Même si Kael avait pressenti que quelque chose se dissimulait derrière cette paroi,
il ne put s’empêcher de tressaillir
en voyant les briques du cul-de-sac se mettre à danser.
Elles glissaient les unes contre les autres,
se réorganisant dans un murmure sourd,
verticalement,
horizontalement —
jusqu’à faire place à une vaste salle baignée d’un éclat aveuglant.
Adam, bouche bée,
leva les bras comme pour saisir l’instant.
— Tu… tu vois ça ?! Tu le vois aussi, hein ?!
s’exclama-t-il, exalté comme un gamin découvrant ses cadeaux de Noël.
— Je rêve pas, hein ? Dis-moi que je rêve pas !
Kael resta silencieux un instant,
absorbé par la lumière.
Il fronça les sourcils.
Sous ses pieds, la dalle vibrante semblait aspirer quelque chose en lui,
non par brutalité,
mais avec une lenteur insistante,
presque… respectueuse.
Il sentit son Magia frémir.
Un filet d’énergie s’en échappait,
trop subtil pour être visible,
mais bien réel.
Il grogna.
— Ça suffit.
Par un effort de concentration,
il bloqua le flux,
refermant intérieurement ses circuits,
comme on referme une porte sur un vent glacial.
Un léger craquement sourd se fit entendre sous la pierre.
Comme un soupir déçu.
Puis le silence.
Kael recula,
un peu étourdi.
— C’était quoi, ce truc…
Mais déjà, Adam l’appelait depuis la salle,
le ton excité,
les yeux brillants.
— Kael, tu dois voir ça ! C’est... c’est dingue, mec !
Malgré la fatigue
et les vertiges que lui avait laissés la ponction du Magia,
Kael força ses jambes à avancer.
Il connaissait Adam…
et sa légendaire maladresse.
Il le retrouva au centre de la salle,
penché au-dessus d’un amoncellement de coffrets ouvragés,
de coupes d’ivoire,
de fragments de lames rouillées.
Le décor semblait sorti d’un conte ancien :
tout brillait d’un éclat surnaturel,
comme si le temps s’était figé pour préserver ce trésor.
Mais Kael ne voyait que le danger.
Ses pupilles,
vibrantes d’un léger éclat cramoisi,
captaient déjà ce que l’œil humain ne voyait pas :
des lignes d’énergie traversant le sol,
des nœuds de pression à peine visibles,
des relais gravés sous la poussière.
Il blêmit.
— Espèce d’imbécile fini ! Sors de là tout de suite, si tu veux rentrer vivant chez toi !
tonna-t-il.
Adam sursauta.
Ce ton —
cette colère-là —
il ne l’avait entendu que deux ou trois fois dans sa vie.
Et à chaque fois, c’était justifié.
Mais cette fois,
il ne recula pas.
— C’est quoi ton problème ?!
T’étais en train de dormir debout pendant que je faisais l’inventaire !
Tu crois que t’es le seul à pouvoir réfléchir ?!
lança-t-il, frustré,
la voix tremblante.
Kael ne répondit pas.
Il scrutait les dalles.
— T’as même pas vu le coffre en forme de cœur, là-bas !
continua Adam,
en s’élançant de quelques pas.
Et c’est là,
dans un mouvement de colère mal contenue,
qu’il frappa du pied une coupe renversée,
dorée
et incrustée de pierres ternies.
Le choc résonna étrangement.
Un clic discret se fit entendre,
suivi d’un grondement sourd dans les entrailles de la salle.
Kael ferma les yeux.
— Non…
Un son discret,
presque anodin.
Puis plus rien.
Juste ce silence trop calme,
figé comme la seconde avant un orage.
Adam fronça les sourcils,
baissa les yeux vers la coupe renversée.
— C’était quoi, ça ? J’ai à peine touché le—
Un grincement métallique lui coupa la parole.
Au sol,
une dalle venait de s’enfoncer d’un centimètre sous son pied gauche.
Kael bondit en avant.
— NE BOUGE PLUS !
Mais déjà, les murs grondaient.
Des fentes verticales,
auparavant invisibles,
s’ouvraient le long des parois circulaires.
Un sifflement sec,
comme le souffle d’un serpent,
accompagna l’émergence lente de pieux métalliques,
hérissés de runes noires.
Puis des dalles glissèrent du plafond,
formant un cercle qui encerclait Adam avec une lenteur implacable.
— C’est une blague…
balbutia Adam, figé,
le regard cherchant une issue.
Kael arriva à la lisière du piège,
le souffle court,
les yeux rouges d’adrénaline.
Il tenta de tirer Adam en arrière,
mais un champ de force invisible repoussa violemment sa main,
comme si le piège avait reconnu l’“intrus”
et ne voulait plus de lui à l’intérieur.
— Merde… Adam !
Le cercle de dalles se refermait.
Adam, haletant,
posa une main contre la paroi qui descendait lentement devant lui.
— Kael… j’suis désolé. J’ai merdé.
Kael le fixait,
impuissant,
les poings tremblants.
Puis son regard glissa,
vers l’entrée,
vers la dalle d’activation…
Et une idée germa,
sombre,
brûlante.
Kael regarda Adam,
prisonnier entre les dalles descendantes,
son souffle saccadé résonnant dans l’espace clos.
Le piège était trop précis,
trop structuré.
Il ne s’arrêterait pas.
Pas sans intervention.
Son regard balaya frénétiquement la salle.
Des dizaines d’objets sacrés,
d’artefacts brillants…
mais un seul, au sol, attira son attention :
une lance à demi-cassée,
forgée dans une matière noire veinée d’or.
Sans hésiter,
il la saisit et courut jusqu’au mécanisme.
D’un geste vif,
il la coinça dans l’interstice entre deux dalles,
là où le cercle de pierre descendait encore lentement.
Un crissement sinistre se fit entendre.
La lance ploya,
mais tint bon.
— Ça ne tiendra pas longtemps,
grogna Kael.
Il recula d’un pas,
croisa le regard d’Adam —
mélange de peur et de confusion.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Ce que j’aurais dû faire dès le début.
Kael tourna le dos à la salle
et s’élança vers l’entrée.
Vers la dalle.
Le sol vibrait encore,
comme s’il attendait son retour.
Il se remit en position,
paume ouverte contre la surface.
Cette fois,
il ne résista pas.
Le Magia coula aussitôt,
plus vite que la première fois.
Son bras trembla,
ses jambes se raidissaient.
L’air semblait vibrer autour de lui.
Et dans son esprit,
un murmure.
— Le petit coquin t’a reconnu.
La voix de Thana, douce et narquoise.
— Il a toujours aimé les âmes sombres… mais fidèles.
La dalle sous Kael s’illumina d’une lueur rouge sombre,
pulsant au rythme de son propre souffle.
À travers ses paumes,
il sentait son énergie se diffuser dans les entrailles du temple,
comme un fleuve souterrain
qu’il ne pouvait plus contenir.
Des motifs runiques endormis depuis des siècles s’enflammèrent sur les murs,
des lignes gravées qui n’étaient pas visibles un instant plus tôt.
Elles formaient un réseau,
un système de commandes organiques —
et Kael en était désormais le cœur.
Il entendit un déclic brutal dans la salle derrière lui.
Puis un deuxième.
La lance, pliée jusqu’à l’extrême,
sauta dans un claquement métallique,
projetée sur le côté.
Mais les dalles avaient cessé de descendre.
Kael rouvrit les yeux.
Quelque chose avait répondu à son offrande.
Il tendit la main —
pas vers le mécanisme,
mais vers un point précis sur le mur,
où une rune venait de s’éclairer plus intensément que les autres.
Par réflexe,
il la pointa du doigt.
Elle réagit.
Le piège se rétracta lentement,
comme une bête domptée.
Les pieux s’enfoncèrent dans les murs,
les dalles remontèrent,
laissant Adam libre
mais secoué,
couvert de sueur.
— Qu… qu’est-ce que tu viens de faire ?
balbutia-t-il,
en se redressant difficilement.
