Les mots étaient sortis de ma bouche avant que mon cerveau n'ait eu le temps de les intercepter. Une pulsion pure, née du désir confus, de la frustration et de son audace déconcertante.
« Et moi ? Si j'ai un besoin… tu es disponible ? »
Le silence qui suivit fut lourd, écrasant. Je perçus le léger sursaut de Kaicee à côté de moi, mais je n'osais pas la regarder. Je n'osais regarder que Jared. Son sourire amusé s'était effacé, remplacé par une expression de stupefaction pure, puis presque instantanément, par une lueur intense, prédaterice, qui s'alluma dans ses yeux noisette. Un sourire bien différent, bien plus dangereux, étira lentement ses lèvres.
La vague de honte fut immédiate et brûlante. Qu'est-ce que j'ai fait ?
« Oublie ce que j'ai dit, » balbutiai-je, me levant si brusquement que ma chaise gratta le sol avec un bruit strident.
Sans attendre de réponse, je tournai les talons et je courus. Je courus sans regarder derrière moi, le sang battant à mes tempes, le cœur cognant contre mes côtes comme un oiseau affolé. Je m'enfermai dans la cabane, me jetant sur mon lit, enfouissant mon visage brûlant dans l'oreiller pour étouffer un cri de frustration contre moi-même.
J'évitai Jared pendant une semaine entière. Je me levais tôt, je rentrais tard, je ne mangeais qu'aux heures les plus calmes, je traînais avec Eliot ou je restais cloîtrée avec les filles. Je fuyais son regard, son sourire, cette présence magnétique qui semblait me traquer même dans mes rêves.
Puis vint l'annonce de la première soirée d'accouplement officielle. Un système simple : ceux qui voulaient passer la nuit ensemble s'inscrivaient sur une liste et se voyaient attribuer une cabane privée pour la nuit. L'air du camp devint aussitôt électrique, chargé d'anticipation et de non-dits.
Poussée par une curiosité malsaine, je me rendis à l'endroit où la liste était affichée. Mon doigt tremblant parcourut les noms.
Tyna et Sven. Évidemment. Leo et Kaicee.Mon cœur se serra de bonheur pour elle. Puis mon regard s'arrêta,gelé sur place.
Jared et Jenna.
Le sang se retira de mon visage pour y revenir aussitôt en un flot brûlant. Non. Ce n'était pas possible. Il n'avait pas osé.
Je sentis un regard pesant sur moi. De l'autre côté de la place, Eliot me fixait, son expression indéchiffrable, mais empreinte d'une tristesse qui me transperça. Je détournai les yeux, incapable de affronter sa déception.
Puis la colère prit le dessus. Une colère froide et déterminée.
JARED !
Je parcourus le camp à grandes enjambées, ignorant les regards, mon unique objectif : le trouver et lui arracher les yeux. La salle d'entraînement. S'il était quelque part, ce serait là.
Je poussai la porte avec une violence qui fit sursauter deux loups en plein effort. Et je le vis. Seul, torse nu, en train d'enrouler des bandes autour de ses poignets.
« JARED ! » hurlai-je, ma voix résonnant dans le local vide.
Il leva les yeux, calmement, comme s'il m'attendait.
« QU'EST-CE QUE TU AS FAIT ? »
Il feignit l'incompréhension, un sourcil levé. « De quoi parles-tu, Jenna ? »
« La liste ! Tu m'as mise avec toi ! Pour… pour qu'on couche ensemble ?! » Les mots étaient grotesques, vulgaires, mais c'était la réalité.
Un sourire lent, arrogant, illumina son visage. « Ah, ça. » Il lâcha les bandes et s'approcha de moi, d'une démarche de félin. « J'ai beaucoup réfléchi à ta demande. Et comme je te l'ai dit… je suis disponible. Donc voilà. »
Je rougis de plus belle, prise à mon propre piège. « Je… il ne fallait pas en tenir compte. C'était stupide. »
Il était maintenant tout près de moi. Je pouvais sentir la chaleur qui irradiait de son corps, l'odeur propre de sueur et de savon. Son regard se fit intense, perçant.
« Écoute-moi, Jenna, » dit-il, sa voix devenue grave, presque un murmure rauque. « Depuis que je t'ai vue la première fois, je te trouve irrésistible. Tes yeux… ils m'envoûtent. » Sa main se leva, effleurant presque ma joue, et je frissonnai malgré moi. « Et j'ai une envie folle de les voir quand tu es en dessous de moi, en train de gémir. »
Le choc de ses paroles, la franchise obscène, l'image qu'elles évoquaient, me coupèrent le souffle. Un mélange de terreur et de désir pur me paralysa.
Avant que je puisse réagir, il se pencha et captura mes lèvres.
Ce ne fut pas un baiser doux ou explorateur. Ce fut une prise de possession. Sa bouche était ferme, experte, exigeante. Un goût de menthe sauvage et de danger. Un gémissement que je ne reconnus pas comme le mien s'échappa de ma gorge.
Puis la panique revint, plus forte que tout. Je me repoussai violemment, le frappant au torse. Il lâcha prise, surprise peinte sur son visage.
Sans réfléchir, je pivotai et je courus. Je courus comme si ma vie en dépendait, hors de la salle, dans l'allée, le cœur battant à tout rompre, ses lèvres encore brûlantes sur les miennes.
Derrière moi, sa voix me poursuivit, teintée d'une amusement et d'une certitude qui me glacèrent le sang.
« Cours autant que tu veux, princesse ! Mais tu es à moi. »
Les mots résonnèrent dans le vide, une promesse et une sentence. Je savais, au plus profond de mon être, qu'il disait vrai. La chasse était ouverte. Et je venais de devenir sa proie désignée.