La course jusqu'à chez moi fut une bouillie de larmes salées et de branches qui me fouettaient le visage. Je ne voyais plus rien, aveuglée par l'humiliation et la colère. Le sentier semblait s'étirer à l'infini, chaque pas m'éloignant de l'endroit où Tyson m'avait... touchée.
Ce mot, dans ma tête, était une souillure. Je pouvais encore sentir l'empreinte brutale de ses doigts sur ma peau, la chaleur humide de sa bouche sur mon cou, la pression écrasante de son corps contre le mien. Son odeur, un mélange de sueur, de musk dominant et de quelque chose de sauvage et de corrompu, semblait s'être incrustée dans mes narines, dans mes pores. Je frissonnai de dégoût, essayant de l'effacer en frottant mon visage contre mon épaule, mais en vain.
J'arrivai enfin à la maison, haletante, les joues inondées. La lumière et les voix provenant du salon me firent l'effet d'une gifle. Je ne pouvais affronter personne. Surtout pas ma mère, avec son ventre déjà rondi de l'enfant de son oppresseur. Surtout pas Garett, dont le regard protecteur me briserait le peu de fierté qui me restait.
Je me faufilai comme une voleuse, évitant les planches qui craquaient, et me ruai dans l'escalier. Ma chambre était un sanctuaire, le seul endroit qui était encore vraiment à moi. Je claquai la porte derrière moi et m'effondrai contre le bois, comme si je pouvais ainsi bloquer le monde extérieur et l'horreur qui venait de m'arriver.
Les sanglots me prirent alors, violents, silencieux, des spasmes qui me secouaient tout entière. Je me laissai glisser au sol, enfouissant mon visage dans mes mains pour étouffer les sons de ma détresse. Je pleurais sur l'injustice, sur la violation, sur la peur. Je pleurais parce que je m'étais sentie faible, parce que mon propre corps avait trahi ma volonté, répondant à son toucher expert et dégradant.
Je suis plus forte que ça. La pensée tournait en boucle dans ma tête, un mantra désespéré pour me raccrocher à qui j'étais. Fille d'Alpha. Louve Grise. Je n'étais pas une proie. Je n'étais pas une chose à prendre.
Mais les larmes continuaient de couler, brûlantes et amères. La honte était un poison qui coulait dans mes veines. Pourquoi n'avais-je pas riposté plus fort ? Pourquoi m'étais-je gelée, terrifiée, sous son emprise ? Et pire... pourquoi cette chaleur, cette tension montante que ses doigts avaient provoquée malgré moi ? Le dégoût que je me portais à moi-même était presque pire que celui que je ressentais pour lui.
Je ne pouvais en parler à personne. Pas à Kaicee. Comment avouer ça ? Comment dire que le sbire d'Aleksei m'avait coincée contre un arbre et m'avait doigtée jusqu'à me faire jouir malgré moi ? Les mots étaient trop laids, trop humiliants. Et si ça se savait... ça serait perçu comme une faiblesse. Une tache sur mon statut. Tyson nierait, dirait que j'avais consenti, que j'avais aimé ça. Et qui me croirait face à lui ?
Je restai blottie sur le sol jusqu'à ce que les larmes n'aient plus rien à donner, laissant place à un vide froid et résigné. Il me restait trois jours. Trois jours avant de partir pour le camp de mating. Trois jours à éviter Tyson, à me faire oublier, à me laver de son empreinte.
Le lendemain, une froide détermination avait remplacé les larmes. Je me levai, les yeux gonflés mais secs. Je refusais de me laisser abattre. Ce qui s'était passé était une attaque, une tentative de plus de me briser. Je ne lui donnerais pas cette satisfaction.
Je passai la journée à préparer mon sac pour le départ. Plier des vêtements chauds, rassembler des affaires de toilette, aiguiser mon couteau de chasse. Chaque geste était mécanique, une manière de reprendre le contrôle. J'évitais soigneusement les endroits où Tyson pouvait rôder. Je restais près de la maison, près de Garett ou de Kaicee, me créant une bulle de sécurité.
Heureusement, une pensée me réconfortait au milieu de ce cauchemar : Tyson ne serait pas au camp. Il avait dépassé l'âge depuis longtemps. La saison de mating était pour les loups en âge de se lier, pas pour les vieux prédateurs blasés comme lui. Là-bas, je serais loin de lui. Loin de son regard pervers, de ses mains sales, de son odeur qui me hantait.
Cette perspective était une bouffée d'oxygène. Là-bas, peut-être, je pourrais respirer. Peut-être pourrais-je retrouver un semblant de pouvoir sur mon propre corps, sur mes propres désirs. Ce ne serait pas lui qui m'apprendrait quoi que ce soit. Ce ne serait pas lui qui définirait qui j'étais.
En rangeant une dernière paire de chaussettes dans mon sac, je serrai les poings. La peur était toujours là, tapi en moi. Mais la colère, maintenant, était plus forte. Tyson avait commis une erreur. Il avait réveillé une haine froide et déterminée. Et une louve blessée était la plus dangereuse qui soit.
Je partais dans trois jours. Et je reviendrais différente. Plus forte. Et prête à régler ses comptes.