Ficool

Chapter 37 - **Le casier 217 **

**Le casier 217 **

Je m'appelle Léa.

Terminale S, casier 217.

Seconde

Premier matin : j'ouvre, il y a une petite grue en origami rose.

Je fonds.

Je la garde dans ma poche toute la journée.

Je souris comme une idiote.

J'ai un admirateur secret.

C'est trop mignon.

Deuxième semaine : une plume blanche, un bonbon à la violette, un mot « belle journée ».

Je rougis en cours.

Je montre tout à mes copines.

On invente des théories.

Je dors avec la grue sous l'oreiller.

Première

Ça continue.

Tous les jours.

Je commence à attendre l'ouverture du casier comme on attend un texto.

Je prends des photos.

Je fais une petite boîte « trésors du fantôme ».

Je suis amoureuse d'un inconnu qui ne parle pas.

Milieu de première

Toujours rien de plus.

Toujours le même genre de trucs tout petits.

Je commence à trouver ça… répétitif.

Mais bon, c'est gentil.

Je garde encore.

Début de terminale

J'en ai plein ma boîte.

Je ne regarde même plus vraiment.

Je fourre le nouvel objet au fond du sac et j'oublie.

Parfois je soupire : « encore ? »

Octobre terminale

Je pète un câble.

J'ouvre le casier, il y a une nouvelle grue, la millième.

Je la froisse dans ma main.

Je crie dans le couloir : « ÇA SUFFIT ! C'EST PLUS DRÔLE ! »

Je jette tout à la poubelle devant tout le monde.

Le lendemain : deux grues, bien lissées, posées sur mes affaires.

Je deviens hystérique.

Je ferme à double tour.

On crochète.

Je colle un mot « ARRÊTEZ ÇA TOUT DE SUITE ».

Le lendemain : le mot est encadré d'un cœur en papier.

Je déteste ce casier.

Je déteste cette personne.

Je compte les jours jusqu'à la fin du lycée.

Dernier jour

Je vide tout en vitesse, prête à claquer la porte pour toujours.

Au fond, une grande enveloppe.

Je l'ouvre, furieuse.

Photo d'une fille qui me ressemble un peu.

Cheveux courts, sourire avec appareil.

Au dos :

« Ma Camille avait 17 ans quand la leucémie l'a emportée, en octobre 2019.

Ce casier était le sien.

Avant de partir, elle m'a fait jurer de continuer à mettre un petit quelque chose tous les matins pour la personne qui le prendrait après elle.

« Pour qu'elle ait une raison de sourire en arrivant », qu'elle disait.

J'ai tenu parole.

1097 jours.

Pardon si ça t'a pesée à la fin.

Je n'ai pas su arrêter.

C'était tout ce qui me restait d'elle.

Le concierge. »

Je reste figée devant l'enveloppe ouverte.

La photo de Camille tremble dans ma main.

Elle a mon âge.

Elle a mon sourire un peu de travers.

Elle a l'air heureuse, même avec l'appareil dentaire.

Je lis la lettre du concierge trois fois.

Quatre fois.

Les mots se brouillent sous les larmes.

1097 jours.

1097 petits cadeaux que j'ai d'abord adorés, puis ignorés, puis haïs.

Je cours à la poubelle du couloir.

Je plonge les mains dedans.

Je retrouve la grue froissée d'hier, le mot « courage » tout taché de café.

Je les défroisse contre mon pull, comme on défroisse un cœur abîmé.

Je pleure si fort que je n'entends plus rien.

Je cours jusqu'au local technique.

La porte est entrouverte.

Le vieux concierge est assis sur une chaise en plastique, la tête dans les mains.

Il ne m'a pas entendue arriver.

Je pose la boîte à chaussures devant lui.

Celle que j'ai gardée malgré tout, au fond de mon armoire.

Pleine à ras bord.

1097 objets minuscules, soigneusement rangés par année.

Je murmure, la voix brisée :

« Je… je les ai tous.

Même ceux que j'ai détestés.

Je les ai jamais vraiment jetés.

Je suis désolée.

Je suis tellement désolée. »

Il lève les yeux.

Ses yeux sont rouges, usés, pleins de trois ans de silence.

Il ouvre la boîte.

Il prend la toute première grue rose, celle de la rentrée de seconde.

Il la caresse comme on caresse un visage.

Il pleure sans bruit.

Des larmes de vieux monsieur qui n'a plus l'habitude.

Il dit, d'une voix rauque :

« Elle faisait les grues exactement comme ça.

Elle disait que si on en plie mille, un vœu se réalise.

Elle n'a pas eu le temps d'arriver à mille.

Alors j'ai continué pour elle.

Pour que son vœu existe quand même. »

Je m'assois par terre à côté de lui.

Je prends sa main pleine de cals.

Je pleure avec lui.

Je dis :

« Son vœu s'est réalisé.

Parce que pendant trois ans…

j'ai souri en ouvrant mon casier.

Même quand je râlais.

Même quand j'en avais marre.

J'ai souri.

Elle m'a sauvée sans le savoir. »

Il serre ma main très fort.

Il murmure :

« Merci d'avoir été sa mille-et-unième grue. »

On reste là, longtemps.

Dans le local qui sent la cire et le vieux bois.

Deux inconnus qui pleurent une fille qu'ils n'ont jamais connue ensemble.

Je repars avec la boîte.

Je la poserai sur ma table de nuit.

Pour toujours.

Et chaque matin,

même si plus personne ne mettra rien dans mon casier,

je sourirai quand même.

Parce que quelque part,

Camille continue de plier des grues.

Et moi,

je continue de les recevoir

dans le cœur.

**FIN.**

Parfois les cadeaux qu'on a détestés

sont les seuls

qui nous empêchent

de tomber.

🤍

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