Kael rouvrit les yeux.
Un frisson glacé lui remonta la nuque.
Une sensation électrique.
Pas douloureuse.
Plutôt… un petit choc mental.
Un intrus dans son esprit.
Devant lui, une interface noire apparut.
Sobre.
Stable.
Presque clinique.
Trop propre pour être honnête.
Comme un logiciel haut de gamme, pas une interface bricolée.
Mise à jour disponible.
Interface actuelle : Voix en brume archaïque (obsolète).
Mise à jour proposée : THANA-HUD.EXE
Une liste d’avantages clignotait.
– Interface mentale stabilisée (adieu les bugs émotionnels).
– Visibilité optimale (même dans les pires brouillards émotionnels).
– Communication enrichie : sarcasmes, piques et interventions divines incluses (oui, Thana).
– Nouveau thème sombre “nécro-esthétique” (plus lisible que juste “noir”).
– Réduction des interférences émotionnelles (pour éviter les crises existentielles inutiles).
Kael fronça les sourcils.
Intrigué.
Sceptique.
Une interface comme ça…
C’était du sérieux.
Mais qui aime vraiment les mises à jour forcées ?
Sous les boutons [ACCEPTER] et [VALIDER],
un troisième s’agitait, presque nerveusement :
[AIDE]
Kael cliqua.
Sans grande conviction.
L’écran vibra doucement.
Comme une entité lasse de devoir tout réexpliquer.
Puis, un message.
Sans filtre.
Limite moqueur :
Avantages revisités, avec un soupçon d’humour :
– Interface mentale stabilisée (plus claire, plus classe — impressionne qui tu veux).
– Visibilité optimale (même en plein coma cérébral).
– Communication enrichie (taquineries incluses — tu me remercieras plus tard).
– Thème sombre “nécro-esthétique” (adieu ton vieux style rétro).
– Réduction des interférences (pour ma survie mentale face à tes décisions douteuses).
Et enfin, les conditions :
Acceptation obligatoire selon l’article 1 du contrat “T’as pas le choix.”
Mais, dans ma grande bonté, tu peux choisir l’option qui te paraît… la moins nulle.
Deux boutons.
Identiques.
Clignotants.
[VALIDER] — [ACCEPTER]
Kael grogna.
Les boutons ne bougeaient pas.
Il lança un regard noir à l’interface.
Un mélange de fascination… et d’agacement.
— Sérieusement ?
Vous vous fichez de moi ?
Moi ? Jamais.
Tu as appuyé sur “Aide”, je t’aide. C’est littéral.
La voix dans sa tête était presque sarcastique.
Comme une amie taquine.
Du genre qui sait exactement comment appuyer là où ça fait mal.
Kael leva la main.
Cliqua sur [VALIDER].
Son doigt traversa le bouton.
— Non non non…
Tu veux pas me dire que je peux même pas cliquer ?!
Un éclat cristallin de rire retentit à sa gauche.
Il tourna la tête.
Une minuscule Thana flottait dans les airs.
Pas plus grande qu’une main.
Pliée en deux de rire.
Les jambes en l’air.
Ses ailes d’ombre pulsant doucement.
Tu pensais vraiment cliquer avec ton doigt ?
Sérieusement, Kael… c’est pas une tablette tactile.
Elle tournoya autour de lui.
Puis fonça droit vers son front.
Pichenette.
— Hey !
Ça fait mal !
—
Interface activée.
Voilà, c’est comme ça qu’on fait.
Bienvenue dans le club des connectés.
Kael se frotta la tempe.
À la fois amusé… et exaspéré.
— Tu vas finir par me rendre fou, toi.
—
Patience.
C’est déjà en route.
—
Une nouvelle fenêtre apparut.
En bas à droite de son champ de vision.
Sobre.
Élégante.
THANA-HUD.EXE EN LIGNE
Statut : installée, taquine, prête à déchaîner les sarcasmes.
Kael sourit malgré lui.
Le début d’une drôle d’aventure venait de commencer.
Il referma doucement la porte.
Les bras chargés de sacs plastiques.
Ils semblaient plus lourds que leur contenu.
Les bruits familiers de la maison résonnaient.
Mais dans ses oreilles…
Ils sonnaient faux.
La journée avait été longue.
Lourde.
Et ses fautes pesaient sur lui.
Il pensa à Lyana.
À ses larmes.
À sa voix cassée.
À ces silences qui parlaient plus fort que n’importe quelle phrase.
Kael n’était pas doué pour dire ce qu’il ressentait.
Mais il savait agir.
Alors il avait fait simple :
Des courses.
Pas grand-chose.
Juste… une preuve.
Qu’il était là.
Qu’il pensait à elle.
Qu’il voulait la protéger.
Même si tout semblait contre eux.
Dans le salon, il posa les sacs sur la table.
Tentant d’éviter le moindre bruit.
Lyana était là.
Recroquevillée sur le canapé.
Serrant contre elle son vieux lapin en peluche.
Celui qu’il lui avait offert quelques jours plus tôt.
Le contraste entre sa fragilité et sa dignité silencieuse…
…lui brisa le cœur.
— Hé…
Un murmure.
Il déposa un paquet de biscuits.
Une boîte de fruits.
— J’ai pris ça…
Je sais que tu les aimes.
Lyana leva les yeux.
Un sourire timide effleura son visage fatigué.
Elle hocha la tête.
Mais son regard était ailleurs.
Perdu.
Kael s’assit près d’elle.
Observant la peluche.
Comme si elle contenait toute leur histoire.
— Tu sais…
Je suis désolé.
Pour tout.
Pour t’avoir fait peur.
Pour les secrets.
Pour cette vie étrange qu’on mène.
J’aimerais te promettre que tout ira bien.
Mais je serais un menteur.
Lyana posa la peluche entre eux.
Son regard planté dans celui de Kael.
Honnête.
Franc.
— Tu n’es pas un menteur.
Sa voix était douce.
— Tu fais ce que tu peux.
Et je sais que c’est beaucoup.
Kael la regarda.
Surpris.
Touché.
— Parfois, je me demande comment tu fais pour rester aussi forte…
Moi, je vacille.
Lyana haussa les épaules.
— Peut-être que je vacille aussi.
Mais on n’est pas obligés de tomber en même temps, non ?
Ils échangèrent un sourire.
Court.
Sincère.
Un fragment de paix…
…dans une guerre silencieuse.
— Tu parles d’un défi, ça.
Je suis prêt à te défoncer.
Elle se leva.
Déterminée.
Les yeux brillants.
— Attends, petit tricheur.
Pas question de perdre.
Thana, discrètement installée dans un coin, observait la scène.
Un sourire en coin sur les lèvres.
Pour la première fois depuis longtemps, elle vit Kael sourire…
…vraiment.
Et elle ne put s’empêcher de penser :
Ça fait du bien à voir.
Kael tourna les yeux vers elle.
Un regard silencieux.
Reconnaissant.
— Merci, Thana.
Un simple mmmh…
Presque chantonné.
Mais Kael comprenait.
Même ces instants fugaces avaient leur importance.
Un baume contre des cicatrices invisibles.
Des bulles d’air entre deux noyades.
Lyana lança un cri de guerre.
Un défi rageur.
Kael, lui, sentit naître une résolution nouvelle :
protéger cette paix fragile.
À tout prix.
Le soleil déclinait lentement.
Derrière les immeubles.
Un halo orangé et pourpre enveloppait la ville.
Comme si le temps, lui aussi…
…avait décidé de ralentir.
Leur retour fut silencieux.
Fatigue dans les gestes.
Silence dans les pensées.
Une couverture invisible pesait sur eux.
Épaisse.
Familiale.
Dans la voiture,
une vieille radio diffusait une mélodie floue.
Mélancolique.
Mais la musique semblait… absente.
Lyana regardait la route.
Ou ce qu’il y avait derrière.
Les paupières lourdes.
Les pensées ailleurs.
Kael, lui, fixait la ligne blanche.
La mâchoire serrée.
Les poings crispés sur le volant.
Il revivait chaque instant.
Chaque danger.
Chaque promesse.
— Tu veux que je t’aide avec les sacs ?
demanda-t-elle, d’une voix creuse.
— Non, laisse.
Je gère.
Il évita son regard.
L’appartement les accueillit avec une lumière chaude.
Trop douce pour la soirée glacée.
Lyana posa ses affaires.
Puis s’effondra sur le canapé.
Vidée.
Silencieuse.
Kael disparut vers la cuisine.
Des gestes mécaniques.
Une tisane qu’il ne boirait pas.
Une routine sans conviction.
Dans un recoin invisible,
la voix de Thana s’éleva.
Douce.
Calme.
Fermement posée.
— Tu devrais te reposer, Kael.
Le sommeil est une arme.
Pas une faiblesse.
Il se retourna.
Un sourire las accroché aux lèvres.
— Facile à dire…
Fermer les yeux quand tout est en jeu,
c’est ça, le vrai combat.
— Mais nécessaire.
Si tu veux tenir,
tu dois te ménager.
Il apporta la tasse.
La posa sur la table.
L’observa longuement.
Puis s’assit.
Il tendit la main.
La posa doucement sur le front de Lyana.
Brûlant.
Son regard à lui…
mêlait inquiétude
et tendresse.
— Je te promets…
Je ferai tout pour te protéger.
Rien ni personne ne te fera de mal.
Lyana tourna la tête.
Leurs regards se croisèrent.
Une larme solitaire glissa au coin de son œil.
— Je sais…
Je t’aime, Kael.
Un silence.
Mais pas vide.
Chargé.
Suspendu.
Comme si le monde avait cessé de respirer.
Lyana posa sa tête contre son épaule.
Ses bras s’enroulèrent autour de lui.
Instinctivement.
Kael ferma les yeux.
La lourdeur revint.
Mais différente.
Comme un poids accepté.
Il lutta encore.
Contre l’avenir.
Contre l’angoisse.
Mais trouva,
l’espace d’un instant,
un peu de paix.
Dans ce moment partagé.
