Nyx inspire profondément, ses poumons cherchant l'air, un geste aussi nécessiteux que si elle venait d'émerger de l'eau. Elle se tourne vers Star, ses yeux brillants d'une gravité nouvelle.
-:" Ils sont dangereux. »
Star hoche lentement la tête, ses sourcils froncés.
-:" Tu as raison. Nous ne pouvons pas nous permettre de les sous-estimer ni de baisser la garde."
Le murmure de Nyx est chargé d'une tension électrique, presque vibrante :
-:"S'ils comptent vraiment te surveiller d'aussi près, nous devons être proactifs. Recueillir des informations, anticiper leurs mouvements…"
Star laisse échapper un soupir nerveux, ses pensées s'emballant à toute allure.
-:" On pourrait peut-être… essayer d'infiltrer les bureaux administratifs après les heures de cours. Voir s'il y a des documents, des correspondances… n'importe quoi qui parle de moi."
Nyx se mord la lèvre, les yeux baissés. Son cœur lutte entre prudence et nécessité.
-:" Ce serait incroyablement risqué. Mais… si cela nous permet de devancer leurs complots… "
-:" Oui, bon plan. Mais avant tout, sortons d'ici. "
Nyx acquiesce. La tension la maintient droite, rigide, comme un soldat prêt au combat.
:" Tu as raison. Quittons cet endroit d'abord. Nous discuterons des détails… ailleurs, dans un lieu plus sûr. "
Elle balaie le couloir d'un regard perçant, puis sort discrètement de l'alcôve, ses gestes précis et silencieux. Elle fait signe à Star de la suivre. Ensemble, ils glissent dans les couloirs restants, leurs pas mesurés, leurs corps plaqués contre l'ombre des immenses rayonnages et des piliers de pierre.
Finalement, une lourde porte sculptée s'ouvre sur l'extérieur. Et ce qu'ils découvrent n'a rien d'une simple cour de récréation.
La cour intérieure de l'académie s'étend devant eux comme une cathédrale ouverte au ciel. De hautes arches gothiques s'élancent vers les cieux, reliées par d'immenses verrières où la lumière se brise en éclats pâles. Un brouillard léger s'accroche au sol, flottant au-dessus d'un dallage luisant d'humidité.
À certains endroits, l'eau stagnante forme des miroirs naturels, réfléchissant les arbres décharnés qui dressent leurs branches nues comme des bras tordus.
Ces arbres, pourtant dépourvus de feuillage, scintillent d'une étrange beauté : des lanternes suspendues aux branches difformes projettent une lueur dorée, transformant chaque reflet dans l'eau en un ballet d'étoiles inversées.
L'air est froid, presque mordant, et chargé d'un parfum de pierre humide et de cire consumée.Star s'arrête un instant, frappé par la majesté de cet endroit à la fois magnifique et inquiétant.
-:" Alors ça, c'est ce que tu pouvait appeller une cour de récréation avant ?" souffle-t-il avec un sourire nerveux.
Nyx, malgré la gravité de la situation, esquisse un mince sourire, ses yeux suivant les flammes tremblantes des lanternes.
-:" Non. Pourtant, ici, même les endroits censés être banals ressemblent à des sanctuaires interdits. "
Ils avancent, leurs pas résonnant doucement sur le marbre humide, leurs silhouettes se reflétant dans l'eau trouble. Chaque arbre semble les observer, chaque éclat de lumière se plier à leurs secrets.
Et dans cette cour d'apparence somptueuse, une certitude glaciale s'impose à Nyx comme à Star : l'académie est aussi belle que dangereuse, et chaque pierre cache un piège.
***
[Internat de l'académie / dortoirs de la classe moyenne, 7h33]
Le lendemain matin, l'aube se leva claire et fraîche, ses rayons orangés traversant les hautes fenêtres de l'internat. La vaste salle commune, où des rangées de lits impeccablement alignés s'étendaient sur plusieurs travées, s'emplissait peu à peu d'un mélange de voix étouffées, de pas pressés et du bruissement des draps qu'on repliait.
La plupart des étudiants étaient déjà éveillés, certains s'habillant avec une discipline militaire, d'autres récitant mentalement leurs leçons ou échangeant des mots rapides avant la première convocation du jour. Un parfum discret de cire et de poussière flottait encore dans l'air, signe du passage récent des surveillants.
Par contraste, au fond de la salle de repos, Star dormait encore profondément. Son corps enfoncé dans la literie, une mèche sombre tombant en travers de ses yeux fermés, il ne semblait pas avoir conscience du tumulte ambiant. À chaque respiration régulière, sa couverture se soulevait légèrement, et malgré le vacarme grandissant, il demeurait figé dans un sommeil lourd, presque obstiné.
C'était depuis longtemps, la seule fois où il se permettait de suffisamment bien dormir. Autrefois, dans les "bas-fonds", la nécessité de survivre aux attaques incessantes des monstres au alentours ; les pilleurs et criminels ; les conditions précaires et peu confortables qui laissent de profondes séquelles etc.
Star était seul. Il ne connaissait pas ces parents, personne non plus.
Il avait toujours grandi avec nyx ayant été à ses côtés depuis enfants, ils n'étaient pas frères et sœurs de sang mais ils ont toujours été inséparables.
En revenant au présent, quelques étudiants passèrent devant son lit en ricanant doucement.
-:" Toujours le dernier, celui-là…" souffla l'un.
Mais Star ne broncha pas, perdu dans un monde qui lui appartenait encore.
Au milieu de ce réveil général, Nyx, déjà debout depuis longtemps, refermait soigneusement le col de son uniforme.
Son regard glissa sur la porte de la salle de Star puis vers l'horloge qui s'écoule au dessus de la sienne, un mélange de lassitude et d'une pointe d'amusement discret, car elle ne l'a toujours pas aperçu en dehors des draps.
Elle hésita un instant :
" devrais-je lui tirer de force de son sommeil ou le laisser affronter seul les conséquences de son retard ?"
La lumière continuait de se répandre, plus vive, et l'agitation grandissait. La journée à l'académie s'annonçait exigeante… mais pour Star, elle n'avait même pas encore commencé.
Alors que le dortoir s'emplissait de bruits de pas et de murmures, une silhouette s'approcha calmement du lit de Star.
Contrairement à ceux qui se contentaient de ricaner en le voyant encore assoupi, ce nouveau venu ne fit pas de bruit inutile. Avec un mouvement presque entraîné, mesuré, il se pencha et donna une simple tape légère sur le front de Star. Pas de brutalité, pas de reproche : juste un geste précis, comme s'il savait exactement comment ramener quelqu'un à la réalité sans fracas.
Star fronça les sourcils, d'abord agacé de voir son sommeil interrompu. Mais l'agacement disparut aussitôt lorsqu'il reconnut celui qui se tenait devant lui : Tom de Vossein.
Le gars super fort, celui qui, la veille, avait pris sa défense sans hésiter. L'image de cette scène revenait encore en mémoire : Tom, droit et solide comme un mur, affrontant ceux qui cherchaient à rabaisser le nouvel arrivant.
Star se redressa lentement sur un coude, l'air perplexe. Tom n'était pas seulement impressionnant par sa carrure ou son calme, il dégageait aussi une autorité naturelle qui imposait presque le respect.
Star savait qu'il n'avait aucun intérêt à se mettre à dos quelqu'un comme lui. Mais alors… pourquoi ce geste ? Pourquoi cette façon douce de le réveiller, là où d'autres auraient choisi la moquerie ou l'indifférence ?
-:" Allez, tu vas être en retard, petite pieuvre."
Le mot claqua doucement dans l'air, inattendu. Star pencha aussitôt la tête sur le côté, les yeux écarquillés. Petite pieuvre ? D'où sortait-il un surnom pareil ? Rien, absolument rien, ne justifiait ce choix… et pourtant, dit sur ce ton-là, presque tendre, ça sonnait naturel.
Star resta figé un instant, partagé entre l'étonnement et l'amusement. L'image de Tom, colosse calme et redoutable, l'appelant ainsi avait quelque chose de totalement absurde.
À quelques pas de là, Aïcha, qui observait la scène depuis son lit, éclata littéralement de rire.
-:" Hahaha… il l'a vraiment fait, le doux Tommy !"
Ses longs cheveux noirs, lâchés et encore un peu emmêlés du réveil, dansaient autour de son visage tandis qu'elle se balançait de gauche à droite, se tenant le ventre comme si c'était trop pour elle.
Tom leva les yeux au ciel, mais ses lèvres trahirent l'ombre d'un sourire.
-:" Pfff… fichu pari." marmonna-t-il.
Et, sans accorder plus d'importance aux protestations de Star ou aux rires d'Aïcha, il commença à remettre un peu d'ordre dans le lit du nouveau, repliant la couverture avec une efficacité presque militaire.
La scène, improbable, paraissait irréelle. Star, encore à moitié endormi, ne savait plus s'il devait rire ou s'inquiéter. Pourquoi Tom lui témoignait-il une telle bienveillance ? Et surtout… quel genre de pari pouvait pousser l'un des plus redoutés de l'académie à donner un surnom pareil ?
***
Les uniformes fraîchement repassés reflétaient la discipline de l'institution : chemises blanches impeccables, cravates rouges tissées de fins motifs dorés, et pour chacun, une touche différenciée.
Star et Tom, fidèles au règlement, portaient leur gilet gris sans manches ajusté, tandis qu'Aïcha, dans une jupe-boutonnée de la même teinte, avait laissé sa longue chevelure noire retomber en cascade, contrastant avec le sérieux de son uniforme. Le sabre rangé dans son fourreau, elle avait cette allure singulière : mi-élève, mi-guerrière.
Le trio franchit les couloirs animés de l'internat. Les pas résonnaient dans les couloirs encore baignés d'une lumière pâle, où se mêlaient murmures pressés, rires étouffés et froissements de papier.
À la surprise de Star, la conversation coulait entre eux sans effort. Les échanges n'avaient rien de contraint : un rire léger d'Aïcha, une remarque taquine de Tom, parfois une réplique plus maladroite mais sincère de Star.
Lui-même n'aurait jamais cru trouver ce genre d'ambiance si tôt après son arrivée. C'était étrange, oui… mais étrangement réconfortant. Pour la première fois depuis longtemps, il avait le sentiment d'appartenir à quelque chose.
Ils traversèrent ainsi les longs couloirs vitrés, jusqu'à arriver devant l'imposant bâtiment D. Là, les portes hautes et sombres s'ouvrirent sur un espace encore plus solennel.
En salle 4, une trentaine d'élèves étaient déjà installés. Le brouhaha des voix se fit plus discret lorsque le trio franchit le seuil.
Quelques têtes se tournèrent. Certains élèves échangèrent des regards étonnés. D'autres, plus froids, détournèrent aussitôt l'attention comme si rien n'avait changé. Mais le constat était clair : voir Tom de Vossein, réputé distant et intimidant, entrer en compagnie du nouveau venu et de l'espiègle Aïcha, éveillait la curiosité.
Naturellement, Tom alla s'installer derrière la place habituelle d'Aïcha. La jeune fille se laissa tomber à sa chaise d'un geste souple, posant son sac contre le bureau avant de faire tournoyer distraitement son stylo.
Star, lui, chercha du regard l'endroit exact où sa « grande sœur autoproclamée » lui avait indiqué de s'asseoir la veille. La place à sa droite. Mais à peine eut-il posé les yeux dessus qu'il constata qu'elle était déjà occupée.
Une fille.
Elle semblait plongée dans son Cristal de Transmission , un moyen de communication très standard à Célestian parmi les dominants de la nation et utilisé majoritairement par les Arcanistes, ou les étudiants avancés.
Ce sont en principe de Petits fragments résonants, qui transmettent la voix ou l'image de leur possesseur à un autre cristal lié.
Plus chers et précis selon la qualité.
la lumière de l'écran se reflétant sur ses lunettes. Ses cheveux clairs, attachés à la va-vite mais avec une élégance involontaire, glissaient en mèches brillantes sous la lumière matinale qui filtrait des grandes fenêtres.
Son uniforme, bien que strict, paraissait presque adapté à sa silhouette décontractée. Un étui de guitare dépassait à côté de son bureau, signe qu'elle ne se conformait pas tout à fait à l'image standard de l'élève modèle.
Star s'arrêta un instant, un peu désorienté. La place qui devait être sienne était bloquée par cette inconnue, et il sentit un mélange d'embarras et d'agacement monter en lui.
Aïcha, qui avait remarqué son hésitation, lança un petit sourire moqueur.
-:" Qu'est-ce que tu attends, Star ? Tu comptes rester planté comme ça toute la matinée ?"
Le nouvel étudiant inspira profondément. Ses yeux croisèrent enfin ceux de la fille à la guitare, qui venait de relever la tête de son téléphone. Un regard tranquille, presque indifférent, mais où se nichait une étincelle curieuse, comme si elle s'amusait déjà de cette situation.
Star s'approcha, encore hésitant, son sac sur l'épaule.
-:" Bonjour. Il s'agit de ma place."
La fille leva doucement les yeux vers lui. Son regard violet, presque translucide, sembla sonder au-delà de ses mots. Un silence étrange s'installa, comme suspendu. Puis, sans un mot, elle se décala d'un geste fluide, presque trop naturel, laissant le siège libre.
Star en fut surpris. Il s'attendait à une remarque sèche, à une confrontation ou à une excuse au moins murmurée. Mais non. L'affaire était réglée plus facilement qu'il ne l'aurait cru. Trop facilement, peut-être.
Il posa alors ses affaires scolaires ou du moins ce qui y ressemblait sur le bureau et s'assit, essayant de se concentrer sur ce qui l'attendait. Mais bientôt, il sentit ce poids invisible : le regard de la fille. Persistant.
Serein mais intrusif, telle une note qui résonne trop longtemps après la fin d'un morceau.
D'ordinaire, il aurait ignoré ce genre de choses.
L'indifférence avait toujours été son armure. Pourtant, un détail revenait insister dans sa mémoire : la veille, dans la bibliothèque, il avait entendu deux voix converser dans la pénombre.
Deux hommes ? Non… l'une d'elles portait une résonance plus jeune, plus douce, presque cristalline. Est-ce que c'était elle ?
Il n'avait aucune preuve. Rien de concret. Mais l'intuition cognait fort à l'intérieur de lui.
"D'ailleurs, nyx et moi… on doit se voir aujourd'hui."
La pensée traversa son esprit comme une évidence, même si elle n'avait encore aucun sens.
Et soudain, une voix s'éleva. Mélodieuse. Clarté étrange qui trancha le silence environnant comme une harpe invisible.
-:" Quelle harmonie caches-tu ?" dit-elle doucement, sa tête légèrement penchée, ses yeux plantés dans les siens.
-:" Est-ce que ton zéro… est une note dépourvue de tout son ?"
Les mots frappèrent Star de plein fouet. Pas seulement à cause de leur étrangeté, mais de ce qu'ils réveillaient en lui.
Il releva lentement les yeux vers elle, cherchant à décrypter son expression. La fille le fixait toujours, un léger sourire à peine esquissé aux lèvres.
Ni provocation, ni moquerie. Plutôt une énigme vivante, comme si chaque phrase était une clé qu'elle lui tendait, en défi silencieux.
Autour d'eux, la classe reprenait ses habitudes, le brouhaha des élèves se mêlant aux grincements de chaises. Mais entre eux, c'était de la même manière qu'une bulle s'était formée, isolée du reste du monde.
Star inspira, ses poings légèrement crispés sous la table.
Il hésitait :
"devrais-je répondre ? L'ignorer ? Ou accepter le jeu étrange de cette inconnue aux cheveux d'argent ?"