** chapitre 1 La Boucle infinie**
Je m'appelle Alex.
J'avais 24 ans.
J'étais livreur de pizzas, je rentrais tard, j'écoutais du rap dans mon casque pourri.
Le camion m'a pris de côté.
Je me souviens du klaxon qui hurle, du choc qui me soulève, du monde qui bascule comme un écran qui s'éteint.
Quand j'ai rouvert les yeux, j'étais dans une forêt.
Pas la mienne.
Des arbres tordus, un ciel violet sale, une odeur de terre humide et de pourriture.
J'ai rampé jusqu'à un ruisseau.
L'eau était froide, métallique.
J'ai bu.
J'ai vomi.
J'ai pleuré.
Premier jour : je marche.
Deuxième jour : la faim me tord le ventre.
Troisième jour : une bête m'a trouvé.
Griffes.
Crocs.
Douleur.
Noir.
Réveil.
Même ruisseau.
Même ciel violet.
Même douleur fantôme dans les côtes.
J'ai compris.
Je boucle.
Comme un jeu sans sauvegarde.
Mort = retour au début.
J'ai recommencé.
48 fois.
Écrasé par un arbre qui tombe sans bruit.
Dévoré vivant par des choses qui ressemblent à des loups mais avec trop de dents.
Empoisonné par des baies qui brûlent de l'intérieur.
Brûlé vif par un feu qui sort du sol.
Noyé dans une rivière qui n'était pas là la veille.
Je n'ai pas de force.
Pas de magie.
Pas de niveau qui monte.
Juste moi.
Alex.
24 ans.
Baskets trouées.
Téléphone mort dans la poche.
Il y a cette tour au loin.
Noire.
Immense.
Elle touche le ciel violet comme un doigt qui accuse.
Je sais que c'est là-bas.
La sortie.
Ou la fin.
Je suis assis contre un arbre mort.
Les jambes en sang.
Un bras pend, broyé par la dernière créature.
Je n'ai pas mangé depuis trois jours.
Je n'ai pas dormi depuis plus longtemps.
Je parle tout seul.
Parce qu'il n'y a plus que moi pour m'écouter.
« …Putain, j'en peux plus.
J'ai mal partout.
Chaque respiration est un couteau dans les côtes.
Chaque pas est un feu dans les muscles.
J'ai vomi du sang hier.
Je chie plus rien depuis deux jours.
Je suis une carcasse qui marche encore.
Pourquoi moi ?
Qu'est-ce que j'ai fait ?
J'étais juste un mec normal.
Je bossais.
Je jouais jusqu'à tard.
Je rêvais d'avoir assez pour partir en voyage un jour.
Je rêvais d'une vie un peu moins vide.
Et là… ça.
Cette boucle.
Cette forêt qui me bouffe vivant.
48 morts.
48 fois où j'ai senti ma peau se déchirer, mes os se briser, mon cœur s'arrêter.
J'aimerais revenir en arrière.
Tellement.
Revenir à ma vie d'avant.
À mon appart pourri avec la fuite au plafond.
À mes pizzas froides.
À mes nuits sur l'ordinateur.
À maman qui m'appelait pour savoir si j'avais mangé.
À ces moments où je me plaignais d'être seul, d'être nul, d'avoir une vie de merde.
Je donnerais tout pour revenir là.
Pour avoir mal au dos d'avoir trop joué.
Pour avoir faim parce que j'ai oublié de faire les courses.
Pour entendre la voix de maman, même si elle râle.
Je regrette tout.
Je regrette d'avoir râlé contre ma vie.
Je regrette de ne pas avoir dit à maman que je l'aimais plus souvent.
Je regrette de ne pas avoir vécu plus.
Vraiment vécu.
Mais je ne peux pas revenir.
Je suis coincé ici.
Dans cette boucle.
Dans cette douleur qui recommence à chaque fois.
Je pourrais m'asseoir.
Attendre la prochaine bête.
Me laisser mourir tranquille.
Ne plus me relever.
Mais je me relève.
Encore.
Parce que si j'arrête, tout ça aura été pour rien.
Toutes ces morts.
Toutes ces douleurs.
Pour rien.
Je me relève parce que je suis un être humain.
Et que les êtres humains continuent.
Même quand ça n'a plus de sens.
Même quand ça fait mal.
Même quand on sait que la prochaine mort sera pire.
Je marche vers la tour.
Une jambe après l'autre.
Le sang coule.
Le froid mord.
Mais je marche.
Parce que tant que je marche,
je suis encore vivant.
Et vivre,
même dans l'enfer,
c'est déjà une victoire. »
Je repars.
La boucle 49 continue.
**Leçon de morale**
On passe sa vie à regretter le passé
et à rêver d'un avenir meilleur.
On ne voit jamais que le présent est déjà un cadeau.
Fragile.
Précieux.
Unique.
Quand on le perd,
on donnerait tout pour revenir à ces moments
où on se plaignait d'avoir « une vie de merde ».
Vivez.
Vraiment.
Avant que la boucle commence
et que plus rien ne revienne.
🤍
