« J'avais 10 ans ce jour-là. C'était mon anniversaire… et tu m'avais offert un lapin. Celui que je t'avais supplié de m'acheter la semaine d'avant.
J'étais le roi du monde. Mika était jalouse, parce qu'elle ne cessait de dire que son père allait bientôt lui en offrir un aussi. Mais toi… toi, tu m'avais déjà fait ce cadeau.
J'étais heureux. Pendant toute la journée, j'ai joué avec ce lapin. Il m'empêchait de me sentir trop seul. Parce que, tu le sais, j'ai toujours été un enfant silencieux.
Je n'ai jamais eu beaucoup de sympathie pour les enfants de mon âge. Moi, je préférais regarder des documentaires. Les amis, je n'en avais pas besoin. Et je n'en voulais pas. Papa et toi… vous me couviez déjà de votre amour. J'avais tout ce que je demandais.
Et puis, grâce à la grande famille de papa, j'avais toujours des cousins et des cousines avec qui jouer.
Mais malgré tout ça… je me sentais fade à l'intérieur. Comme endormi. Ou bien… comme en train de mourir.
C'était une sensation étrange pour un enfant de 10 ans, mais je ne pouvais pas l'ignorer : je me sentais vide. »
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« Alors que la nuit tombait, je montai au grenier. Pas pour lire, même si j'adorais ça… mais pour douter de la vie.
La vie de Monsieur Lapin.
Je l'avais posé sur un vieux coffre. Puis, sans hésiter, j'ai commencé à l'étrangler. Mes petites mains serrant son cou de toutes leurs forces. Je l'ai regardé mourir… comme tous les autres.
Oui… tous les autres.
Tu m'avais acheté un lapin… mais j'en avais déjà tué trente. À chaque fois, tu ne remarquais rien. Je me débarrassais des corps dans la nuit, pendant que vous dormiez.
C'était mon quotidien.
Mais un soir, quand je suis allé me débarrasser de Monsieur Lapin numéro 37, quelque chose a changé.
Il était trois heures du matin. La rue était vide. Et c'est là que je l'ai vu : un homme, ivre, titubant, tombant à chaque pas.
Je l'ai reconnu. C'était Monsieur Moon.
J'ai eu peur, au début. Mais quelque chose… quelque chose a résonné en moi comme une évidence.
Le simple fait d'y penser me donnait une sensation étrange, brûlante, dans le cœur.
À l'époque, je ne savais pas ce que c'était. Maintenant, oui.
C'était le même plaisir qu'on ressent lors d'un rapport sexuel.
Pour moi, c'était nouveau. Brutal. Excitant. Et je voulais que ça dure.
Je me suis approché, pas à pas. Le plaisir grandissait. Mon corps réagissait, mes muscles tremblaient, mon souffle s'accélérait.
L'homme, étendu face contre terre, a levé la tête en entendant mes pas.
— "Qu'est-ce que tu fais là, GRÉY ?" m'a-t-il demandé, d'une voix pâteuse.
Mais je n'ai pas répondu.
L'excitation était à son comble.
Sans prévenir, j'ai frappé. Un coup à la gorge.
Son sang m'a éclaboussé le visage, ma chemise. Et c'était… merveilleux.
Il se vidait de son sang. Et le voir agoniser me procurait un plaisir érotique.
Puis il est mort.
Et le plaisir… a disparu.
Mais moi, je ne voulais pas que ça s'arrête. Alors j'ai continué. J'ai planté la lame dans sa gorge, encore, encore, et encore. Dans son visage. Dans sa chair. Jusqu'à ce que… je trouve que c'était assez. Que je devais m'arrêter. »
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« Ce jour-là, je n'ai pas ressenti de pitié.
Pas de peur, non plus.
Pour moi… ce n'était qu'un lapin de plus. Mais à une échelle bien plus grande.
Oui… mon cœur m'a fait ressentir ce que je n'aurais jamais cru possible.
Je trouvais que la mort était fascinante. Noble, dans son aspect.
J'avais peut-être 10 ans… mais mon esprit, lui, en avait 100.
Depuis ce jour, je me suis intéressé à la vie… et à la mort. À la composition de la mort. Comment elle faisait son travail. Pourquoi elle le faisait.
L'école devint alors mon terrain de chasse préféré. Une forêt pleine de gibiers faibles, faciles à observer.
Au fond, j'ai toujours voulu comprendre. Pourquoi les hommes trompent les femmes. Pourquoi le sexe est si puissant.
Et la nuit, je pensais sans cesse… au plaisir que m'avait apporté la mort de Monsieur Moon. »
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Ma mère, en m'écoutant, était restée pétrifiée. Ses yeux écarquillés disaient tout : elle n'arrivait pas à croire que c'était moi qui avais tué Monsieur Moon.
Mais moi… je comprends. Elle n'est pas comme nous.
Vous et moi… nous sommes attirés par ce que la mort procure.
Mais les gens comme elle… ils ne savent rien.
Vous, qui me lisez… vous, oui. Vous êtes comme moi. Et c'est ce qui me rend heureux. Parce que ça veut dire… que je ne suis pas seul.
J'ai des amis qui aiment ce que je suis.
Ce jour-là, j'ai passé toute la semaine à fantasmer sur la mort de Monsieur Moon. Je voyais la police chercher le couple alors qu'il jouait avec un lapin et des figurines de super-héros africains. C'est aussi depuis ce jour que vous avez décidé de prendre une nounou. Oui, je vous surveillais toujours, papa et toi. Chaque nuit, avant qu'il ne te fasse l'amour et jusqu'à ce que vous finissiez, j'entendais tout. Cela m'a permis de comprendre que ce que j'avais ressenti était du sexe. Mais à cette époque, je ne savais pas vraiment si ce que je faisais était mal.
Je voulais ressentir ce que l'on éprouve lorsqu'on aime en ébats. Était-ce différent que de tuer un lapin ?
Oui, c'est vrai, j'étais jeune… mais trop mature à mon goût.
Un soir, vous aviez décidé de partir au décès de Monsieur Moon. Et vous m'avez laissé avec elle. Ma nounou. Elle se prénommait Rebecca. Je ne la connaissais pas, mais elle avait l'air d'avoir déjà fait du babysitting.
Je pense qu'elle avait 18 ans.
La soirée se passa normalement : j'ai mangé, j'ai regardé la télé, et elle m'a fait me coucher. Cependant, j'avais autre chose en tête.
Alors je suis descendu et je lui ai dit que je n'arrivais pas à dormir et que je voulais jouer à un jeu. Elle m'a demandé lequel, même si l'on pouvait deviner sur son visage qu'elle n'en avait pas vraiment envie. Cependant, Rebecca proposa un jeu classique. Mais non, je ne voulais pas. Alors je lui ai proposé le mien.
L'As de la Libération.
— « Le but est simple : tu es menottée et tu dois te libérer… », ai-je expliqué.
Rebecca fronça les sourcils, un peu étonnée, mais je lui ai montré que ce n'était rien de grave. Pour la rassurer, j'ai dit que j'allais commencer.
Je me suis menotté les mains dans le dos. Enfin… c'est ce qu'elle a cru. En réalité, j'avais trafiqué la serrure : il suffisait d'un petit mouvement pour me libérer aussitôt. Je voulais qu'elle me voie gagner, que la confiance s'installe.
— « Tu vois ? C'est facile. À ton tour, Rebecca ! », ai-je lancé avec un sourire innocent.
Elle hésita, puis haussa les épaules.
— « Ok, petit GRÉY, je vais le faire. Si tu as réussi, moi aussi je vais le faire. »
Elle tendit les poignets. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment serré les menottes, cette fois sans triche. Le cliquetis métallique résonna comme une petite victoire. Rebecca ne s'en rendit pas compte tout de suite.
— « D'accord, mais maintenant je vais chercher les outils pour le prochain jeu. Pendant ce temps… tu dois te libérer », ai-je dit en la fixant.
Rebecca essaya de rire, mais je voyais bien son malaise. Moi, je restais planté devant elle, les yeux écarquillés, attendant le moment où elle comprendrait qu'il ne s'agissait pas d'un simple jeu.
Je suis allé dans la cuisine, prétextant chercher la clé des menottes. En vérité, mes mains s'activaient à préparer un chiffon imbibé d'une solution à base de chlorophylle. J'avais vu cette méthode dans un documentaire, une simple expérience télévisée, et je voulais vérifier si la fiction se confondait avec la réalité.
Je suis revenu doucement, presque en silence. Rebecca ne se doutait de rien. D'un geste brusque, j'ai plaqué le chiffon sur son visage. Ses yeux se sont écarquillés, son corps a résisté quelques secondes, puis ses forces l'ont abandonnée. Je l'ai vue s'écrouler devant moi, paisible et vulnérable.
La peur m'a alors saisi. Ce n'était pas comme avec Monsieur Moon. Lui, c'était un homme corrompu, alcoolique, rongé par ses propres démons. Mais Rebecca… Rebecca était innocente. Sa chute avait un goût amer.
Je l'ai donc libérée, et je suis monté me coucher.
La nuit fut longue. Trois fois, je suis redescendu, poussé par une pulsion que je ne comprenais pas. J'aurais pu la posséder, la briser, la soumettre… mais je n'ai pas osé. À la place, j'ai pris des photos. Des clichés obscènes que je gardais précieusement sur la tablette que tu m'avais offerte.
Ce que je cherchais vraiment n'était pas de tuer. Je voulais comprendre. Comprendre pourquoi le plaisir de tuer des lapins me collait à la peau, pourquoi la mort de Monsieur Moon me hantait encore, coincée entre dégoût et excitation. Je savais que c'était mal. Et pourtant, ma conscience refusait de me juger coupable.
Au matin, Rebecca était là, comme si rien ne s'était passé. Elle parlait au téléphone, peut-être avec son père, peut-être avec un petit ami. Quand je suis descendu, elle m'avait déjà préparé un en-cas. Des œufs au lait, exactement comme je les aimais. Elle savait s'y prendre. Une vraie professionnelle.
Je me suis assis. Le goût du lait me rassurait. Elle s'approcha alors, son visage illuminé d'un sourire, et me lança d'un ton léger :
— « Alors, qui a gagné au jeu d'hier soir ? »
Je compris aussitôt. Elle voulait reprendre la main, donner l'illusion qu'elle contrôlait toujours la partie.
— « Bah… c'est moi. Tu as dit qu'on arrêtait parce que tu étais fatiguée », répondis-je en baissant les yeux.
Elle savait que je mentais. Ses yeux cherchaient la vérité derrière mes mots.
— « Ah oui ? Alors pourquoi tu as la tête d'un enfant qui cache quelque chose ? » demanda-t-elle doucement.
Elle voulait savoir. Et une part de moi voulait qu'elle sache. Peut-être pour que mes pulsions deviennent normales, partagées, reconnues.
Rebecca posa sa main sur mon épaule. Son contact fit tomber une barrière en moi. Ses mots me frappèrent :
— « Tu peux me parler, petit GRÉY. On est amis. Les amis ne se cachent rien. »
Je la fixai, terrorisé par mes propres pensées. Mais je finis par lâcher, d'une voix tremblante :
— « J'ai toujours été un enfant froid. Pas seulement dans mon cœur… mais vraiment. Comme si j'étais mort et vivant à la fois. Comme un serpent. Certaines choses… certaines pratiques, c'est comme le soleil pour le serpent. Il sait que c'est dangereux, que c'est interdit… mais sans ce soleil, il cesse d'exister. »
Elle fronça les sourcils.
— « C'est toi, le serpent ? »
Je ne répondis pas. Je me contentai d'avaler mes œufs en silence.
— « Mais pourquoi est-ce mal que le serpent se mette au soleil ? » insista-t-elle.
Alors je relevai la tête, et mes mots coulèrent d'eux-mêmes, comme une vérité sombre :
— « Parce que les hommes ne comprennent pas le serpent. Ils préfèrent qu'il reste caché, invisible. Personne ne veut de lui, même quand il fait des efforts. Le serpent sait qu'il n'est pas un homme, qu'il ne le sera jamais. Mais alors il change, il devient comme un homme, et il dévore le soleil. Et pour la première fois, il comprend que ne pas être un homme n'est pas une malédiction… mais une libération. »