Ficool

Chapter 4 - Chapitre 4 : La Nouvelle Lune

Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'affrontement silencieux avec Tyson. Deux semaines à éviter son regard, à feindre l'indifférence lorsque sa présence écrasante flottait dans une pièce. L'atmosphère dans la meute était étrange, tendue, comme chargée d'une électricité statique avant l'orage. Aleksei consolidait son pouvoir, distribuant des ordres et des territoires de chasse à ses hommes, évinçant lentement les anciens loyalistes de mon père.

Un matin, je trouvai ma mère seule dans le grand salon, attablée devant une tasse de café dont l'arôme riche emplissait la pièce. Elle fixait le feu dans l'âtre, les traits tirés, une main posée sur son ventre. Elle avait été pâle et fatiguée ces derniers temps, mais je l'avais attribué au stress du pouvoir.

« Maman ? » dis-je en m'approchant.

Elle sursauta légèrement, comme tirée d'un rêve lointain. Elle me sourit, mais ce sourire n'atteignit pas ses yeux, qui paraissaient cernés.

« Jenna. Bonjour, ma chérie. »

Elle prit une gorgée de son café, et presque instantanément, son visage se décomposa. Elle porta une main à sa bouche, se leva si brusquement que sa chaise gratta le sol avec un bruit strident, et se précipita hors de la pièce. J'entendis le bruit de la porte de la salle de bain qui claquait, suivi de vomissements violents.

Mon cœur se serra. « Maman ! » criai-je en courant après elle. Je la trouvais penchée sur les toilettes, le corps secoué de spasmes. « Ça va ? »

Quand elle se retourna enfin, son visage était blanc comme un linge, mais ses yeux brillaient d'une lueur étrange. À ma grande surprise, un sourire tremblant mais authentique étira ses lèvres. Et elle… rougit.

« Oui, ma chérie, ça va. Très bien, même. » Sa voix était faible mais joyeuse. Elle se releva, s'appuyant au lavabo pour se stabiliser. « Va me chercher Ashley, s'il te plaît. »

Ashley. Notre guérisseuse. Une vieille louve aux cheveux argentés qui connaissait les secrets des herbes et du corps bien mieux que quiconque. Une boule d'anxiété se forma dans mon estomac. Pourquoi avait-elle besoin de la guérisseuse ?

Sans poser de questions, je hochai la tête et m'exécutai, parcourant la clairière d'un pas pressé jusqu'à la petite maison d'Ashley, nichée près de la lisière des bois.

Quelques minutes plus tard, je revenais avec la guérisseuse, son panier d'herbes aromatiques à la main. Ma mère nous attendait à l'entrée de sa chambre. Elle échangea un regard complice avec Ashley, puis elles disparurent à l'intérieur, me laissant dans le couloir.

« Attends ici, Jenna, » avait dit ma mère d'une voix douce mais ferme avant de refermer la porte.

Je restai plantée là, perplexe et inquiète. Des murmures étouffés filtraient à travers le bois. J'entendais la voix calme et posée d'Ashley, puis le rire léger, presque nerveux, de ma mère. Qu'est-ce qui se passait ? Était-elle plus malade qu'elle ne le laissait paraître ?

Le temps s'étira, interminable. Enfin, la porte s'ouvrit. Ashley sortit la première, un large sourire sur son visage ridé. Ma mère la suivit, les joues rosies, les yeux brillants d'une lueur que je ne leur avais pas vue depuis la mort de papa. Elle rayonnait.

« Maman ? » demandai-je, perdue.

Elle s'avança et me prit les mains dans les siennes. Elles étaient chaudes.

« Jenna… ma petite louve, » commença-t-elle, sa voix empreinte d'une émotion qui la faisait trembler. « Ashley vient de me confirmer une nouvelle. Une merveilleuse nouvelle. »

Elle marqua une pause, cherchant son souffle. « Je suis enceinte. »

Le monde sembla s'arrêter de tourner pendant une seconde. Puis une vague de choc, de joie, de confusion et de peur me submergea. Enceinte. Un enfant. L'enfant d'Aleksei.

Je la regardai, son visage illuminé par un bonheur pur et simple. Malgré tout le dégoût que m'inspirait le père, malgré la trahison que cela représentait pour la mémoire de mon père, je ne pus m'empêcher de ressentir un bonheur fragile pour elle. Elle avait été si triste, si brisée. Et la vie, d'une manière terriblement ironique, lui offrait une seconde chance.

« Maman… » murmurai-je, les larmes me montant aux yeux. Je l'étreignis fort. « Je suis contente pour toi. Vraiment. »

Deux semaines supplémentaires passèrent. La nouvelle se répandit dans la meute, accueillie avec un mélange de joie et de circonspection. Aleksei, lui, arborait une fierté triomphale, comme si cet enfant scellait définitivement son emprise sur la Meute Grise.

Un soir, alors que je rentrais d'une longue course en forêt pour me vider l'esprit, j'approchai de la maison et entendis des voix provenant de la véranda. Celle, grave et autoritaire, d'Aleksei. Et celle, plus douce mais ferme, de ma mère.

Je m'immobilisais dans l'ombre, instinct de louve me poussant à me faire discrète.

« … elle doit y aller, Elara, » disait Aleksei. « La saison de mating approche. C'est la tradition. »

« Elle n'a que vingt ans, Aleksei, » répondit ma mère, une pointe d'anxiété dans la voix. « Son anniversaire n'est qu'à la fin de la saison. Elle est encore si jeune. »

La saison de mating. Mon sang se glaça. Je connaissais ce rite, bien sûr. Chaque année, entre octobre et décembre, les loups-garous en âge de se reproduire étaient envoyés dans un lieu neutre, une vaste étendue sauvage à la lisière de tous les territoires connus. Là, libérés des contraintes de la meute, guidés par les pulsions primaires de la Lune, les couples se formaient. C'était un tourbillon de sensualité, d'instincts débridés et d'alliances potentielles. À leur retour, les demandes en mariage étaient faites, scellant souvent des unions durables. Certains, cependant, faisaient plusieurs saisons sans jamais trouver de partenaire fixe, devenant des solitaires respectés ou craints.

« L'âge n'a rien à voir, » rétorqua Aleksei, impatient. « Elle est de sang d'Alpha. Sa place est là-bas. Elle doit affirmer sa nature, trouver un mâle digne de sa lignée. Ou du moins, » ajouta-t-il avec une nuance perfide que seule je pouvais percevoir, « prendre l'expérience qu'elle mérite. La forcer à rester ici, c'est la protéger de manière excessive. Elle en sortirait affaiblie aux yeux de tous. »

Je compris son jeu. Il voulait m'éloigner. Me jeter dans l'arène, espérant peut-être que je me discrédite, que je me perde, ou pire, que je tombe sous la coupe d'un mâle qui lui serait redevable. Ou peut-être voulait-il simplement me sortir de son chemin, moi qui représentais le dernier vestige gênant de l'ancien ordre.

Ils s'interrompirent net en me voyant approcher, sortant de l'ombre. Leurs expressions se figèrent.

Je m'avançai, le visage neutre, masquant le tumulte d'émotions qui faisait rage en moi. Je les regardai tour à tour, ma mère inquiète, Aleksei calculateur.

« J'ai entendu, » dis-je simplement.

Ma mère ouvrit la bouche pour protester, mais je la devançai.

« Je suis d'accord pour y aller. »

Le silence qui suivit fut lourd de surprise. Aleksei afficha un sourcil légèrement haussé, intrigue. Ma mère me dévisagea, incrédule.

« Jenna, tu n'es pas obligée… » commença-t-elle.

« Si, » coupai-je. « Aleksei a raison. C'est la tradition. Et je suis la fille de l'Alpha. » Je posai délibérément mes yeux sur ceux d'Aleksei, défiant l'allusion à mon père. « Je n'ai pas peur. »

Je mentais. J'avais une peur bleue de ce lieu, de cette promiscuité forcée, de cette pression de devoir trouver un partenaire sous le regard de tous. Mais rester ici, sous la coupe d'Aleksei et de son sbire Tyson, était bien pire. C'était une opportunité de partir. De respirer. Et peut-être, qui sait, d'y trouver une force, une alliance qui me permettrait de me battre.

Aleksei eut un petit rictus satisfait. « Voilà une décision digne de ton rang. »

Ma mère me regarda, et dans ses yeux, je vis de la tristesse, mais aussi une lueur de fierté. Elle acquiesça lentement.

Ainsi, il fut décidé que je partirais pour la saison de mating. Je ignorais encore que cette décision allait bien au-delà de simples jeux de pouvoir. Elle allait réveiller en moi une partie sauvage que je avais toujours cherché à contrôler, et me confronter à des désirs que je ne savais même pas exister.

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