Chapitre 7 – L’éveil des soupçons
Le matin se leva lentement, drapé d’un voile gris. Dans la chambre encore plongée dans une semi-obscurité, Camille ouvrit les yeux sans avoir véritablement dormi. À ses côtés, Adrian dormait profondément, le souffle lent et régulier. Elle le fixa un instant, son visage si calme qu’on aurait pu croire à l’innocence.
Mais cette nuit, quelque chose s’était fissuré.
Adrian était rentré vers une heure du matin, prétextant une urgence au travail. Il avait marmonné quelques explications : un collègue malade, un dossier à boucler, une réunion de dernière minute. Pourtant, Camille connaissait les rouages de son emploi du temps, surtout quand il s’agissait de réunions. Et il y avait ce détail qui l’avait frappée au moment où il s’était glissé sous les draps : une odeur subtile, un parfum floral qui n’était pas le sien.
Elle s’extirpa du lit avec précaution, attrapa un gilet et descendit à la cuisine. Son esprit tournait à plein régime. Elle ne voulait pas se précipiter. Peut-être qu’elle s’imaginait des choses. Peut-être que cette odeur n’était qu’un reste de savon ou de désodorisant. Mais quelque chose en elle criait que non.
Assise devant son café, elle sortit son ordinateur portable. D’abord, elle consulta ses mails pour se donner bonne conscience. Puis, presque malgré elle, elle ouvrit l’historique des factures téléphoniques. Un numéro revenait à plusieurs reprises. Toujours dans la même tranche horaire : fin d’après-midi, début de soirée. Un numéro qu’elle ne connaissait pas. Elle le copia dans un moteur de recherche, sans succès.
Elle referma l’ordinateur et soupira longuement.
— Je deviens folle, murmura-t-elle. Ou peut-être que je me réveille enfin.
Plus tard dans la matinée, Adrian descendit.
— Tu es debout depuis longtemps ? demanda-t-il avec un bâillement.
— Un moment, oui, répondit-elle, sans le regarder. Je n’ai pas très bien dormi.
Il s’approcha pour déposer un baiser sur sa joue, mais elle bougea légèrement, comme si elle ramassait quelque chose sur la table. Un geste insignifiant, mais qui le priva de contact. Il ne releva pas.
— Tu travailles aujourd’hui ? ajouta-t-il en se servant un café.
— Oui. Juste une demi-journée. Je fais l’ouverture avec Maya.
Il hocha la tête.
— Maya… Toujours aussi gentille, celle-là.
Camille haussa les épaules. Elle ne répondit pas. Elle avait besoin de parler, mais ne savait pas encore à qui.
---
L’établissement dans lequel elle travaillait avec Maya était un centre de formation privée. Les deux femmes ne se connaissaient pas depuis longtemps, mais une complicité douce s’était installée entre elles. Maya était souriante, attentive, drôle. Une collègue agréable, que Camille appréciait réellement.
Ce matin-là, elles se retrouvèrent dans la salle de pause, le calme régnant encore avant l’arrivée des stagiaires.
— Tu as une sale mine, observa Maya en versant de l’eau chaude sur son thé. Mauvaise nuit ?
Camille hésita. Son regard se perdit un instant à travers la fenêtre. Puis elle se décida.
— Adrian est rentré très tard, cette nuit. Il m’a sorti une excuse de boulot, mais je n’arrive pas à y croire.
Maya se figea légèrement. Ce n’était pas visible pour un œil non averti, mais Camille nota un bref tressaillement dans ses mains. Le sachet de thé trembla un peu plus longtemps dans la tasse avant d’être retiré.
— Oh… mince. Tu penses qu’il te ment ? demanda-t-elle en gardant un ton neutre.
— Je ne sais pas. Je n’ai jamais été ce genre de femme qui fouille ou qui soupçonne sans raison. Mais là… il y avait des détails. Il évitait mon regard. Et puis… il portait un parfum qui ne m’était pas familier.
Maya détourna les yeux, comme si elle cherchait un objet imaginaire dans le placard. Son cœur battait la chamade. Camille, sa collègue, sa confidente du travail, venait lui parler d’infidélité. Et elle, Maya, était celle qui couchait avec Adrian.
— Peut-être que tu t’inquiètes pour rien, dit-elle d’une voix qu’elle voulait rassurante. Tu sais, les hommes sont souvent maladroits quand ils cachent juste… une surprise ou une galère. Pas nécessairement une femme.
— Peut-être, admit Camille. Mais j’ai trouvé un numéro inconnu qui revient souvent dans ses relevés d’appels. Je me dis que je devrais le faire suivre, ou l’espionner. Tu me trouves folle ?
Maya sentit ses joues s’échauffer. Elle chercha à esquiver.
— Tu es juste… inquiète. Et blessée. C’est normal. Tu veux juste protéger ton couple.
— Ce n’est pas ça. Je veux juste comprendre s’il reste encore un couple à protéger.
Un silence s’installa. Maya serra la tasse entre ses doigts pour se donner une contenance. Son regard se perdit dans le liquide fumant.
— Tu sais… parfois, les gens traversent une mauvaise passe. Mais ça ne veut pas dire que c’est la fin.
Camille la fixa un instant. Un petit pli soucieux marquait le front de Maya. Elle avait l’air troublée. Pas vraiment empathique, mais… crispée.
— Tu as déjà été dans cette situation ? demanda Camille, curieuse.
Maya leva les yeux vers elle. Son sourire était forcé.
— Oui… une fois. Et je m’en suis mordue les doigts.
Elle ne mentait pas tout à fait. Elle pensait à une autre époque. Mais la culpabilité la rongeait déjà.
Les cours commencèrent peu après. Camille mit de côté ses pensées, du moins en apparence. Elle assura sa matinée avec calme et professionnalisme. Mais à chaque pause, son regard revenait vers Maya. Quelque chose clochait. Elle ne savait pas encore quoi.
---
Sur le chemin du retour, Camille sentit son malaise grandir. Maya avait été bizarre. Trop sur la défensive. Trop prudente dans ses réponses. Pas comme d’habitude.
Mais ce n’était pas suffisant pour la soupçonner. Camille ne voyait en elle qu’une collègue loyale et attentive. Une amie, même, qu’elle avait appris à apprécier au fil des mois.
Et pourtant… une intuition, faible mais tenace, murmurait déjà en elle.
Chez elle, elle retrouva Adrian en train de regarder la télévision.
— Tu es déjà rentré ? s’étonna-t-elle.
— Oui, j’ai fini plus tôt aujourd’hui.
Elle s’assit à côté de lui, l’observa du coin de l’œil. Il semblait à l’aise. Trop à l’aise.
— Tu as vu Maya récemment ? demanda-t-elle soudainement.
Il tourna la tête vers elle, surpris.
— Euh… Maya ? Non, pourquoi ?
— Comme ça. On discutait ce matin. Elle m’a dit qu’elle avait vécu une histoire compliquée.
Il haussa les épaules.
— Beaucoup de gens ont des histoires compliquées.
Camille hocha la tête, pensive. Elle avait lancé cette phrase comme un hameçon, mais Adrian n’avait pas mordu. Pourtant, un léger tremblement dans sa voix, presque imperceptible, n’échappa pas à son oreille attentive.
Elle ne savait pas encore ce qu’elle cherchait.
Mais elle savait désormais qu’elle allait le trouver.
...