[Célestian / académie Arcanique. 17h35–18h15]
Lors du retour aux dortoirs ces derniers reprennent la forme d'un monde à part. Les fenêtres s'ouvrent sur la cour qui s'assombrit, les lampes s'allument une à une et la chaleur des chambres succède au froid des couloirs. Chacun reprend ses affaires, prépare ses livres, la vie reprend une logique intime et réglée.
Nyx range une petite trousse d'outils symboliques des parchemins, un carnet, quelques fioles scellées en prenant soin de les dissimuler dans un double-fond de sa malle. Star ajuste ses vêtements ; il choisit des habits sombres, sobres, pour ne pas attirer l'œil. Ils vérifient une dernière fois leur échange de signes. Plus que la technique, ce sont les codes qui les relient : un mot, un geste, une synchronisation.
Aïcha rigole en voyant l'air trop sérieux du duo, tom, lui, leur glisse une remarque taquine sur la prudence. Personne ne doit savoir. Ils se présentent comme deux étudiants qui vont faire une promenade nocturne, rien de plus.
La soirée s'étire. Les repas se font rapides et tranquilles ; les couloirs prennent une teinte plus douce. Nyx et Star passent en revue ce qu'ils ont vu l'après-midi que ce soit les points de garde, les fenêtres claires et les tronçons où la lanterne magique n'est pas toujours allumée. Ils ne notent pas d'horaires précis ouvertement, ils n'écrivent rien qui puisse se perdre. Tout tient dans la nuance.
Ils se couvrent d'objets inoffensifs : capuchons, gants, un petit carnet blanc pour copier des titres, une fiole d'encre pour prendre des notes rapides. Ils décident aussi d'un lieu de rendez-vous de secours la vieille fontaine de la cour extérieure et d'un mot-sémaphore à murmurer en cas d'alerte. Leur ton est grave mais résolu ; l'humour revient parfois, pour alléger la tension.
Nyx demande encore une fois :
" Tu es sûr ?"
Star hoche la tête. Il n'y a pas d'illusion : ce qu'ils vont faire est risqué. Mais l'idée de rester passifs face à l'injustice et aux zones d'ombre les ronge plus que la peur de l'interdit.
[Célestian/ Académie Arcanique. 23h00]
L'extinction des feux sonnait. La nuit tombe comme un voile. L'académie change d'allure : les couloirs se vident, les torches vacillent, la voix des gardiens s'éloigne. Ils patientent, silencieux, jusqu'au moment où les lustres principaux s'atténuent et que le murmure général se transforme en un souffle endormi.
Ils quittent les dortoirs à pas mesurés. Leur progression est un exercice d'ombres. Ils n'entrent pas dans des détails techniques ; ils savent simplement se faufiler, éviter les endroits trop exposés, privilégier les zones d'ombre. Leur cœur bat plus vite à mesure qu'ils avancent, mais leur visage reste maître de sa retenue.
Arrivés à l'aile administrative, dans le bâtiment A, l'air prend une densité différente : on sent le poids des décisions et du secret. Ils avancent côte à côte, complices sans être effrontés. Nyx glisse un mot doux, rassurant, et Star répond par un sourire qui contient autant de promesses que de prudence.
Ils se séparent en silence chacun avec son rôle, chacun conscient que la moindre erreur change tout.
Ce qu'ils vont faire ensuite, imaginons : une incursion brève, des mains qui tournent des pages, des regards sur des noms et des phrases qui expliquent ou qui jettent encore dans des ombres d'interrogations. Ce ne sera pas un braquage spectaculaire mais une quête discrète d'informations. Ils ne veulent pas tout casser ; ils veulent comprendre.
Les couloirs de l'aile administrative baignaient dans une lumière lunaire filtrée par les grandes fenêtres. L'endroit semblait endormi, mais chaque détail le craquement d'une latte de bois, le scintillement discret d'une rune trahissait la vigilance invisible de l'académie.
Star resserra sa cape autour de lui, son souffle mesuré. À ses côtés, Nyx effleurait du bout des doigts l'air devant elle : une pellicule d'énergie invisible se réverbéra un instant, révélant une première rune de détection gravée dans les moulures du mur.
-:" Elles sont partout…" murmura-t-elle, sa voix à peine audible.
Star se pencha légèrement, ses yeux froids suivant les symboles qui luisaient faiblement. -:" Si on fait un pas de travers, elles alertent tout le pavillon et plus encore."
Nyx hocha la tête, puis concentra une fine pulsation d'énergie. Les runes vibrèrent, bercées, puis se mirent à s'éteindre une à une, créant un passage étroit et instable. -:" Vite. Ça ne tiendra pas longtemps."
Ils s'élancent, leurs pas résonnant à peine sur le carrelage. Le couloir suivant semblait désert, mais une illusion subtile brouillait la perspective : les murs ondulaient, rallongeant le corridor sans fin. Star fronça les sourcils. -:" Une illusion de boucle."
Nyx, plus concentrée que jamais, posa une main sur son bras. -:" Laisse-moi faire" Fermant les yeux, elle modifia la vibration de son énergie, cherchant une faille dans le sort. Quand ses paupières se rouvrirent, une porte camouflée se dessina dans l'ombre d'un pilier. -:" Par ici. "
Ils n'avaient pas fait trois pas que Star s'arrêta brusquement. Au détour d'un angle, un garde était assis, apparemment endormi, la tête basculée contre le mur. Mais le moindre mouvement dans son périmètre éveillerait ses sens aiguisés.
Star tendit le bras pour retenir Nyx, ses yeux luisant de calcul. -:" Si on passe, il nous entendra."
Nyx respira profondément, sa main serrant la sienne. -:" Laisse-moi essayer." Elle leva la paume, libérant une infime vibration d'énergie qui glissa dans l'air telle une mélodie muette. L'aura du garde s'apaisa davantage, son souffle s'alourdissant, sombrant dans un sommeil encore plus profond.
Ils passèrent silencieusement… mais Star heurta accidentellement le coin d'une table, produisant un léger grincement. Le garde remua. Nyx, sans réfléchir, attrapa Star et l'attira contre elle, le plaquant dans l'ombre d'une alcôve. Son cœur battait si fort qu'il pouvait l'entendre contre sa poitrine.
Quelques secondes suspendues… puis le garde replongea dans son sommeil.
Leurs regards se croisèrent dans l'obscurité. Nyx souffla, un sourire nerveux aux lèvres. -:"Tu pourrais faire un peu plus attention."
Star détourna les yeux, gêné par leur proximité, mais une lueur amusée brillait dans son regard.
-:" Encore une fois... tu m'as sauvé."
Ils reprirent leur route, plus prudents que jamais. Les portes du cœur administratif de l'académie se dressaient déjà au bout du couloir, lourdes et gravées de sceaux protecteurs.
La véritable épreuve les attendait.
La poignée de la porte céda dans un léger cliquetis, et la lourde porte de bois s'ouvrit avec un grincement assourdissant dans le silence du couloir. Nyx passa en premier, ses pas prudents absorbés par le tapis sombre, suivie de près par Star qui referma soigneusement derrière eux.
L'air qui emplissait la pièce avait quelque chose de figé, comme si l'endroit n'avait pas été foulé depuis des années. Des rayonnages de livres imposants s'alignaient jusqu'au plafond, emplis de grimoires reliés de cuir noir, de registres épais marqués d'emblèmes dorés, et de boîtes scellées à la cire de l'académie. Au centre, un bureau monumental de chêne croulait sous les piles de papiers, d'encriers et de cachets de cire.
-:" On dirait que tout l'avenir de l'académie tient dans cette pièce…" murmura Nyx, ses yeux d'un bleu profond balayants les étagères avec une vigilance instinctive.
Star, lui, avait du mal à retenir un sourire mêlé de nervosité. Il posa une main sur le bureau, comme pour s'assurer que ce n'était pas une illusion. Chaque tiroir semblait murmurer des secrets interdits.
Ils commencèrent à fouiller avec précaution, repoussant des registres trop lourds, ouvrant des classeurs poussiéreux aux intitulés froids : Archives de discipline, Registres de sang, Évaluations des aptitudes arcanes. Les écritures étaient froides, impersonnelles, comme si chaque élève n'était qu'un numéro.
Star, en déplaçant un rouleau de parchemin, sentit une légère résistance. Sous une pile mal rangée, il découvrit un dossier cartonné dont le coin dépassait. Il le tira, essuya la poussière du revers de sa manche et lut à voix basse :
-:" ...Projet Gargantuesque – ■■■".
Le souffle lui manqua un instant. Les pages à l'intérieur décrivaient un plan colossal : des expériences, des classifications, des schémas anatomiques d'élèves aux pouvoirs instables et titanesques. Des mots revenaient : fusion, résilience, remodelage, géant...
Star fronça les sourcils, une sueur froide perlant à sa nuque.-:" ils nous utilisent comme des pièces de laboratoire ?"
Pendant ce temps, Nyx s'était accroupie près d'une armoire basse, manipulant une serrure d'un geste précis. Un déclic retentit, et elle ouvrit le meuble. Dedans, des dossiers rangés trop soigneusement. Elle sortit un document au cuir plus usé que les autres. Le titre la fit pâlir :
-:" Projet A&Z – Candidats restants : n°3684 et n°1562."
Elle retourna les premières pages, son cœur battant la chamade. À l'intérieur, des portraits dessinés à l'encre… leurs visages. Le sien, et celui de Star, y figure curieusement. En dessous, des notes codées, des évaluations de capacités arcanes, et des commentaires secs : Potentiel instable mais prometteur. À surveiller.
Nyx referma le dossier d'un coup sec et le plaqua contre elle, la gorge nouée.
-:" Star… ils savaient. Ils savaient qu'on viendrait ici. Nos noms… ils sont dans leurs projets."
Le silence de la pièce devint étouffant, brisé seulement par le bruit de leur respiration. Star lâcha un rire nerveux, presque incrédule, mais ses yeux trahissaient l'inconfort.
-:" Mais… il y a une erreur. On n'y a jamais participé.
Alors pourquoi nos noms ?"
Ce n'est pas la peur d'être expérimentés, mais la peur d'avoir été prévus dans cette machination tordue.
De la même sorte que l'académie ou son administration la plus secrete connaissait leur avenir avant eux.
Sur le bureau, entre les documents, brillait faiblement un objet oublié : une clé métallique, incrustée de symboles arcanes mouvants. Elle semblait réagir à leur présence, pulsant comme un cœur battant.
Nyx la fixa longuement.
-:" Ça… ce n'est pas un simple objet administratif. C'est un sceau. Une clé vers quelque chose de plus grand."
Star la ramassa, et à l'instant même, une onde sourde parcourut la pièce, faisant trembler les bougies. Les rayonnages grincèrent, comme si l'académie elle-même avait senti qu'on venait de briser une limite interdite.
Dans ce bureau chargé de secrets, les deux comprirent que leur présence à l'académie n'avait jamais été le fruit du hasard. Ils n'étaient pas de simples élèves. Ils étaient les candidats d'un projet qui les dépassait…
Et désormais, il n'y avait plus de retour en arrière.
Le silence pesait encore sur la pièce. Nyx refermait le dossier « A&Z » contre elle, tandis que Star serrait la clé étrange dans sa paume, comme si elle allait disparaître. La tension, déjà lourde, fut brisée par un détail presque imperceptible : le craquement subtil d'une dalle sous un pas léger.
Les deux se figèrent.
-:" Vous avez mis du temps. Je commençais à croire que vous n'oseriez pas venir jusqu'ici."
Star sentit un frisson courir dans son dos. Il connaissait cette voix. Elle résonnait comme une réminiscence lointaine, la même note cristalline entendue dans la bibliothèque, entre les souffles étouffés des grimoires.
-:" C'est elle… la même voix que cette nuit-là."
Mais quelque chose ne collait pas. À l'époque, la voix semblait presque curieuse, fragile. Ici, elle vibrait d'une nuance différente : autoritaire, tranchante.
Certes, Contrairement à ce qu'il pensait déduire, son observation se rapprochait de la confirmation que mélissa, l'inconnue qui fredonne entre les silences, pourrait être la détentrice de cette voix... Pourtant cela ne résonne plus pareillement.
Un souffle glissa dans l'air, comme une caresse glaciale. Puis, lentement, dans l'ombre projetée par la statue de marbre qui trônait au centre du bureau, une silhouette se détacha. Fine, élancée, presque fragile dans ses contours. Mais l'assurance de sa posture irradiait une force qui n'avait rien de naïf.
Nyx fut la première à lever les yeux. Son cœur se serra, ses lèvres s'entrouvrirent dans un souffle :
-:" … Toi… "
La silhouette ne répondit pas tout de suite. Elle resta immobile, comme suspendue dans une attente silencieuse. Puis, avec un naturel glaçant, une voix claire et juvénile fendit l'air : La silhouette, comme lassée du jeu, glissa avec une aisance féline depuis le socle de la statue.
Ses pieds touchèrent le sol sans bruit, son corps se mouvant comme une ombre liquéfiée. Les chandelles vacillèrent, comme si sa présence seule altérait la pièce.
Star fit un pas en avant, fronçant les sourcils.
-:" tu nous suivais depuis le début."
Ses doigts crispés sur son manteau trahissaient autant la colère que le calme.
L'inconnue inclina la tête, un sourire énigmatique ourlant ses lèvres trop calmes. Ses yeux, d'un éclat presque enfantin, brillaient pourtant d'une dureté glaciale. L'innocence n'était là que comme un masque, un voile trompeur.
-:" Non." répondit-elle d'une voix basse, presque amusée.
Puis, redressant légèrement le menton, elle ajouta :
"Je vous attendais."
Un silence glaça leurs poitrines, avant que ses mots suivants ne tombent comme un couperet :
"Je vous attendais, humains sales."
Nyx serra le dossier contre elle, ses jambes tendues comme prêtes à bondir. Son esprit s'embrouillait entre des images contradictoires : la voix qui fredonnait autrefois, douce, presque mélodieuse, et celle-ci, tranchante comme une lame. Était-ce vraiment la même personne ? À moins que cette fille joue-elle plusieurs rôles, plusieurs masques à l'image d'une comédienne cruelle ou hantée ?
Star croisa son regard, et ce fut plonger dans un puits sans fond. Ces yeux semblaient avoir vu plus que leur âge apparent, comme s'ils portaient une mémoire étrangère.
L'inconnue s'avança de deux pas. Le bruit de ses pas fut presque englouti par un souffle étrange qui parcourut la salle, soulevant les pages éparpillées.
-:" Ce que vous touchez ne vous appartient pas, dit-elle en pointant du doigt la clé que Star gardait serrée dans sa main, et ce que vous lisez ne vous était pas destiné."
Sa voix restait juvénile, mais ses paroles portaient l'autorité d'un juge.
Star inspira brusquement.
-:" Alors quoi ? Tu es venue nous arrêter ?"
L'inconnue marqua une pause, ses yeux brillant d'un éclat à la fois cruel et joueur. Puis elle esquissa un sourire qui fit frissonner Nyx.
-:" Non… je suis venue voir jusqu'où vous oseriez aller."
Un silence retomba, épais comme du plomb. Était-ce une menace ? Une invitation ? Ou simplement un jeu pervers ?
Le choix se présentait devant eux : fuir et laisser ces dossiers derrière eux, ou affronter cette énigme incarnée, quitte à attirer sur eux toute l'attention de l'académie.
Et dans cette pièce close, sous le regard immobile de la statue, chaque seconde s'étirait comme un fil tendu au bord de la rupture.