Kael rouvrit les yeux.
Son souffle était stable.
Son corps intact.
Il fronça les sourcils.
— ... Rien n'a changé.
Juste... une impression bizarre.
Un silence.
Puis les chaînes de Morpheas tintèrent.
L'aura du lieutenant vibra.
Un grondement sourd.
Kael eut à peine le temps de lever les yeux.
L'impact le traversa.
Sec.
Violent.
Pas son corps.
Son âme.
Un coup frontal.
Pur animique.
Kael se crispa.
Son esprit tout entier trembla.
Puis... rien.
Il resta debout.
Ses yeux écarquillés.
Intact.
Morpheas hocha lentement la tête.
— Voilà ta preuve.
Ton âme a changé.
Tu as maintenant... un cœur animique.
Kael resta figé.
Le souffle court.
Intact.
Mais avant même qu'il n'ait le temps de comprendre,
la voix de Thana éclata.
— MAIS T'ES UN GRAND MALADE, DIS-MOI !
Elle s'avança d'un pas.
Ses yeux flamboyaient.
Ses mains tremblaient de colère.
— Qu'est-ce qui t'a pris de faire ça ?!
Tu veux que je te tue, c'est ça ?!
Son aura claqua dans l'air.
Un frisson parcourut le couloir.
Morpheas, imperturbable,
garda le silence un instant.
Puis son regard se posa sur Kael.
— Il est indemne.
C'était la seule preuve valable.
Kael inspira.
Ses jambes tremblaient encore.
Mais il était debout.
Indemne.
Il regarda Thana,
figée devant Morpheas.
Sa voix claqua.
Froide.
Implacable.
— Oui, il est indemne...
mais dis-moi, Morpheas.
Elle fit un pas.
Ses yeux brillaient comme des lames.
— Et si ça n'avait pas été le cas ?
Qu'aurais-tu fait ?
Un silence.
Puis sa voix se fit encore plus glacée.
— M'aurais-tu offert ta vie ?
Tu crois vraiment qu'elle serait équivalente...
à celle de Kael...
à mes yeux ?
L'air vibra, saturé de tension.
Kael, encore sonné,
serra les dents.
Il comprenait.
Elle était prête à tuer.
Même un lieutenant d'Hypnos,
si la moindre erreur lui coûtait.
Kael leva la main.
Son souffle encore court,
mais sa voix, ferme.
— Ça suffit, Thana.
Elle tourna la tête vers lui,
les yeux encore brûlants de colère.
— Je n'ai rien.
Alors laisse couler, s'il te plaît.
Il inspira plus fort.
Ses épaules se redressèrent.
— Même si c'était maladroit,
ce n'était pas malintentionné.
On en reste là.
Un silence tendu.
Puis son regard se fixa sur Morpheas.
— J'ai besoin de savoir.
Tout.
Sur ces spectres.
Il serra les poings.
— Si je dois les affronter...
je veux le faire dans les meilleures conditions.
Morpheas baissa la tête.
Ses chaînes tintèrent.
Son aura s'affaiblit d'un souffle,
comme si la simple question avait rouvert une plaie ancienne.
Il garda le silence quelques secondes.
Puis ses yeux, d'un éclat pâle, se relevèrent vers Kael.
— Tu veux savoir...
Très bien.
Alors écoute.
Sa voix se fit grave, vibrante.
— Ces spectres...
ne sont pas de simples âmes errantes.
Ils ne sont pas nés ici, dans ces geôles.
Ils ne sont pas des accidents de la Tour.
Il inspira lentement.
Ses doigts crispés sur les maillons de fer.
— Ce sont... mes hommes.
Le silence tomba.
Même la pierre sembla se figer.
— Avant d'être réduit à ce que tu vois,
j'étais libre.
Je servais directement Hypnos,
et sous mes ordres...
ces deux-là étaient mes plus fidèles capitaines.
Ses yeux s'assombrirent.
— Des guerriers animiques de haut rang.
Leurs âmes étaient forgées dans l'acier des rêves.
Leur loyauté, absolue.
Ils se sont battus à mes côtés,
lorsque nous avons franchi des territoires
que même les autres émissaires n'osaient approcher.
Ses chaînes vibrèrent plus fort.
Un souffle amer s'échappa de ses lèvres.
— Mais la Tour...
n'épargne rien.
Pas même eux.
Il détourna un instant le regard,
comme incapable de soutenir les yeux de Kael.
— Lors de notre chute,
ils ont été arrachés à leur corps.
Leurs âmes broyées,
puis reforgées...
dans cette prison.
Son ton se brisa légèrement.
— Ce que tu vois aujourd'hui,
ce ne sont plus mes frères d'armes.
Ce sont leurs spectres.
Leurs ombres.
Des rémanences tordues,
gonflées de haine et de faim.
Il releva brutalement le menton.
Son regard se planta dans celui de Kael.
— Voilà pourquoi leur puissance est folle.
Ce n'est pas une anomalie.
C'est... leur héritage.
Un silence lourd.
Morpheas ferma les yeux.
— Si tu les affrontes...
tu n'affronteras pas seulement des monstres.
Tu affronteras ce qui reste
de deux guerriers d'exception.
Deux hommes qui auraient dû être
des légendes.
Il serra ses poings enchaînés.
— Et c'est peut-être ça...
le pire des fardeaux.
Morpheas garda le silence un long moment.
Ses yeux fixaient le sol.
Ses chaînes vibraient d'un souffle douloureux.
Puis il releva la tête.
Sa voix s'alourdit.
Presque suppliante, malgré sa stature.
— Mais... j'aurais une requête.
Si cela est possible.
Il inspira.
Chaque mot lui arrachait quelque chose.
— Je sais que je t'en demande trop.
Mais si... Messire Umbra...
est semblable à l'Umbra de notre seigneur Hypnos...
Ses yeux glissèrent vers l'ombre tapie à tes côtés.
— Pourrais-tu... lui demander...
d'engloutir leurs spectres,
une fois tombés ?
Sa voix se brisa.
— Non pas pour les détruire.
Mais pour les projeter à nouveau...
dans le cycle de réincarnation.
Ses poings tremblaient.
Son aura s'effritait de douleur contenue.
— Ils ont trop souffert.
Ils ont déjà assez donné.
Ce qu'il reste d'eux mérite le repos...
pas l'oubli.
Un silence lourd retomba.
Ses yeux se voilèrent.
— Ce serait... leur délivrance.
Kael hocha lentement la tête.
— Je le ferai.
Ils méritent au moins ça.
Ses yeux se durcirent.
— Personne ne mérite de vivre... comme ça, pour l'éternité.
Il inspira.
Puis son regard se tourna vers Thana.
— Mais... c'est quoi, cette histoire de deuxième Umbra ?
Chez Hypnos ?
Ses sourcils se froncèrent.
— Je croyais qu'Umbra était unique.
Un silence lourd.
Ses yeux fixaient Thana, brûlants.
— Thana...
C'est moi qui ai mal compris...
ou tu m'as menti ?
Thana soutint son regard.
Ses yeux restèrent froids.
Impassibles.
— Je ne t'ai pas menti.
Un silence.
Puis sa voix claqua.
— Mais il y a des choses...
que je ne t'ai pas encore dites.
Elle fit un pas vers lui.
Son aura vibrait, lourde.
— Tu n'étais pas assez fort.
Pas assez prêt...
pour les entendre.
Son ton se fit plus tranchant.
— Si tu es capable de surpasser ces spectres...
alors je me raviserai.
Et je t'en parlerai.
Un éclat glacé dans son regard.
— Mais si tu échoues...
de toute façon,
nous ne serons plus là pour en reparler.
Kael ne répondit pas.
Son regard resta figé un instant sur Thana.
Puis il se détourna brusquement.
Ses yeux se plantèrent dans ceux de Morpheas.
— Alors...
comment je m'occupe de ces spectres ?
Morpheas inspira profondément.
Ses chaînes grincèrent comme si elles pesaient plus lourd à chaque mot.
— Tu ne peux pas les affronter de front... pas tous les deux en même temps.
Même scellés, leur puissance dépasse la tienne.
Ses yeux se plissèrent.
— Le premier, Varos... était un maître de la lame spectrale.
Ses coups traversent la chair et frappent directement l'âme.
Il est rapide, insaisissable, mais il s'appuie trop sur l'agressivité brute.
Un silence.
Puis sa voix s'alourdit.
— Le second, Aren, était un défenseur.
Un mur vivant.
Ses chaînes peuvent bloquer, drainer, enfermer.
Il n'est pas aussi rapide que Varos...
mais sa résistance est monstrueuse.
Morpheas baissa un instant la tête.
— À deux, ils se complétaient.
La lame et le bouclier.
C'est ce qui faisait d'eux mes capitaines.
Son regard se durcit en revenant vers Kael.
— Tu devras séparer leurs forces.
Les forcer à se battre chacun pour soi.
Sinon... tu seras écrasé.
Il leva légèrement la main, désignant l'ombre à tes côtés.
— Umbra peut s'en charger.
Je sens en lui la faim, l'instinct de prédation.
Il pourra tenir tête à Varos.
L'ombre contre la lame.
Ses chaînes tintèrent.
Son aura vibra.
— Toi, concentre-toi sur Aren.
Le briseur de chaînes.
Toi seul peux faire face à son poids.
Ton kusarigama est ta seule chance...
pour le briser avant qu'il ne t'étrangle.
Un silence lourd s'abattit.
Morpheas inspira, puis ajouta d'une voix basse :
— Je les affaiblirai.
Mon Magia peut réduire leur force, les tirer vers le bas.
Mais je ne peux pas les retenir plus longtemps.
Le reste dépendra de toi.
Morpheas leva ses bras enchaînés.
Son aura jaillit, sombre et oppressante.
La pierre vibra.
Les runes gravées dans les murs se fissurèrent une à une.
Alors, dans l'obscurité du couloir,
deux silhouettes émergèrent.
Deux regards.
Deux spectres.
La lame.
Le bouclier.
Et leurs chaînes claquèrent en même temps.
