Prenant une lente inspiration, je m’efforçai d’exécuter ses instructions.
Au début, mon œil refusait de s’ouvrir complètement.
Les paupières tremblaient sous l’effort.
Puis, peu à peu, la résistance s’estompa.
Une mince fente s’ouvrit, laissant filtrer une première lueur.
Aussitôt, ma vision fut engloutie par une teinte rouge cramoisie.
Dense.
Presque oppressante.
Comme si un filtre sanglant s’interposait entre moi et le monde.
Je clignai des yeux.
La couleur changea.
Le rouge s’évanouit.
Remplacé par un bleu profond.
Puis un vert éclatant.
Un jaune aveuglant…
Les nuances défilaient à une vitesse folle, se superposant en une danse effrénée.
Mon cœur s’emballa sous l’effet de cette avalanche chromatique.
— Qu’est-ce que… ?
Je n’eus pas le temps d’achever ma phrase.
Une lumière blanche.
Pure.
Fulgurante.
M’engloutit brutalement.
L’éclat fut si intense que je reculai d’un pas.
Ma main se leva instinctivement pour couvrir mon œil.
Mon souffle se bloqua dans ma gorge.
Mon corps, tétanisé, subit l’assaut sensoriel sans pouvoir réagir.
Puis, aussi soudainement qu’elle était apparue…
La lumière se dissipa.
Je clignai plusieurs fois des yeux, encore troublé par ce que je venais de voir.
L’impression de lumière persistait.
Comme gravée au fond de ma rétine.
J’hésitai un instant.
Puis je relevai la tête, cherchant un changement.
Un signe que quelque chose avait réellement basculé.
Mais non.
Tout semblait… normal.
Mon regard se posa sur elle.
Un mélange de confusion et d’attente dans mes yeux.
Elle, en revanche, se contenta d’un léger sourire énigmatique.
— Alors ? Comment te sens-tu ?
— Comme si un poids invisible venait de s'évaporer…
Je pris une profonde inspiration.
Une sensation étrange s'attardait encore en moi.
Difficile à décrire.
Un mélange de soulagement et d'inconnu.
Thana hocha légèrement la tête en entendant ma réponse.
— C’est normal… Et ce n’est que le début.
Sa voix était douce, presque apaisante.
Contrastant avec la puissance qu’elle dégageait habituellement.
Elle marqua une pause.
Puis reprit :
— Maintenant que l’essentiel est réglé, nous pouvons y aller.
N’oublie pas… Je serai toujours avec toi.
Si tu veux me parler, la pensée suffira. D’accord ?
J'acquiesçai en silence.
— Et même si cela semble évident… je préfère le dire clairement.
Ne parle à personne de ce qui vient de se passer.
Pour ta propre sécurité…
Et celle de ta sœur.
Mon cœur se figea un instant.
Ce n'était pas la mise en garde qui me fit réagir…
Mais le fait qu’elle mentionne ma sœur.
Je relevai brusquement la tête.
Les yeux écarquillés.
Thanatos capta mon regard.
Et esquissa un sourire presque imperceptible.
— Ne sois pas si surpris.
Je suis avec toi depuis presque toujours.
Trouves-tu si étrange que je connaisse son existence ?
Un frisson parcourut mon échine.
Sa voix s'était faite plus grave.
Plus solennelle.
— Mais que les choses soient claires, Kael.
Toi, je te considère comme une part précieuse de mon existence.
Comme quelqu’un de ma famille.
Mais ce n’est pas le cas pour elle.
Si un jour je dois intervenir pour toi, je le ferai sans hésiter.
Car perdre ta sœur te ferait souffrir.
Mais…
Elle s’arrêta un instant.
Puis planta son regard incandescent dans le mien.
— Si un jour un choix s’imposait…
Je choisirais toujours de te protéger, toi en premier.
Kael était partagé.
Il ne pouvait pas vraiment en vouloir à Thanatos.
Après tout, elle avait été d’une honnêteté absolue avec lui.
Sans chercher à masquer ses intentions derrière de faux-semblants.
Elle n’avait jamais caché son attachement.
Ni son engagement inébranlable à ses côtés.
Et puis…
Elle n’avait pas non plus ignoré l’existence de sa sœur.
Elle l’avait même dit clairement : si celle-ci était en danger, elle interviendrait.
Ce n’était pas rien.
Mais le problème restait là…
Ça reste ma sœur…
Un poids pesait dans sa poitrine.
Aussi logique que soit le raisonnement de Thanatos,
l’entendre formuler si directement qu’elle le choisirait lui sans hésitation si un choix devait être fait…
ça lui laissait un goût amer.
Il était perdu.
Mais ce n'était ni le lieu,
ni le moment d’y réfléchir.
Il chassa ses pensées et expira lentement.
Pour l’instant, d’autres choses comptaient plus.
Thanatos perçut le léger trouble dans le cœur de Kael,
mais elle savait qu’il devait surmonter cela par lui-même.
C’était une épreuve nécessaire,
une étape importante pour qu’il puisse avancer
et grandir.
D’un geste délicat,
elle effleura une dernière fois son visage
avant de se dissiper en une fine brume d’ébène.
Sa voix, douce mais résonnante,
s’éleva dans l’air :
— N’oublie pas, je reste là, auprès de toi.
À peine eut-elle terminé sa phrase que l’espace autour de lui se mit à onduler.
Les contours du monde vacillèrent,
se distordant comme si l’univers lui-même était pétri à la manière d’une boule d’argile.
Une sensation de vertige le saisit,
lui retournant l’estomac.
Et puis,
en un battement de cœur,
tout redevint normal.
Il se retrouva brusquement là où il était avant…
enjambant la porte de pierre noire taillée de la Tour,
exactement au même endroit où il était avec Adam.
Pourtant,
pour lui,
des heures s’étaient écoulées dans cet espace étrange…
Mais Adam, lui,
continuait de parler comme si rien n’avait changé,
comme si, pour lui, pas une seule seconde ne s’était écoulée.
Kael vacilla légèrement,
clignant des yeux en essayant de remettre ses idées en place.
L’écho des paroles de Thanatos résonnait encore en lui,
tandis que l’environnement autour de lui semblait à la fois familier
et étrangement lointain.
Adam parlait,
sa voix résonnait,
mais les mots se mélangeaient sans qu’il ne parvienne à leur donner un sens immédiat.
Il inspira profondément,
tentant de calmer la nausée qui s’accrochait à lui comme une brume tenace.
Son regard balaya les environs :
la porte noire,
les gravures sur la pierre,
l’étrange atmosphère de cet endroit.
Tout était identique à ce qu’il avait vu avant de... partir ?
Il ne savait même pas comment nommer ce qui venait de se passer.
— Tu m’écoutes au moins quand je parle ?
La voix d’Adam le ramena brutalement à la réalité.
Kael tourna la tête vers lui,
réalisant qu’il n’avait aucune idée de ce que son ami venait de dire.
— Hm ? Ah... désolé.
Il passa une main sur son visage, forçant un sourire.
— Je sais pas trop, j’me sens pas super bien. Peut-être la perte de sang d’avant, ça me travaille encore.
Adam le fixa un instant,
un sourcil levé.
— Ouais, possible. T’as pas l’air dans ton assiette, mec. Tu veux qu’on fasse une pause avant d’avancer ?
Kael secoua la tête.
Il préférait éviter de s’attarder sur son état,
surtout quand il n’avait aucune explication logique à donner.
— Non, ça va aller. Faut juste que je reste concentré.
Adam haussa les épaules.
— Comme tu veux. Mais sérieux, t’as intérêt à me prévenir si tu sens que ça va pas. Je veux pas que tu t’effondres en plein milieu d’un piège.
Kael esquissa un léger sourire.
— Promis.
Sans plus attendre,
ils se remirent en marche,
avançant prudemment à travers l’immense couloir sculpté.
L’ambiance était lourde,
presque oppressante,
et chaque pas résonnait légèrement contre les murs gravés de motifs
qu’ils n’avaient pas encore pris le temps d’analyser.
— T’as remarqué ?
souffla Adam en frôlant du bout des doigts une fresque sur le mur.
Kael leva les yeux vers les gravures.
Certaines représentaient des silhouettes en train de prier,
d’autres montraient des créatures inconnues,
et plus ils avançaient,
plus les scènes semblaient s’obscurcir,
montrant des figures tourmentées,
des ombres s’étirant sur des formes humaines.
— J’sais pas trop ce que ça raconte, mais j’aime pas la tournure que ça prend,
murmura Kael.
Adam hocha la tête.
— On dirait que plus on progresse, plus c’est... lugubre.
Un silence s’installa entre eux
alors qu’ils poursuivaient leur avancée,
tous deux plus attentifs aux détails autour d’eux.
Ils faisaient de leur mieux pour éviter les pièges éventuels,
Kael ressentant toujours une certaine fébrilité,
mais se concentrant pour ne rien laisser paraître.
Finalement,
au détour d’un immense pilier sculpté,
leur regard se posa sur ce qui semblait être l’entrée d’une salle gigantesque.
Kael s’arrêta net.
Adam aussi.
— C’est moi ou c’est vachement grand ?
souffla Adam en levant les yeux vers l’arche monumentale qui surplombait l’entrée.
Kael ne répondit pas tout de suite,
se contentant d’observer l’intérieur sombre qui s’étendait devant eux.
Une présence pesait dans cet endroit,
invisible
mais palpable.
Il inspira lentement,
chassant le reste de malaise qui le tiraillait.
— On dirait qu’on a trouvé notre prochain problème.