Beaucoup de vidéastes, streamers, journalistes, philosophes ou chercheurs ont tenté d’expliquer l’apparition de cette chose,
de cette Tour,
simultanément sur l’ensemble du globe.
Mais une certitude absolue les relie tous :
elle n’est pas apparue.
On pourrait croire à une illusion d’optique,
à un mirage cosmique projeté par une faille dans la perception humaine.
Mais non.
La Tour existe.
Elle n’a pas été bâtie.
Elle n’a pas émergé.
Elle s’est déclarée,
brutalement,
dans le tissu de la réalité —
comme une variable fondamentale
réactivée dans l’équation de l’univers.
Un pilier noir.
Géométriquement parfait.
À base carrée.
Haut ? Peut-être.
Infini ? Probablement.
Mesurable ? Impossible.
Car elle plie l’espace autour d’elle,
rendant toute tentative de mesure…
obsolète.
Sa surface est lisse,
mais parcourue de lignes droites et telluriques,
semblables à des circuits de conduction dimensionnelle.
Pas de symboles.
Pas d’écriture.
Seulement des marques —
comme gravées par la gravité elle-même.
À sa base : une brume.
Épaisse.
Cendreuse.
Presque consciente.
Elle réagit aux pensées.
Ralentit le temps local.
Avale le son.
Brouille toute technologie.
Certains affirment que ceux qui la traversent…
perdent leurs souvenirs les plus fragiles.
Les théoriciens pensent qu’elle agit comme un ancrage d’Axe :
une singularité interdimensionnelle,
capable de résonner avec tous les plans simultanément.
Les mystiques, eux, disent que c’est une entité.
Une conscience noire.
Pas hostile.
Juste… indifférente.
D’autres phénomènes inexplicables suivirent.
Des animaux solitaires
se mirent à former des meutes.
Des migrations massives commencèrent sans cause apparente,
toutes orientées vers des zones isolées, désertes, oubliées.
Les animaux domestiques, eux,
semblaient en panique permanente.
Ils refusaient de sortir.
Ils fuyaient la lumière.
Ils se cachaient dans les recoins les plus sombres —
comme si quelque chose, dehors,
les appelait…
ou les observait.
La flore n’avait rien à envier à la faune
quant à l’apparition de phénomènes inexplicables.
Autour des zones touchées par la brume,
certaines plantes poussaient à une vitesse anormalement élevée.
Des fleurs changeaient de couleur en l’espace de quelques heures.
D’autres développaient des caractéristiques qui ne leur appartenaient pas :
des épines là où il n’y en avait jamais eu,
des motifs géométriques sur leurs pétales,
ou un comportement de repli nocturne…
en pleine journée.
Pourtant, certains faits laissaient penser
que cette brume n’était ni malfaisante…
ni réellement néfaste.
La plupart des appareils électroniques ou mécaniques
cessaient de fonctionner à son contact —
comme neutralisés.
Et pourtant,
plus tôt dans la journée,
un vieil homme équipé d’un pacemaker
avait traversé son bord sans le moindre incident.
Pas d’arrêt.
Pas de douleur.
Rien.
Même les nourrissons
et les jeunes enfants
semblaient épargnés.
Alors…
protégeait-elle quelque chose ?
Ou se protégeait-elle elle-même ?
Était-ce la brume qui possédait une forme de conscience ?
Ou la Tour qui la contrôlait ?
Ou peut-être…
autre chose,
au-dessus,
encore ?
Les scientifiques furent les premiers à se taire.
Non pas par prudence.
Mais parce qu’ils n’avaient rien à dire.
Astrophysiciens, climatologues, géologues, théoriciens du complot…
tous regardaient les mêmes données.
Et aucun ne parvenait à les comprendre.
Les plateaux TV devinrent silencieux.
Les articles s’arrêtèrent à des phrases comme :
“Nous n’avons pas encore assez de recul.”
Puis vinrent les soupirs.
Puis les regards vides.
Puis…
plus rien.
Des termes comme singularité, rupture dimensionnelle
ou interface cosmique furent prononcés.
Aucun ne tint plus d’une minute.
Était-ce de l’incompétence humaine ?
Une incapacité à saisir la profondeur d’un Absolu ?
Si non… alors quoi ?
C’était la question que beaucoup se posaient à travers le monde.
Mais peu à peu,
des rumeurs commencèrent à circuler.
Les forces militaires,
les services secrets,
les gouvernements...
Quelque chose se mettait en mouvement.
Lentement.
Discrètement.
Comme si le silence ne pouvait plus suffire.
Les médias n’en parlaient pas encore,
ou alors en termes vagues, prudents.
Quelques fuites.
Quelques photos floues circulaient en ligne :
Des convois militaires
détournés de leurs itinéraires habituels.
Des zones survolées par des drones non identifiés.
Des coupures soudaines
dans certains réseaux de surveillance.
Officiellement, rien n’avait changé.
Mais dans les interstices du silence,
les engrenages d’un autre type
se remettaient en marche.
L’humanité ne comprenait pas ce qu’elle voyait…
alors, comme souvent,
elle commença à se préparer à frapper.
Et là…
les citoyens compris.
Une décision avait été prise.
Des agents gouvernementaux,
issus de différents services,
commencèrent à évacuer les logements situés
dans un périmètre d’un kilomètre
autour de la « structure »,
comme ils l’appelaient.
Dans la plupart des cas,
l’opération se déroula avec calme.
Des explications.
Des regards tendus.
Des visages fatigués.
Mais ailleurs,
la peur domina.
Et là où les mots échouaient,
ce furent les hurlements,
les coups,
les menaces
et la terreur
qui prirent le relais.
L’espace aérien fut interdit dans plusieurs régions.
Les routes, rails, et communications
furent suspendus dans un rayon croissant.
Des zones tampons furent dressées,
délimitées par des barrières mobiles,
des checkpoints armés,
des drones de surveillance.
Et malgré tout cela…
rien ne semblait rassurer les populations.
La brume ne reculait pas.
Les Tours restaient figées.
Mais l’angoisse,
elle,
avançait.
Malgré la mise en place rapide de ces protocoles d’urgence,
une sensation d’impuissance
persistait dans toutes les strates de la société.
Les hélicoptères militaires
refusaient de s’approcher trop près.
Les images satellites
étaient de moins en moins exploitables —
trop distordues,
trop instables.
Certaines zones entières
devinrent des poches d’ombre numérique,
comme si la Tour elle-même
réécrivait la structure des données autour d’elle.
Les experts scientifiques ne recevaient plus rien de concret.
Les ingénieurs des télécommunications
se plaignaient de perturbations jamais observées.
Et les généraux…
restaient en retrait.
Tout semblait parfaitement verrouillé.
Trop, même.
Les Tours n’avaient ni riposté,
ni interagi.
Elles n’avaient montré aucun signe de conscience.
Mais elles n’avaient pas non plus ignoré l’humanité.
Elles l’avaient simplement laissée s’agiter…
comme un enfant
frappant le flanc d’un monument.
Et c’est dans ce vide total d’explication,
ce silence sans retour,
que les dirigeants du monde décidèrent enfin…
de se parler.
Ils entrèrent dans la zone restreinte,
escortés en silence
par des agents lourdement armés.
Certains avaient le regard dur,
d’autres le pas plus lent.
Tous étaient là pour la même chose :
décider quoi faire face à l’indécidable.
Une étrange réunion,
composée de profils qu’on ne voyait jamais assis à la même table.
Scientifiques.
Historiens.
Cosmologues.
Mystiques.
Généraux.
Chefs de services spéciaux.
Diplomates.
Et même quelques présidents.
Tous réunis…
non pas par conviction,
mais par absence d’explication.
Et au centre de cette réunion improbable,
deux questions trônaient
comme des monuments immobiles :
— Qu’est-ce ?
— Que faire, maintenant ?
Personne n’avait encore osé briser le silence.
Parce que tous savaient…
qu’aucune réponse ne viendrait sans conséquences.
— C’est une Tour de Babel,
dit l’homme en robe sobre,
les mains jointes sur la table.
Pas une construction divine…
mais une fracture.
Une tentative.
Une anomalie.
