"Nous demandons à tous les habitants de se préparer à une éventuelle téléportation dans l'altermonde..."
C'était ce qu'une journaliste disait, en plus de quelques directives et conseils qui semblaient être délivrés par L'ÉTAT. Regardant l'annonce faite depuis son téléphone portable, un jeune homme de teint noir d'ébène regardait les infos avec un air fatigué. Il devait faire 1m75, avait une corpulence moyenne et devait avoir 18 ans. Malgré son teint d'ébène, il semblait bien pâle, comme s'il n'arrivait pas à dormir.
<< Argh !! Encore ce foutu cycle, je ne veux pas rester dans le noir moi !! >> dit-il avec une expression agacée sur le visage.
En effet, depuis près d'une trentaine d'années, un phénomène a ébranlé le monde : des failles ont commencé à se manifester un peu partout, laissant échapper des créatures tout droit venues des profondeurs de l'enfer. Et comme si cela ne suffisait pas, chaque année, des centaines de personnes se font téléporter dans le monde d’où semblent venir ces monstres, et ce, durant une période de 96 heures où la nuit recouvre l’entièreté du globe terrestre. Que ce soient des enfants, des personnes âgées ou même des malades, n'importe qui pouvait être transporté dans cet autre monde, aussi appelé l'altermonde. Cependant, s’ils parvenaient à survivre durant cette période, ils se voyaient dotés d’un grand pouvoir, comme une bénédiction ou une récompense pour avoir survécu dans cet enfer. Et ceux ayant acquis ce pouvoir se font appeler :
<< des Transcendants >>
Cette pensée lui était venue à l'esprit après avoir vu une affiche présentant l'un des Transcendants les plus puissants du Cameroun : Abed, un homme d'une trentaine d'années, avec un teint brun très foncé et des yeux d’un jaune soleil. Ces caractéristiques faisaient de lui un homme incroyablement beau. Bien que la population ne dispose pas de beaucoup d'informations à son sujet, on savait qu'il était le seul rescapé du cycle d'il y a 9 ans.
<< Ça veut dire que quand il est entré, il devait avoir environ 21 ans ? C'est plutôt jeune... >>
Essayant de rester éveillé le plus longtemps possible afin de ne pas s'écrouler de fatigue en route, il se dirigea vers sa maison.
C'était une maison de taille moyenne, construite en béton et recouverte d’un toit en tuiles rouges. La façade était peinte dans des tons clairs — blanc cassé, beige ou gris pâle — et percée de fenêtres rectangulaires encadrées de volets.
À l’intérieur, on trouvait un salon modeste, une cuisine fonctionnelle, deux ou trois chambres, une salle de bain et parfois un petit bureau. Le mobilier était basique mais confortable, souvent assorti à la couleur des murs. L’ambiance y était chaleureuse, sans luxe particulier, mais bien entretenue.
Se dirigeant vers sa chambre, il s’allongea sur le dos, les paupières lourdes. Son regard se perdait dans le vide sans vraiment le voir. Sa respiration devenait lente, régulière, presque imperceptible. Les pensées, autrefois agitées, se dispersaient peu à peu dans un brouillard cotonneux. Le corps s’enfonçait dans le matelas, chaque muscle relâché, comme si le poids du jour s’effaçait. Un dernier soupir, un frisson léger, puis le silence. Le sommeil était là, prêt à l’emporter.
Pourtant, ce ne fut pas le cas… Alors qu'il essayait de dormir, il entrevit un arbre au loin. Il ne pouvait pas bien percevoir sa forme ou sa taille, comme si les informations le concernant étaient floutées. C'était cette vision qui rendait son sommeil difficile. Mais ça n’a pas toujours été le cas : ce phénomène a commencé il y a à peine quelques mois. Au début, ce n'était ni aussi fréquent ni aussi intense qu'aujourd'hui. Et ce n’était pas la première fois qu’il apercevait cet arbre. Cela remontait à bien plus longtemps, bien avant le début de ce qui semblait être un rêve lucide.
Avec un air énervé par le manque de sommeil, il se força à se lever de son lit, mais remarqua que la nuit était déjà tombée.
<< C’est déjà l’heure ? Argh !! >>
En effet, c'était le moment craint de tous : la nuit inarrêtable. C'était le nom donné à ce phénomène.
Le jour s’éteignait plus vite que d’habitude, avalé par un crépuscule anormalement silencieux. Le ciel, d’un gris cendré, virait lentement au noir d’encre, sans laisser place aux étoiles. Un vent glacial se leva, sifflant entre les arbres comme un murmure d’outre-tombe. Les ombres s’allongeaient, déformées, vivantes presque. Chaque bruit prenait une autre dimension : un craquement devenait menace, un souffle devenait menace, un silence devenait insoutenable.
Il n’y avait plus de chants d’oiseaux, plus de lumière aux fenêtres, juste cette impression oppressante que quelque chose guettait, tapi dans l’obscurité. Ce n’était pas une simple nuit. C’était la nuit, celle qui envoyait des gens dans un traumatisme de 96 heures.
Ce qui rendait cette nuit différente de celles observées d'habitude, c’était la lune.
Haut dans le ciel, là où la nuit semblait plus noire que jamais, trônait une lune étrange : creuse en son centre, comme un anneau de lumière pâle suspendu dans le vide. Au cœur de ce vide flottait une sphère parfaite, d’un violet profond, presque irréel.
Elle pulsait lentement, comme un cœur vivant, projetant des ondulations lumineuses à la surface du monde endormi. Sa lueur n’éclairait pas, elle envahissait. Un halo mauve se répandait dans l’obscurité, recouvrant les ombres d’un voile spectral. Les étoiles, effacées par sa présence, semblaient fuir son regard.
Ce n’était pas une lune. C’était un œil silencieux, ouvert sur quelque chose de plus ancien que la nuit.
Depuis la fenêtre de sa chambre, Nabé observait la scène avec une inquiétude palpable sur le visage.
<< Je ne veux pas aller dans cet enfer… >>
pensait-il désespérément. Son cœur battait comme un tambour, encore et encore. Pendant près de 15 minutes d'angoisse, rien ne se passa de son côté.
Avec une expression soulagée sur le visage, il s'allongea sur son lit.
<< Merci mon Dieu, je devrais prier plus pour toi... ou pour moi ?... Peu importe. >>
Allumant la télé pour voir comment se portait le monde après cette scène, il vit plusieurs témoignages expliquant la disparition de proches :
"Ma fille n'a que six ans, comment peut-elle survivre là-bas ?!!..."
"Prions pour que nos proches nous reviennent sains et saufs..."
"J'espère ne jamais y aller jusqu'à ce que je meure de vieillesse..."
Écoutant les témoignages et les statistiques des personnes transportées cette année pendant près de dix minutes, il finit par éteindre la télévision et essaya de dormir encore une fois. Était-ce le soulagement ? Pour une fois, il dormit sans trop de peine, et allait en profiter.
***
Pendant près de trois jours, rien de particulier ne se passa.
Mais pour une raison ou pour une autre, Nabé sentait une douleur insoutenable venant de sa poitrine. Il avait des difficultés à respirer et transpirait énormément. C'était comme s'il perdait quelque chose qu'il avait depuis toujours. Non pas qu’il la perdait, mais comme si elle était épuisée.
S’écroulant sur le sol, essayant d’attraper son téléphone pour contacter de l’aide, il s’évanouit.
Et au même moment, quelque chose d’inédit se produisit : Nabé fut téléporté dans l’altermonde.