Le sable s'était refermé sur la chambre au trésor.
Mais la sortie, elle, les avait menés vers un couloir encore plus ancien, à la roche noire et striée de veines cramoisies.
Adam clopinait, une main contre sa cuisse encore douloureuse.
Kael ouvrait la marche, silencieux, attentif aux pulsations du temple.
Ils atteignirent une alcôve circulaire, où une arche se dressait, scellée par un entrelacs de pierres et de symboles endormis.
Kael s'arrêta net.
— On y est.
Il posa la paume contre la roche.
Une vibration lui remonta le bras.
Les runes se mirent à luire.
Mais cette fois, l’activation était brutale.
Un écho retentit, profond, sourd, presque organique.
Des fissures parcoururent le sol sous leurs pieds.
Adam se raidit.
— Ne me dis pas que ça recommence...
Kael ferma les yeux.
Il sentit un élément étranger se manifester — un rejet.
Le temple tremblait.
Pas de colère.
Mais de... fracture.
Une voix, basse, ancienne, résonna dans son crâne.
— Tu as franchi le seuil.
Derrière eux, un pan de mur s'écroula dans un grondement sec, révélant une spirale de marches plongée dans une obscurité mouvante.
Kael et Adam furent projetés à l'intérieur, comme happés par une force invisible.
Ils tombèrent.
Pas longtemps.
Mais assez pour que le vide semble s'étirer.
Puis, l'impact.
Kael se redressa en grimaçant.
La pièce était étrangement circulaire, éclairée par des motifs lumineux mouvants.
Un symbole pulsa sous ses pieds —
Le même que celui marqué sur son tatouage.
Des colonnes éthérées s’élevèrent,
et au centre, un piédestal.
Posée dessus : une sphère cristalline.
Elle battait comme un cœur.
Thana murmura dans son esprit.
— C'est le nœud. Le cœur du temple.
Si tu le touches... ça se souviendra de toi.
Kael hésita.
Puis avança.
À l’instant où ses doigts frôlèrent la sphère, une décharge le traversa.
Adam hurlait derrière,
mais il ne l'entendait plus.
Il n'y avait que lui,
et ce flot d'énergie qui l'envahissait.
Son bras se couvrit de veines noires,
ses yeux se dilatèrent.
La voix de Thana revint, plus grave.
— Tu viens d'inscrire ton nom dans la pierre, Kael.
Ce lieu... te reconnaît comme sien.
Puis tout s'effondra —
non pas le sol,
mais le temps,
l’espace,
les murs invisibles du temple lui-même.
L'air se contracta,
puis se relâcha dans une explosion muette,
comme si l’univers rejetait leur présence.
Et le noir.
Quand il ouvrit les yeux, il était à genoux, au seuil extérieur du temple.
Il sentait encore le bourdonnement sourd dans ses nerfs,
une chaleur résiduelle coulant dans ses veines,
comme un écho du lien qui venait d’être scellé.
Une brise légère lui caressa le visage,
transportant l’odeur âcre du sable ancien.
Ses membres picotaient, engourdis,
comme s’ils émergeaient d’un rêve pesant.
Le soleil rasant caressait l'horizon.
Adam était à côté de lui, inconscient mais vivant.
Kael se releva lentement.
Quelque chose en lui avait changé.
Ce n'était pas juste la douleur.
C'était... une fracture.
Une mue silencieuse.
Il passa son bras devant ses yeux.
Le tatouage pulsait encore faiblement,
battant au même rythme que la sphère qu’il avait touchée quelques instants plus tôt.
Comme si leur cœur, à présent, était le même.
Une partie de lui était restée en bas.
Mais il était vivant.
Et c'était tout ce qui comptait.
Kael récupéra lentement Adam,
le hissa sur son épaule malgré sa fatigue.
Le corps d'Adam était lourd, inerte,
mais respirait encore faiblement.
Une traînée de sang avait séché sur sa tempe,
trace muette de ce qu'ils venaient d'affronter.
Kael resserra sa prise, le regard vide,
et fit un pas dans la lumière.
La lumière du jour, trop vive après les ténèbres du temple, le forçait à plisser les yeux.
Un silence pesait sur les ruines,
à peine troublé par le vent sec qui portait la poussière ancienne.
Ils marchèrent en silence sur le sentier rocailleux qui longeait la vallée.
Les jambes engourdies, les pensées trop pleines.
Kael jetait parfois un coup d’œil à Adam, encore sonné, mais vivant.
Chaque pas les ramenait vers la surface, vers le monde réel…
…mais rien n’avait plus la même texture.
L'air semblait plus lourd,
comme si le temple avait laissé une trace sur la peau du monde lui-même.
Plus Kael s’éloignait, plus il sentait le poids invisible de ce qu’il avait vu,
de ce qu’il avait laissé en bas.
Le trajet jusqu’au véhicule fut long, silencieux, irréel.
Un renard famélique les observa depuis une crête rocheuse, figé comme une statue.
Plus loin, un cri d’oiseau résonna, solitaire, amplifié par les parois abruptes.
Tout semblait trop net, trop figé,
comme si le monde extérieur retenait son souffle après leur retour.
Et lorsqu’ils démarrèrent,
le monde autour semblait... figé.
Comme si le temps avait attendu leur retour.
La porte d’entrée s’ouvrit en silence,
laissant pénétrer une brise froide dans l’appartement plongé dans la pénombre.
Kael retira ses chaussures avec précaution, évitant le moindre bruit.
Un rapide coup d’œil vers la chambre lui confirma que sa sœur dormait profondément,
dans le lit de Kael,
recroquevillée autour de son oreiller.
Elle le serrait contre elle avec une douceur désarmante,
comme si l’odeur de Kael dans le tissu l’aidait à se sentir en sécurité.
Son souffle paisible contrastait avec la tempête qui grondait encore en lui.
Une mèche de cheveux tombait sur son visage.
Du bout des doigts, il la replaça derrière son oreille,
puis remonta la couverture jusqu'à ses épaules.
Il resta un instant figé, observant son sommeil,
puis referma la porte sans un bruit.
Il se dirigea vers la salle de bain.
Le simple contact de ses mains sur ses vêtements le fit grimacer.
Le tissu était rigide, imprégné de sang séché.
Il les retira un à un avant d’entrer sous la douche.
L’eau chaude glissa sur sa peau,
traçant des sillons rougeâtres sur le carrelage blanc.
Il ferma les yeux.
Des images le frappèrent :
les pieux,
le sang,
le souffle coupé.
La sensation de l’acier sifflant à quelques centimètres.
L’adrénaline encore présente dans ses veines.
Il rouvrit les yeux, haletant.
Mais un détail le déconcerta.
Il passa ses mains sur son torse,
sur ses bras,
ses épaules.
Il ne trouva ni coupure,
ni ecchymose.
Sa peau était lisse, intacte,
comme si elle avait été refaite.
Son regard glissa vers son épaule gauche.
Le tatouage s’était étendu.
Ses lignes couraient désormais jusqu’à la base de la nuque,
épaissies,
réorganisées.
Il le toucha du bout des doigts.
Une pulsation répondit.
Sorti de la douche, une serviette nouée à la taille,
il s’approcha du miroir.
Il s’y fixa.
Son regard lui semblait plus sombre,
plus profond…
Puis, fugace.
Un chiffre apparut.
Un compte à rebours.
Clignotant.
Irrégulier.
Comme une rémanence.
Avant de disparaître.
Il se redressa brusquement.
Tenta de fixer à nouveau.
Mais il n’y avait plus rien.
Il quitta la salle de bain,
traversa le couloir plongé dans le silence.
Dans la cuisine, il se servit un verre d’eau.
Il bu lentement,
chaque gorgée semblant apaiser une infime fraction du tumulte en lui.
Le salon l’accueillit dans une obscurité tiède.
Il s’affala sur le vieux canapé.
La télévision fut allumée,
images fades,
son bas.
Il ne regardait pas vraiment.
C'était juste du bruit,
un rempart fragile contre le vide.
Son regard se perdit dans le noir.
Ses pensées revenaient en boucle.
Il se rappelait des fresques,
de la douleur,
des runes,
des êtres aux marques semblables.
Des époques différentes,
des visages flous mais réels.
Il savait que ce n'était pas des hallucinations.
La marque sur son épaule était un lien.
Un fil qui traversait les âges.
Et ce pouvoir…
il ne savait pas le nommer.
Pas magie.
Pas science.
Quelque chose d’encore plus ancien.
Quelque chose qui s'était activé en lui.
Il murmura :
— Bénédiction, ou malédiction… ?
Il ferma les yeux, désireux de silence, de repos.
Mais ce fut un flot d’images qui surgit.
Les temples.
Les silhouettes.
Et le chiffre.
Encore.
Il se leva brusquement,
titubant presque.
Mais son corps n'en pouvait plus.
Il retomba sur le canapé.
Les yeux se fermèrent.
Et avant de sombrer dans le sommeil,
une dernière pensée lui traversa l’esprit, limpide :
Je dois comprendre tout ça. Ce pouvoir. Cette marque... Mais pas ce soir.
La télévision continuait de diffuser des sons indistincts.
Le calme régnait.
Et Kael dormait.
Mais même dans ce sommeil,
un frémissement persistait sous sa peau.
Comme si quelque chose,
quelque part,
continuait de veiller.
