fête battait son plein, un tourbillon de rires, de musiques rythmées et de corps en mouvement. Tyna avait disparu depuis un moment, emmenée par un grand blond aux épaules larges qui lui souriait comme s'il venait de gagner le gros lot. Maria, à ma surprise joyeuse, était en pleine conversation animée avec une autre louve, leurs têtes proches, leurs sourires timides mais sincères. Kaicee et moi, nous étions restées un peu en retrait, observant la scène, un verre de boisson fruitée à la main.
« Alors ? » me demanda Kaicee en penchant la tête vers moi. « Tu as repéré ton style ? »
Je souris. Je connaissais ma préférence par cœur, un idéal gravé dans mon esprit. « Grand, cheveux sombres, yeux noisette… » Je parcourus la foule du regard, passant en revue les visages illuminés par les flammes. « Mais pour l'instant, je ne vois personne qui corresponde. Et toi, Kaicee ? C'est quoi ton style à toi ? »
Elle rougit légèrement et, sans un mot, fit un discret signe de tête en direction d'un garçon debout près de la table des rafraîchissements. Il était plus mince que la plupart des mâles présents, avec une allure studieuse, des lunettes à monture fine et des cheveux châtains soigneusement coiffés. Il avait l'air un peu perdu, mais observait la fête avec une curiosité intelligente. Un Bêta, comme elle. Il ne cherchait pas à dominer l'espace, mais il le comprenait.
« Il a l'air sympa, » chuchotai-je. « Vas-y. Va lui parler. »
Kaicee hésita, mordillant sa lèvre. « Tu crois ? Et si je dis n'importe quoi ? »
« Tu ne dis jamais n'importe quoi. Vas-y. » Je lui donnai une petite poussée encourageante.
Elle prit une profonde inspiration, ajusta sa robe et se dirigea vers lui d'un pas déterminé. Je la regardai s'éloigner, un sourire aux lèvres, heureuse pour elle.
Puis je repris mon observation de la foule, mon verre à la main. Mon regard errait sans vraiment se fixer, jusqu'à ce qu'il s'arrête, comme aimanté, sur un point particulier.
Et je le vis.
Assis sur un tronc d'arbre renversé, un verre à la main, il parlait à deux autres loups. Mais contrairement aux autres, il ne gesticulait pas bruyamment. Il écoutait, parlait avec une calme assurance, et les deux autres étaient captivés, suspendus à ses lèvres. Il était grand, largement épaules, avec une musculature qui se devinait sous sa chemise noire entrouverte. Ses cheveux étaient d'un brun presque noir, coupés court sur les côtés mais plus longs sur le dessus, et ses yeux… même à cette distance, je devinais leur couleur noisette intense, striés d'or sous la lueur des lanternes.
Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, puis se mit à battre à un rythme effréné. Un afflux de chaleur me monta aux joues. Putain. Le mot résonna dans ma tête, parfait et inadéquat à la fois. C'était lui. Exactement lui. L'image que je portais en moi, incarnée en chair et en os, et encore plus beau, plus charismatique que dans mes fantasmes.
Comme s'il avait senti le poids de mon regard, il tourna soudain la tête. Ses yeux, effectivement noisette et perçants, traversèrent la foule et se verrouillèrent sur les miens.
Le monde autour de nous sembla s'estomper, le bruit de la fête devenir un lointain bourdonnement. Il ne sourit pas. Il ne cligna même pas des yeux. Il me fixa simplement, avec une intensité qui me coupa le souffle. C'était un regard qui voyait tout, qui comprenait tout, qui promettait tout. Mon sang ne fit qu'un tour, et je sentis un frisson de désir pur, non pollué par la peur ou la honte, me parcourir l'échine. Ngg, Putain, je me redis, incapable de former une pensée plus cohérente.
J'étais hypnotisée, incapable de détourner les yeux, perdue dans ce moment de connexion brute et électrique.
Quand d'un coup, je fus tirée de ma transe.
« Excuse-moi, ça fait un moment que je te vois, et je n'ai pas pu m'empêcher… »
Je me tournai, un peu sonnée, pour faire face à celui qui venait de briser le sortilège. Un homme se tenait là, souriant. Il était grand lui aussi, mais plus svelte, avec des cheveux châtain clair qui bouclaient légèrement et des yeux d'un vert profond et malicieux.
« … de venir te dire bonjour, » termina-t-il. Son sourire était charmant, désarmant. « J'espère ne pas être trop intrusif. »
Je clignai des yeux, essayant de retrouver mes esprits, de ramener mon cœur dans ma poitrine. Je jetai un regard rapide vers le tronc. L'Inconnu aux yeux noisette me regardait toujours, mais maintenant, une légère lueur amusée semblait briller dans son regard. Puis il détourna les yeux pour écouter à nouveau son compagnon, comme si de rien n'était.
Je reportai mon attention sur celui qui se tenait devant moi. Eliot.
« Euh… non, pas du tout, » réussis-je à dire, espérant que ma voix ne tremblait pas. « Bonjour. »
« Je m'appelle Eliot, » dit-il en tendant une main. Sa poigne était ferme et chaude. « De la Meute des Rochers Blancs. Et toi, tu es… ? »
« Jenna, » répondis-je, retrouvant peu à peu mes moyens. « Meute Grise Originelle. »
« Enchanté, Jenna de la Meute Grise. » Il avait une façon de parler enjouée et directe. « Alors, première saison ? »
Je hochai la tête. « Oui. Toi aussi ? »
« Non, ma deuxième, » avoua-t-il avec un petit rire. « La première fois, j'étais un peu perdu. Cette fois, je profite juste du spectacle. » Son regard vert parcourut la fête avant de revenir sur moi, appréciateur. « Et c'est un spectacle plutôt agréable, ce soir. »
Je rougis malgré moi. Il était charmant, c'était indéniable. Mais mon esprit, et surtout mon corps, étaient encore happés par le regard intense de l'Inconnu au tronc.
« Tu es venue avec des amies ? » demanda Eliot, suivant mon regard qui avait inconsciemment erré à nouveau vers l'autre côté de la place.
« Oui, trois autres filles de ma meute, » répondis-je en me forçant à me concentrer sur lui. Kaicee parlait toujours au garçon aux lunettes, et ils semblaient bien s'entendre. « Elles ont l'air de s'éclater. »
« C'est le but, non ? » Son sourire était engageant. « Écoute, je ne veux pas te monopoliser, mais si tu n'as pas de plan pour la suite de la soirée, je serais ravi de te payer un autre verre. Ou de danser. Ou les deux. »
Il était direct. Et gentil. Et terriblement attirant, d'une manière différente, plus légère. Mais il n'était pas… lui.
Je pris une seconde pour respirer. Le passé était derrière moi. Tyson n'était pas là. J'étais ici pour vivre, pour découvrir. Je devais arrêter de me laisser hanter.
Je rendis son sourire à Eliot, plus authentique cette fois. « Un verre, ça me va. »
Son visage s'illumina. « Parfait. Suis-moi, je connais le meilleur endroit pour le punch. »
Je le suivis, jetant un dernier regard par-dessus mon épaule. L'Inconnu aux yeux noisette avait disparu. Une pointe de déception me piqua, mais elle fut vite chassée par la perspective d'une soirée avec quelqu'un qui, pour l'instant, semblait juste vouloir passer un bon moment. La nuit était jeune. Et pleine de surprises.