La forêt avait cessé de saigner.
Le silence, lourd et profond, enveloppait chaque tronc, chaque racine.
Sous la lune voilée, Ryo restait immobile, les genoux enfoncés dans la terre froide.
Ses doigts tremblaient encore, mais ce n'était plus la douleur : c'était le poids de tout ce qu'il venait d'assimiler.
Le vent passa.
Léger.
Respectueux.
> — Alors, c'est fini… ?
Il leva les yeux vers les cimes noircies.
La Forêt des Abîmes le regardait encore.
Pas avec hostilité, mais avec cette curiosité ancienne qu'ont les choses vivantes face à l'inconnu.
Ryo pouvait le sentir : elle respirait à travers lui.
Ses battements de cœur s'accordaient à la sienne.
Et pourtant… quelque chose clochait.
Un frisson parcourut le sol.
La terre gronda, profonde, comme une bête endormie qu'on réveillerait.
Les arbres tremblèrent.
Le vent se fit plus lourd, chargé d'un murmure indistinct.
> — … Tu crois que c'est terminé, murmura une voix.
Mais le Néant n'a pas de fin.
Ryo se redressa lentement.
Son regard balaya les ombres, cherchant l'origine du son.
Une silhouette se détacha de la brume, immense, mouvante — faite de racines, de chair, de lumière dévorée.
C'était différent de tout ce qu'il avait affronté.
Pas une bête.
Pas une entité.
Quelque chose de plus ancien.
La conscience de la Forêt elle-même.
Erevos.
Le Cœur des Abîmes.
Ses yeux n'étaient ni humains ni monstrueux : ils étaient faits de souvenir.
Des fragments de toutes les créatures que Ryo avait vaincues vibraient en lui : Thevra, Kragthorn, Velmara…
Leur essence fusionnée formait cette présence.
Le dernier gardien.
> — Tu as pris leur force.
Tu as brisé le cycle.
Que comptes-tu offrir en échange ?
Ryo inspira, lentement.
Son souffle formait une brume sombre.
> — Rien.
Le Néant ne donne pas.
Il équilibre.
Le sol se fractura.
Autour de lui, les racines surgirent, cherchant à l'enserrer.
Ryo bougea à peine.
Un pas.
Et la gravité se renversa.
Les arbres se tordirent, les pierres volèrent, la forêt elle-même se plia sous la pression.
Mais Erevos ne céda pas.
Sa voix résonna dans le Néant.
> — Tu crois être libre.
Tu n'es que le vide déguisé en homme.
Ryo ferma les yeux.
Ses pensées s'ouvrirent comme une mer calme.
Il revit tout : les ruelles de Kurosawa, les cris, la pluie, la lame dans son ventre.
Son ancienne vie.
Et cette forêt, qui maintenant voulait le dévorer à son tour.
> — Peut-être.
Mais même le vide a besoin d'un roi.
Ses yeux s'ouvrirent — noirs, infinis.
L'air se figea.
La lumière s'effaça.
Le Domaine du Néant s'étendit sans un son.
Tout devint gris.
La Forêt des Abîmes disparut, avalée par le silence.
Erevos se débattit, son corps se dissolvant dans la brume.
Ses voix, multiples et brisées, s'élevèrent une dernière fois.
> — Si tu m'absorbes… tu perds tout ce qui te reste d'humain !
Ryo s'avança, lentement.
Son pas fit éclater le sol.
Chaque mot qu'il prononça résonna comme un écho infini.
> — L'humain… est déjà mort.
Ce monde a besoin d'un vide pour renaître.
Il posa sa main sur le torse d'Erevos.
Un instant, la forêt entière sembla respirer à travers eux.
Puis le monde s'effondra.
Silence.
Quand la lumière revint, Ryo était seul.
Sous lui, la terre s'était transformée.
Les racines formaient un trône noir, sculpté dans la pierre et la cendre.
Les arbres alentours s'étaient agenouillés, leurs branches tordues pointant vers lui comme vers un centre d'équilibre.
Il s'assit lentement.
Son regard se perdit vers la lune, désormais claire.
Une lueur sombre parcourut son bras, s'éteignant peu à peu.
> — Le trône… du Néant.
Le vent passa, soulevant les feuilles mortes.
Elles tournoyèrent autour de lui, formant un cercle parfait.
Et dans ce souffle, une dernière phrase résonna, portée par la voix des anciens gardiens.
> — Ryo Tenshima…
Le Roi du Néant… est né.
La forêt s'inclina.
Puis tout redevint silence.
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Fin de l'Arc de la Forêt des Abîmes 🌑
> Ce soir-là, le monde perdit une forêt.
Mais il gagna un royaume sans lumière.