Le silence était presque devenu une respiration.
Puis le Guide reprit.
— Vous êtes encore vivants.
C’est déjà un miracle.
Mais ce n’est pas suffisant.
Il claqua des doigts.
Une projection circulaire s’éleva dans l’air,
comme un halo d’énergie gravé de symboles mouvants.
Elle tournait lentement au-dessus de sa paume gantée.
— Voici votre épreuve.
Cinq vagues de créatures.
Et une… variante.
Plus évoluée.
Plus attentive.
Son ton se fit plus lent.
— Chaque vague sera plus difficile que la précédente.
Si vous survivez à la cinquième…
vous aurez peut-être l’honneur de rencontrer
ce que la Tour appelle un “spécimen particulier”.
Une anomalie générée pour vous tester,
vous briser,
ou… vous révéler.
Un instant de silence. Puis :
— Vous n’aurez aucun repos entre les vagues.
Aucun renfort.
Vous commencerez là où vous êtes.
Dans cet état.
Avec ce que vous avez — ou pas.
Il regarda la table d’équipement à moitié vide.
Puis revint sur Kael et Gravyor.
— La Tour vous observe.
Elle calcule.
Chaque geste.
Chaque risque.
Chaque renoncement.
Vos récompenses ne viendront pas de ce que vous tuerez…
Mais de ce que vous aurez osé sacrifier pour survivre.
Il sourit.
Un peu plus froidement, cette fois.
— Vous avez quelques secondes.
Ensuite, l’épreuve commence.
Le halo d’énergie au-dessus de sa main se dilata légèrement.
Un autre cercle apparut, plus sombre, au centre du premier.
— L’épreuve s’articule en cinq vagues.
Chacune plus difficile.
Plus vorace.
Elles viendront.
Vous n’aurez pas le temps de les attendre.
Il fit tourner les cercles.
Cinq segments apparurent.
Le cinquième palpitait doucement.
— À la cinquième,
vous affronterez un spécimen d’exception.
Un “mini-boss”, comme diraient certains.
Une créature créée pour voir ce que vous êtes capables d’endurer…
ou d’imploser.
Il s’arrêta une seconde,
le regard fixé sur ceux qui avaient déjà pris trop d’équipement.
— Mais ce n’est pas la fin.
Une légère torsion parcourut l’air autour de lui,
comme un frisson dans l’espace.
— Ceux qui survivront… auront le choix.
Avancer.
Ou tenter l’Épreuve Bonus.
Il s’approcha,
presque amusé.
— Une confrontation volontaire.
Un pari personnel.
Contre la version évoluée du mini-boss.
Un “boss”, comme certains de vos mondes aiment les nommer.
Un être conçu pour écraser.
Pour punir…
Ou pour récompenser au-delà de toute logique.
Il laissa le silence faire son œuvre.
— Aucun mérite ne sera donné à ceux qui refusent.
Mais aucun blâme ne leur sera adressé non plus.
Puis il fixa Kael un instant,
comme pour y glisser un défi.
— Certains d’entre vous sont venus pour survivre.
D’autres… pour changer de nature.
Il abaissa la main.
Les cercles d’énergie se dissipèrent.
— À présent…
que la première vague commence.
Le Guide écarta légèrement les bras.
Le sol vibra d’un battement sourd, à peine audible.
Puis, un à un,
des cercles lumineux apparurent sous les pieds de chaque candidat.
Pas des portails verticaux.
Des sigils concentriques,
gravés de lumière mouvante,
comme des mécanismes en éveil.
Ils n’absorbaient rien.
Pas encore.
— Vous avez entendu les règles.
Vous avez fait vos choix.
À présent… il est temps d’en assumer les conséquences.
Il fit une pause.
Son ton resta calme,
mais chaque mot semblait résonner au creux des côtes.
— Plus vous survivrez de vagues,
plus votre essence s’élèvera.
Plus vous abattrez d’ennemis,
plus la Tour vous regardera avec… intérêt.
Il pivota lentement sur lui-même,
son regard effleurant chaque visage.
— Vous pouvez être expulsés à tout moment si la mort vous frôle.
Ce sera une clémence.
Mais la Tour ne récompense jamais la clémence.
Il laissa planer ses mots.
— Et si l’un de vous atteint la fin…
Une offre vous sera faite.
Un choix que seuls les vivants pourront considérer.
Les cercles se mirent à pulser doucement
sous les pieds des candidats.
— Votre épreuve commence.
Que vos actes parlent.
Que vos choix brûlent.
Et que la Tour juge.
Le premier cercle s’activa.
Un éclat de lumière.
Une disparition.
Un second.
Un troisième.
Les corps se dissolvaient
sans cri,
sans secousse.
Juste… effacés.
Veda regarda le sien vibrer.
Elle inspira profondément.
Gravyor jeta un coup d’œil à Kael.
Rien.
Puis ce fut à lui.
Dissout.
Enfin… Kael.
Le dernier.
Toujours assis.
Son cercle brûlait sous ses pieds,
comme s’il hésitait lui aussi.
Puis la lumière le prit.
Et il disparut.
Silencieusement.
Le Guide resta seul.
Un sourire presque absent étira ses lèvres.
— Intéressant.
Le Guide s’installa,
tel un analyste devant une mosaïque d’écrans vivants.
Il scrutait chaque arène à la fois,
comme s’il possédait plusieurs consciences superposées,
toutes focalisées,
toutes lucides.
Certains fuyaient.
D’autres, malgré les tremblements,
serraient les dents,
levaient les bras,
et affrontaient.
Réussir ? Échouer ?
Pour ces êtres inférieurs, cela n’avait pas vraiment d’importance.
Mais lorsqu’un candidat dépassait les limites préétablies de son potentiel,
lorsqu’une lumière naissait dans l’inattendu…
…alors un mince sourire venait effleurer son masque.
Une forme de soulagement glacé,
comme s’il se disait :
"Peut-être… peut-être pas tous ratés."
Il observa encore un instant
ces lutteurs d’instinct et de peur.
Puis, lentement,
il tourna son attention vers la zone d’épreuve spéciale.
Celle juste en contrebas de l’armurerie.
Celle réservée aux déchets, aux anonymes.
Celle que la Tour avait placée entre les lignes, juste pour voir.
Ils étaient plus d’une centaine au départ.
Mais maintenant…
à peine une quarantaine encore debout,
éparpillés dans les différentes arènes d’observation.
Certains avaient choisi une épée.
D’autres une dague, un arc ou une hache.
Quelques-uns, confiants,
étaient entrés quasiment nus,
misant tout sur la promesse d’une récompense accrue.
Le système était simple :
plus tu prends, moins tu reçois.
Mais plus tu survis, plus tu accumules.
Et cette mécanique cruelle venait de se révéler dans toute sa vérité.
Les monstres n’étaient pas puissants.
Ils étaient pires.
Ils étaient intelligents.
Des gremlins.
Petits, torsadés,
des doigts griffus,
des yeux fous.
Leur peau semblait couverte d’un film humide,
comme si l’air lui-même refusait de les sécher.
Ils ne chargèrent pas.
Ils se glissèrent dans les ombres.
Contournèrent.
Tournèrent.
Observèrent.
Ils attendaient.
Le premier cri ne fut pas celui d’un guerrier,
mais d’un garçon tombé à genoux,
une dague en main.
Il n’avait pas été frappé.
Il s’était effondré,
les yeux révulsés,
le bras gauche soudain paralysé.
Un gremlin avait filé derrière lui quelques instants plus tôt.
Une griffure.
À peine un filet de sang.
Mais déjà, quelque chose rampait sous sa peau.
Un autre participant, dans une autre arène,
grogna en posant un genou au sol.
Il cracha au sol, la gorge brûlante.
Ses tripes se tordaient.
Nausée.
Désorientation.
Il n’y avait pas eu de combat.
Juste un contact furtif.
Une griffure.
Une morsure.
Une trace.
Et maintenant, un poison.
Ou autre chose.
Une fille au sabre tremblait,
la sueur ruisselant de ses tempes.
Elle tourna sur elle-même, paniquée.
— Ils sont où ?!
Ils sont où, bordel ?!
Elle avait bien vu.
Un gremlin l’avait frôlée.
L’avait touchée.
Depuis, une chaleur étrange remontait le long de sa jambe,
comme un feu lent dans ses veines.
Ils ne tuaient pas directement.
Ils affaiblissaient.
Ils brisaient.
Puis ils frappaient.
Toujours dans le dos.
Jamais seuls.
Jamais sans calcul.
Et quand une cible tombait à terre…
Ils n’hésitaient pas pour en profiter.
Les plus proches se ruèrent sans attendre.
Griffures.
Morsures.
Rires rauques.
Ils déchiquetaient non pas pour tuer,
mais pour savourer.
Pour s’amuser.
Leur sadisme était méthodique.
Ils visaient les nerfs,
les articulations.
Ils laissaient les victimes vivantes,
rampantes,
conscientes.
Comme si voir quelqu’un supplier
valait plus qu’un cadavre froid.
Et partout, dans chaque arène,
le même scénario se répétait.
Un contact.
Une réaction.
Une descente lente,
invisible,
inévitable.
Puis le déchaînement.
Certains tentaient encore de résister.
Un homme d’une quarantaine d’années,
visiblement militaire,
respirait fort,
son épée de fortune sanglée à l’avant-bras.
Il avait blessé deux gremlins,
le regard alerte,
concentré.
Mais sa jambe tremblait.
Il ne comprenait pas pourquoi.
Et quand il tenta de reculer pour garder l’équilibre,
il chuta.
Sa main se crispa sur le sol.
Puis se figea.
Paralysie.
L’un des gremlins se glissa jusqu’à son oreille,
doucement.
Et y laissa un ricanement.
Un souffle humide.
Puis,
il s’éloigna à quatre pattes,
satisfait.
Ils savaient.
Ils savaient exactement jusqu’où pousser,
sans franchir la ligne.
Ils laissaient les humains la franchir eux-mêmes.
Dans la douleur.
Dans la panique.
Dans le désespoir.
