Ficool

Chapter 17 - LE SHARD SOUS HAUT TENSION

Zarah vient d'arriver en ville. Ici, tout semble en feu — pas forcément de flammes visibles, mais une fièvre qui bouillonne dans les rues et dans les regards. Le laboratoire privé où elle a été placée lui paraît presque trop calme : murs blancs, couloirs lisses, personnel efficace et poli. Un homme s'approche d'elle avec un sourire léger.

— Bonjour.

— Bonjour… comment ça va ? répond-elle, la voix un peu tremblante.

Il marque une pause, l'observe comme on observe quelqu'un qu'on devine nouveau.

— Moi ça va. On dirait que tu es nouvelle ici.

— Oui, c'est vrai. Je ne sais pas trop comment ça marche ici, dit-elle en forçant un sourire pour dissimuler sa gêne.

Il lui montre son badge, posé sur sa poitrine.

— Tu vois le numéro sur ton badge ? Il t'indique ta salle et ta place.

Ils longent un couloir où personne ne fait de bruit ; tout paraît poli, bien réglé. Il s'arrête devant une porte et la laisse entrer à sa place.

Dans la salle numéro indiquée, Zarah va directement au poste qui lui a été assigné. Son but est précis : comparer l'ADN trouvé sur la manche du couteau et le cheveu retrouvé sur le corps. Elle sent — sans pouvoir le définir — que quelque chose cloche. La comparaison est lancée. Les machines ronronnent, implacables.

Pendant ce temps, dans les bureaux du S.H.A.R.D., la tension est à son comble. Une réunion d'urgence a été convoquée par les créateurs et propriétaires de l'agence — Stan, Homère, Arthur, Rai et Dante — mais seuls les membres de l'unité chargée de m'arrêter sont présents. On sent que l'air a le goût du couperet.

Rory expose la situation en termes sobres.

— Nous mettons tout en place pour le mettre sous les verrous. Vous savez comment ça fonctionne.

Arthur, vif, laisse échapper un soupir.

— On vous a toujours fait confiance, Rory. Mais trois ans sans résultat, c'est trop.

Les mots frappent comme un coup. Michael garde la ferme retenue de ceux qui savent que la crise peut basculer n'importe quand ; son calme est un masque fragile.

Stan prend la parole, voix douce et tranchante à la fois.

— Nous vous avons choisis parce que nous savons ce que vous valez. Mais nous ne conserverons pas des résultats insuffisants. Ce n'est pas contre vous, c'est pour l'efficacité.

Michael étale les dossiers : photos, fiches, indices. Rien ne relie solidement les victimes. Dans la grotte, il y avait des femmes, des enfants, des hommes — des vies sans lien apparent, des métiers différents, des destinées banales. Seule Lucy Grayson est encore en vie ; on dirait que le tueur l'a ménagée pour mieux nous attirer.

Dante, qui serre la bouteille d'eau entre ses mains, parle d'une voix qui se brise par instants.

— Nous avons donné du temps, et vous n'avez rien produit.

Il se lève, traverse la pièce et s'arrête face à la vitre. De là, on voit une foule qui marche au loin — une marche silencieuse, lourde de larmes et de colère, une pression montante vers ceux qui détiennent le pouvoir. Les appels politiques n'en finissent plus. Dante, dont la fille a disparu, pleure une rage froide. Ils savent tous que, dans son cœur, il pense que c'est moi qui ai pris sa fille.

Peut-être. J'ai tué beaucoup de gens. Mais pas forcément comme on l'imagine. Il y a des vérités que je ne peux trahir qu'à demi-mot.

Dans le calme de ma chambre, j'ai aussi mes rituels. Falone m'a invité à l'église — elle croit, elle espère que je peux être mieux. Moi, prier me rétrécit, me rend petit ; j'aime cette sensation de me perdre dans quelque chose de plus vaste. Mais avant d'y aller, j'ai des obligations moins spirituelles : j'ai un invité au sous-sol que je ne puis laisser sans soin.

C'est un petit oiseau que j'ai recueilli. Il me tient compagnie d'une façon qui n'a rien de tendre, pourtant sa présence m'apaise quand le reste m'emporte. J'ai appris des méthodes — étranges et sombres — pour retenir mes pulsions. Certaines, que la télévision appellerait monstrueuses, ne sont pas des recettes. Elles sont des repères que je fixe pour ne pas me perdre complètement. Parfois, c'est la préparation d'un repas simple, la minutie du geste, la répétition ; cela suffit, parfois.

La sonnette retentit. Falone, impatiente, appuie encore, puis frappe. Je nettoie d'un geste rapide ce qui doit l'être — l'habitude du ménage, maladive, me sauve souvent. Elle regarde sa montre, fronçe les sourcils. Quand j'ouvre la porte, je fais comme si tout était normal.

— Gréy, qu'est-ce que tu fais ? On va être en retard, dit-elle.

Je lui tends un carnet.

— C'est pour prendre des notes quand je parlerai au pasteur, réponds-je, le ton sérieux sonnait plus vrai qu'il n'aurait dû.

Nous partons. Je lui demande si nous prenons sa voiture ou la mienne.

— Sérieux ? Ta voiture vaut mon salaire annuel, réplique-t-elle en souriant malgré elle.

À l'église, la messe a déjà commencé. Nous essayons d'être discrets, ce qui n'est pas simple avec ma voiture neuve garée dehors. Nous nous asseyons ; les voix montent, les prières passent comme des gants entre des mains trop humbles pour tenir le monde.

Je me demande, en silence, si ce monde peut être changé. Je suis un animal qui sait ce qu'il veut ; je m'abrite, je détruis les abris, je ramasse ce que je trouve. Suis-je le diable ? Peut-être. Mais qui, parmi les vivants, ne le porte pas en lui ? Les désirs, les motifs, les paroles — ils révèlent une part de ce que l'on nomme mal. Nous refusons souvent de l'accepter. Alors nous mettons des noms : monstre, prédateur, tueur. Ça rassure.

Trois jours déjà sans que je ne fasse de mal. Falone croit en moi. Elle croit que les prières peuvent m'extraire de ce qui me hante. Moi, je suis venu chercher une pause, une respiration. Mais la ville gronde. Le S.H.A.R.D. serre les dents. Zarah compare des ADN qui pourraient tout changer. Et dehors, la foule attend une justice que personne ne sait encore donner.

La nuit se referme, lourde et presque douce. J'emporte mon carnet comme un talisman. Les églises, les laboratoires, les salles de réunion : tout est théâtre, et chacun joue son rôle. Moi aussi. J'observe, je note, je me tais. Et, au fond, je sais que la clé ne se trouve ni dans la foi ni dans la science, mais peut-être quelque part entre les deux — dans les fissures où l'on cache les choses qu'on refuse de nommer.

L'Église, une maison merveilleuse.

Les louanges entonnées par les chantres me transportaient dans un lieu hors du temps.

Cette chanson parlait de l'amour infini de Dieu, d'un amour que rien ne peut briser.

Je sentais chaque mot vibrer en moi. Falone me regardait en silence, puis elle me prit doucement la main.

— « GRÉY, libère-toi… le Seigneur parle de plusieurs façons. » dit-elle d'une voix légère.

Je ne savais pas pourquoi, mais les chants m'enveloppaient comme un souvenir ancien.

C'était l'amour de mon père que j'entendais, son écho à travers ces mélodies.

Et pourtant, une autre part de moi se réfugiait dans la louange, dans la lecture, comme si la Parole était le seul endroit où je pouvais encore respirer.

À la fin du culte, Falone me demanda de l'attendre. Elle voulait parler à celui qu'elle appelait l'homme de Dieu.

Je la regardais s'avancer, droite, confiante. Moi, je restais en retrait.

Mon père disait souvent que Dieu pardonne tout…

Mais je n'ai jamais réussi à y croire.

Si Dieu me pardonne vraiment, alors cela voudrait dire qu'Il n'est pas juste.

Falone s'arrêta devant le pasteur, un homme calme au regard perçant.

— « Bonjour, homme de Dieu. Comment allez-vous ? » demanda-t-elle avec un sourire discret.

— « Bonjour, sœur Ninga. Je vais bien, par la grâce de Dieu. Et vous ? » répondit-il en posant une main bienveillante sur son épaule.

— « Bien… Je voulais simplement m'excuser de ne pas avoir pu assister aux dernières réunions. »

— « Ce n'est pas grave… mais tu ne nous présentes pas ton ami ? » dit-il en tournant le regard vers moi.

Falone se retourna, m'invita d'un geste.

Je voulus fuir, mais mes jambes décidèrent autrement.

Je m'approchai lentement.

— « Bonjour, monsieur ? » dit le pasteur.

— « GRÉY. » répondis-je, un peu gêné.

— « J'ai remarqué que vous preniez des notes pendant le culte… Vous l'avez trouvé intéressant ? »

Tous les regards se posèrent sur moi.

— « Disons que… c'était émouvant. Les paroles m'ont rappelé mon père… et sa grande foi. »

Un murmure d'Amen s'éleva dans la salle.

Falone me sourit, un sourire doux, presque ému.

— « C'est vraiment profond, ce que vous dites, GRÉY… » murmura-t-elle.

Le pasteur hocha la tête.

— « Nous organisons une retraite spirituelle de trois jours avec certains membres de la paroisse. J'aimerais que vous en fassiez partie. »

Je ne sais pas pourquoi j'ai accepté. Peut-être que j'avais besoin d'une pause. Ou peut-être que c'était juste pour Falone.

Après quelques échanges, nous quittâmes l'église. Falone conduisait.

La route était calme, le soleil tombait lentement derrière les vitraux du ciel.

Mon téléphone sonna.

Une voix féminine, claire, se fit entendre à l'autre bout du fil :

— « Bonjour, monsieur Aboghe. Ici la Fondation La Tendresse du Cœur, celle dont votre père était actionnaire. Est-ce que je peux avoir un peu de votre temps ? »

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