Le Guide ne disait rien.
Ses doigts se posèrent lentement sur une interface noire, holographique, qui prit forme dans l’air.
Des données défilèrent.
"Candidat 019 : perte sensorielle après 43 secondes.
Candidat 074 : seuil de douleur exceptionnel, mais mobilité compromise.
Candidat 112 : attaque anticipée, comportement adaptatif — potentiel en cours d’évaluation.
Candidat 089 : réaction suicidaire, désactivation mentale — rejet."
Il ferma une fenêtre. En ouvrit une autre.
Et son regard s’arrêta.
Une autre série d’arènes venait de s’activer.
Pas celles des déchets.
Celles des sélectionnés.
Ceux que la Tour avait tirés elle-même.
Ceux qu’elle voulait voir agir.
Pas juste survivre.
Le Guide se redressa légèrement sur son siège, presque curieux.
L’un d’eux venait d’apparaître.
Une silhouette maigre.
Des bras recouverts de bandages.
Un sourire étrange plaqué sur le visage.
Gravyor.
Ils sortirent de la brume en rampant.
Quatre gremlins.
Tordus, hargneux, excités.
Mais cette fois, ils ralentissaient.
Leur danse n’était plus circulaire.
Ils hésitaient.
Gravyor ne bougeait pas.
Il souriait.
Mais son regard…
Son regard perçait.
Un gremlin s’approcha par le flanc.
Pas trop vite, pas trop près.
Gravyor tourna lentement la tête vers lui.
Un simple mouvement.
Précis.
Lent.
Et le gremlin recula.
Il ne comprenait pas.
Ce n’était pas la force.
Ce n’était pas une posture de combat.
C’était autre chose.
Une présence.
Gravyor étendit les bras, paumes ouvertes.
— Approchez, petites choses… Approchez…
Il parlait sans hausser le ton.
Presque en chuchotant.
Mais chaque syllabe portait.
Comme si la pierre elle-même transmettait ses mots.
— Je n’ai pas besoin de vous frapper…
Il suffit que vous sachiez que je peux le faire.
Et que je le ferai avec amour.
Son sourire s’élargit.
Ses yeux restaient vides.
— Je suis ce que vous devenez… quand la peur vous consume.
Un gremlin poussa un cri rauque, presque involontaire.
Puis se jeta en arrière, comme brûlé.
Les autres hésitèrent.
Mais l’un d’eux, plus petit, plus nerveux, se lança.
Il bondit.
Gravyor n’esquiva pas.
Il leva simplement un doigt.
Et son regard, cette fois, s’ouvrit complètement.
Un éclat.
Une folie contenue.
Un vide sublime.
Le gremlin s’arrêta net à mi-course.
Son corps tremblait.
Il grogna.
Recula.
Il n’avait pas été touché.
Mais il n’osait plus approcher.
Gravyor baissa lentement la main.
— Vous tremblez.
Parfait.
Il ferma les yeux.
Et attendit qu’ils fassent le premier pas.
Les gremlins n’attaquèrent pas.
Pas tout de suite.
Ils tournaient.
Ils reniflaient.
Leurs griffes raclaient la pierre, mais sans coordination.
Comme si leur instinct de meute avait été fracturé.
L’un d’eux grimaça, ses yeux clignotant à toute vitesse, le souffle rauque.
Il tenait encore sa lame crantée…
…mais ses mains tremblaient.
Gravyor, lui, restait immobile.
Yeux clos.
Calme.
Presque religieux.
Le silence devenait pesant.
Puis soudain, un bruit sec dans sa tête.
Comme un coup de tonnerre mental, violent, pur, absolu.
Et la douleur.
Un pic dans le crâne.
Une migraine si intense qu’il crut que ses yeux allaient exploser.
Ses genoux fléchirent.
Un instant seulement.
[AURA DE L’EFFROI — Éveil confirmé]
Il serra les dents.
Son souffle s’accéléra.
Pas de peur.
De plaisir.
— Hhhhah… !
Oui… oui, je le sens…
Un filet de sang s’échappa de sa narine gauche.
Il se redressa.
Raide.
Plus droit qu’avant.
Ses yeux…
Étaient plus sombres.
Plus vides.
Plus vivants.
Il sourit.
— Merci… petite voix invisible.
— Tu comprends enfin ce que je suis.
Le Guide, le cœur battant la chamade après un tel spectacle, décida de jeter un œil aux autres participants… jusqu’à ce que son regard tombe sur l’arène où venait tout juste d’arriver Kael.
L’arène était silencieuse.
Pas un bruit.
Pas un souffle.
Juste un sol de pierre gris, fendu par endroits, et une lumière immobile, presque malade.
Kael s’y trouvait.
Droit.
Mais cette fois… un peu plus présent.
Il ne respirait plus comme une coquille vide.
Quelque chose, ou plutôt quelqu’un, avait allumé une étincelle dans son regard.
Un souvenir récent.
Une voix ferme, sincère.
Veda.
Pas assez pour tout réparer.
Mais suffisant pour empêcher le néant de tout engloutir.
Il baissa les yeux vers ses mains.
Et alors… un frisson télépathique s’insinua dans son esprit.
Le Guide.
— Un marché a été conclu. Ce que tu vas endurer pourrait te coûter cher.
Mais parfois, se faire empoisonner, paralyser, brûler… pourrait être plus bénéfique sur le long terme que tu ne pourrais le penser.
Je ne me répéterai pas.
Le message se coupa net.
Kael ferma les yeux.
Très bien.
Des raclements de griffes sur la roche.
Gremlins.
Cinq.
Lents. Vicieux.
Ils ne chargeaient pas.
Ils contournaient.
Le premier griffa son bras.
Le second mordit sa jambe.
Le troisième cracha une bile noire sur son flanc.
Kael ne bougea pas.
La brûlure monta.
Le poison.
La paralysie.
La nausée.
Il tomba à genoux.
Son cœur battait comme un tambour de guerre.
Sa gorge brûlait.
Ses bras ne répondaient plus.
Et alors, le choc.
Une vrille mentale.
Un pieu dans le crâne.
[Résistance Paralysie — Sous-Amélioration Avatar : confirmée]
Une voix familière s’imposa.
— Je vois que tu as compris ce que je t’ai dit.
Et l’Axe t’a déjà récompensé.
Magnifique.
Continue à encaisser… c’est très bien.
Kael haletait.
La douleur s’intensifiait.
Mais il tenait.
Et dans ce chaos…
Une autre voix.
Pas celle du Guide.
Pas une pensée.
Une présence.
Dense.
Ancienne.
Et elle le connaissait.
“Kael…”
Il se figea.
Ce n’est pas lui…
Ce n’est pas le Guide. Cette voix… elle sait qui je suis.
Mais comment ?
Et la voix reprit.
“Tout ce qui est a une faille.”
“Même la montagne a son point d’érosion.”
“Regarde assez longtemps la mort… et elle te montrera où frapper.”
Une brûlure insoutenable jaillit derrière ses yeux.
Comme si quelque chose voulait sortir de lui par ses orbites.
Il hurla.
Un cri guttural, primal, tordu par la douleur.
Ses doigts griffèrent sa peau.
Son corps convulsa.
Du sang coula de ses yeux.
Et les gremlins s’arrêtèrent.
L’un d’eux gémit.
Un autre recula, terrifié.
Ils ne comprenaient pas ce qu’ils voyaient.
Mais leur instinct leur criait :
Ne t’approche pas de ça.
Kael, à genoux, ouvrit lentement les yeux.
Rouges.
Irréels.
Vibrants.
Et dans sa vision…
Des lignes.
Des fissures.
Des points de rupture.
Il ne savait pas ce que c’était.
Il ne savait pas comment il les voyait.
Mais il les voyait.
Et son instinct…
savait quoi en faire.
Dans l’observatoire astral, le Guide ne bougeait plus.
Il fixait l’arène.
Ses interfaces s’étaient tues.
Sa voix aussi.
Un frisson discret remonta son échine.
“…Ce n’est pas une amélioration.”
“…Ce n’est pas un éveil.”
Il pencha la tête, lentement.
“…Une épiphanie…”
Puis, dans un souffle à peine audible :
“…Tour, que m’as-tu envoyé, cette fois… ?”
