Malgré la beauté de cet instant, Kael perçut quelque chose d’étrange.
L’aura de Thanatos, d’abord si puissante, si imposante,
s’amenuisait progressivement.
Son regard se teinta d’inquiétude.
Elle le remarqua aussitôt,
et lui adressa un sourire doux, presque amusé par son souci pour elle.
D’un geste lent, elle secoua légèrement la tête.
Un signe de négation.
Comme pour lui dire qu’il n’avait pas à s’alarmer.
— Ne t’inquiète pas, murmura-t-elle.
Ma forme actuelle est éphémère.
Sa voix était paisible,
mais Kael pouvait y déceler une pointe de lassitude.
— J’ai pu la maintenir grâce à l’énorme quantité d’énergie que j’ai absorbée d’un coup.
En temps normal, j’aurais pu tenir sûrement plus longtemps, mais…
Elle marqua une pause,
comme si elle jaugeait sa propre stabilité.
— La synchronisation après la récupération de mes fragments de mémoire
et d’une partie de mes pouvoirs m’a coûté beaucoup.
Je ne pourrai pas garder cette forme encore très longtemps…
Mais tu n’as pas à t’en soucier.
Kael ne répondit pas immédiatement.
Il l’observa attentivement.
Elle lui paraissait moins impalpable qu’avant.
Plus… réelle.
— Alors quoi ?
Tu vas de nouveau disparaître ?
Thanatos le fixa un instant.
Puis lui adressa un sourire énigmatique.
— Non.
Cette fois, je resterai.
Il fronça les sourcils.
— Comment ?
— Sous forme d’avatar.
Son ton était doux,
mais sûr.
— Tant que tu l’acceptes, je pourrai demeurer à tes côtés, sous cette forme réduite.
Je ne serai plus une simple présence lointaine.
Un silence s’installa.
Kael réfléchissait.
Au fond de lui,
quelque chose changeait.
Profondément.
Il n’était pas simplement en train d’obtenir une alliée.
Il retrouvait une part de lui qu’il ne savait pas perdue.
Il s’apprêtait à parler…
Mais elle anticipa.
Posant doucement sa main sur ses lèvres.
— Tu veux savoir quels changements cela impliquera ?
Sa voix était calme, grave, presque solennelle.
Il hocha la tête.
Elle détourna le regard.
Un soupir.
Comme agacée par une contrainte invisible.
— Certaines conditions m’empêchent d’en parler pour le moment.
Mais… très bientôt, tu comprendras par toi-même.
Kael la scruta.
Espérant déceler un indice.
Puis il secoua la tête.
Un léger rire s’échappa de ses lèvres.
— Hah… Bien sûr.
Encore des mystères.
Elle sourit à son tour.
Il ne savait pas pourquoi…
Mais au fond de lui,
c’était comme si un parent éloigné,
disparu depuis trop longtemps,
venait enfin de rentrer à la maison.
Il ouvrit la bouche pour poser une question,
mais elle leva de nouveau la main.
Et la posa sur ses lèvres.
Encore.
D’un air plus sérieux, elle le fixa.
— Nous devons nous hâter.
L’espace dans lequel nous sommes devient instable.
Et la temporalité ici…
n’a rien à voir avec la réalité.
— Lorsque nous sortirons, pas une seule seconde ne se sera écoulée depuis ton départ.
Elle marqua une brève pause.
Son ton se fit plus grave.
— Nous n’avons pas de temps à perdre.
Tu vas devoir assimiler un maximum d’informations en un minimum de temps.
Kael, dérouté,
peinait à saisir toute l’ampleur de la situation.
Il luttait pour rester concentré,
malgré le torrent d’informations.
Elle posa délicatement sa main droite sur son visage.
Un contact apaisant.
Puis, d’une voix ferme :
— Tu risques de souffrir un bref moment,
mais tu dois absolument le supporter.
Kael hésita.
Malgré tout ce qu’il avait enduré.
— Est-ce qu’il existe encore une douleur plus insupportable ?
Ses souvenirs les plus douloureux rejaillirent brièvement.
Mais une autre pensée chassa tout le reste :
— Et si je ne pouvais pas supporter celle-ci ?
Même s’il avait changé…
Même si son corps était plus résistant…
Cette peur ne l’avait jamais quitté.
Soudain, un cri étranglé s’échappa.
Ses dents se serrèrent.
Mais aucun son ne sortit.
Il tenta de repousser la main de Thanatos.
De fuir ce contact.
En vain.
La douleur.
Comme une aiguille incandescente.
Plantée dans son œil gauche.
Jusqu’à l’âme.
Il lutta.
Concentra toutes ses forces.
Mais son corps refusait de bouger.
La main de Thana restait immobile.
Légère.
Inébranlable.
Comme une force ancienne.
Aussi ancienne que la Mort.
Il força encore.
Rien.
Même pas un millimètre.
La douleur dura à peine vingt secondes.
Mais pour lui…
L’éternité.
Puis…
Elle s’atténua.
Il voulut lever la main.
Mais Thana la retint.
— Pas maintenant, murmura-t-elle.
La greffe vient juste d’être faite.
Kael s’immobilisa.
Ses doigts suspendus dans l’air.
Elle déplaça sa propre main vers son visage.
Avec une douceur rare.
— La greffe s’est parfaitement bien déroulée.
Tu as été courageux, Kael.
Tu as tenu bon.
Comme toujours, je suis fière de toi.
Son ton était léger.
Mais chaque mot pesait.
Elle posa l’autre main sur sa joue.
Un sourire discret naquit sur ses lèvres.
Kael la fixa.
Il comprit alors.
Une vérité simple.
Thana ne jouait pas.
Ses émotions étaient pures.
Toujours vraies.
Elle ne souriait jamais sans raison.
Elle ne trichait jamais.
Il se demanda…
Connaissait-elle seulement le mensonge ?
L’hypocrisie ?
Sa pureté…
était presque irréelle.
Alors qu’il réfléchissait, elle reprit.
— Je vais profiter du repos de ton œil
pour t’expliquer brièvement les principaux changements.
Une courte pause.
— Premièrement,
nous pourrons désormais communiquer de manière plus optimale et discrète,
sans consommer d’énergie en excès.
Kael resta silencieux.
Thana sourit doucement.
— Tu comprendras en temps voulu.
Mais comme je l’ai dit, le temps presse.
Kael hocha la tête.
Déterminé.
Comme un élève devant son maître.
Elle poursuivit :
— Grâce à cette greffe,
une partie du monde caché te sera désormais accessible.
Disons…
…un peu plus visible.
Kael sembla encore plus perdu.
Elle posa une main sur sa joue.
Tendrement.
— Ne t’en fais pas.
Je t’expliquerai tout progressivement.
Elle s’approcha.
Ses mouvements lents, précis.
Son regard profond, insondable.
Fixé sur le sien.
Sa main frôla son visage.
Au niveau de son œil gauche.
— Reste immobile, murmura-t-elle.
Surtout…
Ne résiste pas.
Avant qu’il ne réponde,
elle entama une incantation.
Les mots s’entrelacèrent.
Rapides. Fluides.
Un flot de syllabes incompréhensibles.
Superposées.
Comme des vagues déchaînées.
Aucune pause.
Aucune respiration.
Juste un murmure.
Un rêve chuchoté.
Il sentit une chaleur étrange.
Frisson. Brûlure douce.
Fusion.
— Maintenant.
Ouvre ton œil.
Doucement.
Ne force pas.
Laisse-le s’habituer.
Je déglutis.
Mon corps me criait de refuser.
Mais il était trop tard.