Ficool

Chapter 33 - 29e Echo : Failles et Hiérarchie

Ils étaient plus d'une centaine.

Des cris, des souffles courts, des murmures nerveux se croisaient dans l'espace circulaire.

Un lieu trop lisse, trop vaste, trop uniforme.

Aucun mur.

Aucun plafond.

Juste ce sol noir, cette lumière sans source… et des gens, partout.

Certains se relevaient encore.

D’autres s’accroupissaient contre eux-mêmes, nauséeux ou hagards.

Tous avaient été arrachés à leur réalité sans explication,

projetés ici comme des pions jetés sur une table.

Aucun ne comprenait.

Une brèche s’ouvrit — brutale, déchirante.

Une adolescente tomba en hurlant.

Une autre suivit deux minutes plus tard, inconsciente.

Puis encore un, puis deux.

La sélection brute continuait.

Aléatoire, froide, sans cri ni logique.

Il y avait les faibles, les mal préparés, les surpris.

Et il y avait ceux qui savaient,

ou du moins, ceux qu’on avait choisis.

La première brèche silencieuse s’ouvrit.

Sa forme était nette, son ouverture lente, stable.

Un garçon en sortit.

Il semblait avoir la vingtaine.

Les mains encore tachées du sang de son exécution récente :

froide. Méthodique.

Hormis ce détail, rien ne le distinguait au premier regard.

Un visage marqué, des traits communs, une stature moyenne.

Mais il dégageait une pression invisible.

Comme si la réalité se souvenait de son passage.

Il jeta un bref regard aux autres présents,

s’immobilisa,

et s’éloigna calmement vers une zone vide.

Aucun mot.

Aucune surprise.

Il semblait chercher quelqu’un du regard,

avec une insistance discrète.

Puis, à mi-voix,

presque pour lui-même,

il murmura :

— Il était censé déjà être ici selon le guide.

Soudain…

Un frisson brutal lui remonta l’échine.

Il se retourna d’un geste sec.

Instinctif. Défensif.

Quelqu’un venait de le fixer.

Et il le vit.

Un autre garçon.

À peine plus jeune.

Assis à l’écart.

Silencieux.

Leurs regards se croisèrent.

Et Gravyor ressentit un vertige —

non, un effondrement.

Comme si son propre instinct l’avait jeté au sol.

Ce n’était pas un regard.

C’était une prédation nue.

Il venait de croiser les yeux d’un super-prédateur.

Deux vérités claquèrent dans son esprit comme un couperet :

— C’est lui. Le fameux Kael.

— Et jamais, je dis bien jamais, je ne devrai l’offenser.

Pas si je tiens à garder ma tête sur les épaules.

Gravyor hésita un instant.

Puis il avança, lentement, jusqu’à lui.

Pas de signe d’hostilité.

Pas de défi.

Juste…

un instinct de survie curieux

qui lui soufflait qu’il valût mieux ne pas l’ignorer.

Kael ne leva pas les yeux.

Il l’avait déjà vu venir.

Gravyor s’arrêta à quelques pas.

Pas trop près.

Pas trop loin.

Il resta là, un instant,

les bras le long du corps.

Puis, d’une voix neutre mais posée :

— Gravyor.

Je suppose qu’on va devoir survivre dans la même arène.

Le silence lui répondit.

Kael n’avait toujours pas bougé.

Gravyor attendit encore,

juste assez pour que le silence pèse,

puis haussa légèrement les épaules :

— T’es pas un bavard, hein ?

Tant mieux.

Il se laissa tomber à côté de lui,

à une distance respectueuse.

Pas dos à lui.

Pas face non plus.

Juste…

à portée d’observation.

Et ils attendirent.

L’un dans son mutisme.

L’autre, étrangement… apaisé.

Une nouvelle brèche s’ouvrit.

Plus lente.

Et surtout… bien plus propre.

Aucune vibration.

Aucun cri.

Juste un sillon de lumière parfaitement symétrique

qui fendit l’air,

comme si l’univers lui-même retenait son souffle pour l’accueillir.

La silhouette qui en sortit posa le pied au sol avec un timing maîtrisé,

le menton légèrement relevé,

la main sur la hanche.

Elle n'avait rien de perdue.

Ni même de surprise.

Vêtements impeccables.

Chevelure lustrée.

Regard hautain.

Ses yeux balayèrent lentement la masse de candidats effondrés,

recroquevillés,

sales,

épars.

Un souffle agacé lui échappa,

comme si tout cela n’était qu’une blague de mauvais goût.

Elle réajusta le col de son haut

avec un dédain soigneusement dosé.

— C’est donc ça, les “concurrents” ?

Elle ne s’adressait à personne.

Elle constatait.

Puis son regard tomba sur Kael.

Immobile.

Silencieux.

Et Gravyor, assis à ses côtés.

Elle plissa les yeux.

Un léger froncement, presque imperceptible,

mais réel.

Elle les jaugea.

Une seconde.

Deux.

Puis tourna les talons,

et alla s’installer à bonne distance.

Pas trop loin.

Pas trop près.

Assez pour être vue.

Jamais ignorée.

Une nouvelle brèche jaillit,

hurlante cette fois.

Deux silhouettes en sortirent —

l’une roula au sol,

l’autre resta couchée, inconsciente.

Les autres se contentèrent de lever les yeux,

l’air éteint.

La scène commençait à se banaliser.

Chacun savait :

ce lieu n’avait ni logique,

ni pitié.

Deux autres arrivèrent ensuite.

Un garçon paniqué qui s’écrasa sur les genoux.

Une femme plus âgée,

mutique,

droite comme un piquet.

La tension s’épaississait.

L’air devenait lourd.

Et l’inconnu restait entier.

Puis la lumière s’adoucit.

Une faille presque élégante s’ouvrit sur la gauche.

Veda apparut,

les pieds parfaitement posés,

le dos droit,

le regard affûté.

Elle analysa la structure du sol d’un simple coup d’œil,

chercha une sortie,

puis balaya l’ensemble du cercle d’un regard lucide.

Rien n’était normal.

Mais elle l’était encore.

Elle remarqua rapidement les deux seuls

qui ne semblaient pas à leur place parmi la foule désorientée :

Kael. Immobile.

Gravyor. Silencieux.

Elle s’approcha sans précipitation.

Arrivée à quelques mètres, elle s’arrêta,

jeta un dernier coup d’œil autour…

Puis s’accroupit pour s’asseoir près d’eux.

Ni trop près.

Ni trop loin.

— Eh, princesse.

Une voix masculine.

Agressive. Faible. Usée par la frustration.

Elle leva à peine les yeux.

Un homme d’une trentaine d’années,

sales vêtements, regard avide.

— Tu crois que tu vas t’en sortir en jouant les élites, là ?

Viens donc par ici,

que je te montre c’que ça vaut, ton p’tit regard de riche…

Elle ne bougea pas.

Pas par peur.

Par calcul.

Lui, s’avança.

Un pas. Deux.

Sa main s’étendit vers son bras —

— et fut arrêtée net.

Kael s’était levé instantanément.

Il ne courut pas.

Il ne cria pas.

Il était déjà là.

La main de l’agresseur n’avait pas encore touché Veda

que son crâne explosa contre le sol,

dans un bruit mat, définitif.

Il s’effondra sans un cri.

Kael, déjà tourné,

retourna s’asseoir à sa place,

comme si de rien n’était.

Pas un mot.

Pas un regard.

Silence total.

Gravyor cligna des yeux.

Une goutte de sueur coula lentement le long de sa tempe.

Comment… ?

Comment un mouvement aussi simple pouvait être aussi… parfait ?

Il voulait parler.

Il voulait fuir.

Il voulait applaudir.

Tout son instinct lui criait

d’adorer

ou de disparaître.

À côté, Veda cligna une fois des yeux.

Puis elle tourna la tête vers Kael,

calmement, sincèrement.

— Merci.

Elle n’attendait pas de réponse.

Elle avait déjà compris à qui elle venait de parler.

Une brèche s’ouvrit.

Doucement.

Sans bruit.

Comme une méditation qui s’achève.

Un homme en sortit.

Jeune,

mais déjà marqué par le silence.

Il avait vingt-huit ans.

Le crâne rasé,

le regard tranquille,

la respiration lente.

Pieds nus, en simple robe de toile,

il posa un pied devant l’autre sans hâte.

Il ne regarda personne.

Il n’avait pas besoin de comprendre.

Il acceptait.

Il s’avança vers le bord de l’espace,

sans jamais presser le pas.

Puis il s’agenouilla.

En tailleur.

Mains jointes sur les genoux,

dos droit,

yeux fermés.

Il ne cherchait ni contact,

ni explication.

Il était là.

Et c’était suffisant.

Certains le regardèrent avec gêne.

D’autres, avec un soupçon d’admiration.

Gravyor, lui, détourna le regard.

Ce type-là…

c’est un autre genre de monstre.

Une nouvelle brèche se forma.

Elle pulsa une seconde.

Puis se fissura.

L’ouverture ne fut ni lente,

ni stable.

Elle hésita.

Trembla légèrement.

Et Adam en sortit.

Il tomba d’abord à genoux,

les mains au sol.

Il respira fort.

Deux fois.

Trois.

Puis releva lentement la tête,

comme s’il n’arrivait pas à croire

qu’il était encore en vie.

Personne ne parla.

Mais plusieurs regards convergèrent vers lui.

Il se releva maladroitement,

épousseta sa manche,

puis tourna sur lui-même pour repérer…

quelque chose.

Ou quelqu’un.

Son regard s’arrêta net.

Kael.

Assis.

Silencieux.

Toujours là.

Adam inspira.

Pas de soulagement.

Pas encore.

Juste une prise de conscience :

il n’était pas seul.

Il ne s’approcha pas.

Pas tout de suite.

Il se contenta de rester debout.

Là.

Comme quelqu’un

qui vient d’atterrir dans un monde qu’il pensait fictif.

Et qui reconnaît enfin un visage réel

au milieu d’un cauchemar.

Le silence se fit plus dense,

presque physique.

Tous les choisis étaient là.

Plus personne ne tomba.

Plus aucune faille ne s’ouvrit.

Et c’est à ce moment précis

que quelque chose changea.

L’air frémit.

La lumière se courba,

très légèrement.

Comme si l’espace lui-même

cédait le passage à quelque chose de plus ancien que lui.

Puis il apparut.

Debout.

Au centre exact du cercle.

Le Guide.

Costume noir, soie mate.

Gants immaculés.

Cravate invisible.

Il portait sur son visage une expression… amusée.

Fatiguée, peut-être.

Mais précise.

Il ne regarda personne en particulier.

Il regarda tout le monde à la fois.

— Ah. Nous y sommes.

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