La colère en moi était un feu brut, une fournaise qui consumait toute raison. Chaque parcelle de mon être, humaine et louve, hurlait sous le regard de Tyson. Ce n'était pas juste un regard de désir, c'était une violation. Une promesse silencieuse et obscène qui me réduisait à l'état de proie, de territoire à conquérir. Mes doigts se crispèrent, mes ongles s'allongèrent imperceptiblement, griffes prêtes à déchirer cette arrogance froide.
« Qu'est-ce que tu me veux ? » Ma voix n'était plus tout à fait humaine. Un grondement sourd l'habitait, un écho de la bête qui se tordait de rage sous ma peau.
Tyson ne sourcilla pas. Son sourire vicieux s'élargit même légèrement, comme si ma réaction l'amusait au plus haut point. Il prit son temps, ses yeux glacés parcourant à nouveau mon visage altéré par la fureur, savourant l'effet qu'il produisait.
« Jenna. »
Le son de mon nom, prononcé d'une voix familière et ferme, fendit la tension comme une lame. Mon attention fut arrachée à Tyson malgré moi. Je tournai la tête, le souffle court.
Kaicee.
Elle se tenait à quelques pas, une silhouette menue mais farouche dans la pénombre. Ses yeux noisette, toujours si vifs et intelligents, allaient de mon visage congestionné à la silhouette imposante de Tyson. Elle n'eut pas besoin d'explication. Elle comprit tout, instantanément. L'air se chargea de son inquiétude, une odeur douce et épicée de protectrice en alerte.
Kaicee n'était pas une Omega. Loin de là. Mon père l'avait choisie pour moi quand nous n'étions que des louveteaux. Il avait vu en elle une force tranquille, une loyauté à toute épreuve et un esprit stratégique aiguisé. Elle avait été élevée à mes côtés, suivant le même entraînement, les mêmes enseignements. Elle était ma Bêta personnelle, mon ombre, mon bras droit. Et ma meilleure amie. La seule à qui je pouvais tout dire, la seule qui comprenait la malédiction qui pesait sur nos épaules depuis la mort de papa.
« Jenna, » répéta-t-elle, sa voix plus douce cette fois, mais teintée d'une urgence non dissimulée. Son regard croisa le mien, et un message silencieux passa entre nous : Ne fais pas ça. Pas ici. Pas avec lui.
Puis son attention retourna vers Tyson, et son expression se durcit. Elle le toisa sans peur, bien qu'elle fût bien plus petite que lui. Elle le connaissait. Nous connaissions ses « exploits ». Les rumeurs qui le suivaient étaient plus parlantes que n'importe quel avertissement.
Tyson n'avait pas de code, pas d'honneur. Il se moquait des rangs, des traditions, des interdits. La dernière nouvelle en date le disait fricotant avec Laura, une Omega de la Meute Lune de Sang. Les Omégas… leur nature était plus sensible, plus émotive, presque fragile. Pour leur protection, il était interdit de les fréquenter sans l'intention claire d'un mating, d'une union sacrée. Mais Tyson ? Il s'en fichait. Omega, Bêta, Alpha… tout lui était bon. Sa sexualité était une force dévastatrice, un appétit insatiable dont il usait comme une arme pour asseoir un pouvoir malsain et humilier ceux qui croisaient son chemin.
Kaicee ne resta pas là à attendre qu'il daigne répondre à ma question. Elle fit un pas en avant, se plaçant presque entre Tyson et moi, brisant la ligne de mire empoisonnée qu'il avait établie.
« Viens, Jenna, » dit-elle, en me saisissant fermement le bras. Sa prise était étonnamment forte. « Ta mère veut te parler. À l'intérieur. Tout de suite. »
C'était un mensonge. Un prétexte grossier. Mais c'était une porte de sortie. Une raison de nous extraire de ce piège sans engager un combat que je ne pourrais peut-être pas gagner.
Je résistai un instant, ma rage exigeant satisfaction, exigeant de lui arracher ce sourire carnassier. Mais le bon sens, et la pression insistante de la main de Kaicee sur mon bras, l'emportèrent. Je lâchai un souffle brûlant, détournant enfin mon regard de Tyson avec un mépris qui espérait être aussi cinglant qu'une gifle.
Kaicee me tira en arrière, m'éloignant de la maison, de la lumière, de cette présence toxique. Je me laissai faire, mes muscles tremblant d'adrénaline contenue.
Tyson ne bougea pas. Il ne dit rien. Mais je sentais son regard nous suivre alors que nous nous enfoncions dans l'obscurité entre les maisons. C'était comme une marque brûlante entre mes omoplates, une promesse non tenue qui pesait plus lourd qu'une menace directe.
Quand nous fûmes à une distance suffisante, cachées par l'ombre d'un entrepôt de fourrage, Kaicee me lâcha.
« Par la Lune, Jenna, qu'est-ce que tu pensais faire ? » s'exclama-t-elle à voix basse, ses yeux brillant dans l'obscurité. « L'affronter ? Lui, ? Tu as vu la taille du type ? »
« Il m'a regardée comme… comme de la viande, Kaicee, » grondai-je, les poings toujours serrés. « Comme si j'étais déjà à lui. Je ne peux pas supporter ça. »
« Je sais, » soupira-t-elle, passant une main dans ses cheveux courts. « Tout le monde sait comment il est. C'est un prédateur. Mais il est fort, et il est sous la protection d'Aleksei. L'affronter maintenant, c'est comme jeter de l'huile sur le feu. Tu joues exactement le jeu qu'ils veulent. Ils veulent te pousser à bout pour avoir une raison de te museler. »
Sa logique était implacable. C'était pour ça que mon père l'avait choisie. Elle voyait les pièces sur l'échiquier quand je ne voyais que l'ennemi à abattre.
« Il faut l'éviter au maximum, » insista-t-elle, sa voix redevenant calme et stratégique. « Ne lui donne aucune occasion. Ne le regarde même pas. Il se nourrit de la réaction qu'il provoque. »
Je hochai la tête, sentant la rage se muer en une frustration froide et déterminée. Kaicee avait raison. Se battre contre Tyson maintenant serait une erreur. Mais ce n'était que partie remise.
« Il va falloir faire plus que l'éviter, Kaicee, » murmurai-je, regardant en direction de la grande maison où l'ombre de Tyson se découpait encore sur le perron. « Des loups comme lui, ça ne comprend qu'une chose. La force. »
Un silence s'installa entre nous, chargé de sous-entendus et de promesses non dites. Kaicee me regarda, et dans ses yeux, je vis qu'elle comprenait parfaitement. Elle n'avait pas dit qu'il ne fallait pas se battre. Elle avait dit qu'il fallait choisir son moment.
Et ce moment viendrait.
« Viens, » dit-elle finalement, glissant son bras sous le mien. « Allons à ta tanière. J'ai volé un peu de hydromel. On a bien mérité de oublier cette soirée. »
Je lui adressai un faible sourire, reconnaissante pour sa présence plus que jamais. Alors que nous nous éloignions, je ne pouvais m'empêcher de jeter un dernier regard par-dessus mon épaule.
La silhouette de Tyson avait disparu. Mais la sensation de son regard pervers, lui, persistait, comme une empreinte indélébile sur ma peau. La partie venait de commencer.