Chapitre 6 – Les silences qui crient
L'horloge affichait 00h47 lorsque la porte d'entrée s'ouvrit dans un grincement discret. Adrian referma la porte doucement derrière lui, espérant traverser le salon sans bruit. Il ôta ses chaussures, posa sa veste sur le dossier du canapé, puis jeta un œil vers le couloir menant à la chambre. Tout semblait calme. Trop calme.
Mais alors qu’il avançait sur la pointe des pieds, une voix résonna dans l’obscurité.
— Tu rentres seulement maintenant ?
Camille se tenait debout, adossée au mur près de la cuisine. Les bras croisés, le regard dur, elle n’avait pas allumé la lumière. Elle l’attendait.
Adrian sursauta légèrement, surpris de la voir encore debout. Il tenta de garder un ton naturel, bien qu’il sente déjà son cœur battre plus fort dans sa poitrine.
— Je t’ai réveillée ? murmura-t-il.
— Non. Je t’attendais.
Un silence tendu s’installa. Il faisait chaud, étouffant même. Camille ne bougeait pas. Elle scrutait son visage, guettant le moindre détail. Adrian évita son regard et alla s’asseoir sur le bord du canapé.
— Je suis désolé, dit-il finalement. On a eu un souci au travail. Un client a tout fait capoter à la dernière minute. On a dû tout revoir avant demain matin.
— À cette heure-là ?
Sa voix était calme, mais son ton laissait transparaître une colère contenue.
— Oui… c’était important. On n’avait pas le choix. On est restés au bureau jusqu’à minuit passé.
Camille le fixa un instant, sans parler. Adrian gardait la tête baissée, feignant l’épuisement. Il sentait pourtant que son excuse ne passait pas aussi bien qu’il l’aurait espéré.
— Tu n’as même pas répondu à mon message, reprit-elle. Tu as vu l’heure à laquelle je t’ai appelé ?
— Mon téléphone était en silencieux, j’étais concentré… Et puis honnêtement, j’ai complètement oublié. J’étais crevé, Cam.
Elle ne répondit pas tout de suite. Son silence était plus pesant que n’importe quelle dispute.
— D’accord, dit-elle enfin, presque trop doucement. Et c’est avec qui que tu bossais ? C’est rare que tu sois seul à cette heure-là.
Adrian releva les yeux vers elle. Il hésita un instant.
— Avec Romain. Et une nouvelle consultante qu’ils ont intégrée cette semaine. Elle est dans le projet depuis hier.
Camille acquiesça d’un hochement de tête imperceptible. Elle se souvenait avoir vu passer un nom dans un mail qu’Adrian avait laissé ouvert, quelques jours plus tôt. Sur le coup, elle n’y avait pas prêté attention. Mais maintenant, ce souvenir lui revenait, comme un détail qui prenait soudain de l’importance.
— Tu la connais depuis longtemps ? demanda-t-elle, le ton neutre.
— Non. Elle est nouvelle. Sérieuse. Professionnelle.
Il insista sur le dernier mot comme s’il voulait la convaincre davantage. Camille se mordit la lèvre inférieure. Elle savait que quelque chose clochait. Adrian mentait mal. Son regard fuyait, sa voix manquait de conviction, et ce parfum léger, floral, qui flottait encore sur lui… ce n’était pas le sien.
— D’accord, répéta-t-elle simplement. Je suppose que tu vas prendre ta douche maintenant ?
— Oui. Je suis crevé.
Il se leva, évitant toujours de la regarder dans les yeux. Camille ne bougea pas. Elle le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse dans le couloir. Lorsqu’elle entendit l’eau couler, elle s’approcha lentement du canapé et attrapa la veste d’Adrian. Dans la poche intérieure, elle trouva un reçu de bar. Deux cocktails. Un prénom féminin griffonné au dos. Son cœur se serra.
Une douleur sourde, familière, monta en elle. Elle aurait voulu se tromper. Elle aurait préféré mille fois que ce soit une histoire de boulot ennuyeuse. Mais la vérité se dessinait, peu à peu, sous ses yeux. Et elle n’aimait pas ce qu’elle voyait.
Elle reposa la veste, remit le reçu à sa place, et retourna s’asseoir. Elle ne pleura pas. Pas encore. Mais quelque chose venait de se fissurer en elle.
Dans la salle de bain, Adrian appuyait son front contre les carreaux froids. Il fermait les yeux, se répétant que tout irait bien, qu’il avait réussi à passer cette nuit sans qu’elle ne découvre quoi que ce soit. Il ne savait pas encore que Camille venait de commencer, elle aussi, à enquêter.
Et cette fois, elle n’avait pas l’intention de fermer les yeux.
À suivre...