Ficool

Chapter 71 - 65e Echo : Alliance & Fracture

Kael s'accroupit.

Les fragments scintillaient encore, éparpillés sur la pierre froide.

Mais il s'arrêta net.

Son regard doré accrocha autre chose.

Dans un coin de la cellule...

un petit tas de tissus rapiécés.

Un coussin grossier, posé sur un paillasson effiloché.

Dessus, une peluche.

Usée.

Un bouton manquait à son œil.

À côté, un livre aux pages cornées.

Des dessins maladroits griffonnaient la marge.

Plus loin encore... un kit de couture, fil toujours passé dans l'aiguille.

Comme si quelqu'un avait dû s'interrompre...

puis n'était jamais revenu.

Kael resta figé.

Son souffle s'alourdit.

Ce n'était pas une geôle.

C'était une chambre.

Un foyer brisé.

Mais cette idée...

c'était impossible.

Ils étaient dans une geôle.

Pas dans une chambre.

Kael serra les dents.

Ses yeux dorés balayèrent les murs, chaque recoin, chaque fissure.

Il cherchait le moindre détail.

Le moindre indice qui aurait pu trahir une illusion.

Il en oublia presque les fragments.

Ses doigts restèrent immobiles.

C'était Thana qui, silencieusement, s'en chargeait à sa place.

Thana, de son côté, s'était perdue dans ses pensées.

Heureusement pour Kael.

Ses mains minuscules ramassaient les fragments machinalement, sans même y prêter attention.

Ses yeux, eux, restaient voilés.

Elle repassait en boucle ce qui venait de se passer.

Avait-elle été trop sévère ?

Trop dure... voire cruelle ?

Pas assez à l'écoute ?

Ou était-ce autre chose ?

Un arrière-goût de jalousie.

Cette lignée démoniaque...

La peur de le perdre pour quelqu'un d'autre ?

Elle n'arrivait pas à trancher.

Ses pensées s'emmêlaient.

Ses émotions devenaient chaotiques.

Kael...

Il était vraiment spécial pour elle.

Pas comme les autres hôtes qu'elle avait connus.

Eux... ils passaient.

Lui... il restait.

Il était différent.

Et elle tenait à lui.

Plus que tout le reste.

Peut-être trop.

Alors l'idée de le perdre...

c'était insupportable.

Et gérer ses propres émotions devenait presque plus difficile que de le protéger.

De l'autre côté de la pièce,

Kael restait accroupi, les yeux rivés au sol.

Ses doigts suivaient la pierre humide, remontaient sur les murs, revenaient aux barreaux.

Il cherchait.

Mais quoi ?

Il n'en avait aucune idée.

Il savait seulement qu'un détail manquait.

Qu'il y avait quelque chose, ici, qui n'allait pas.

Son souffle se fit plus court.

Sa mâchoire se serra.

Il se redressa, fit quelques pas, se pencha de nouveau, recommença.

Il ne cherchait pas un objet.

Pas un signe clair.

C'était son instinct qui hurlait.

Qui cognait à l'intérieur de son crâne :

— Cherche. Cherche. Continue.

Comme si la vérité se dissimulait sous les pierres elles-mêmes.

Comme si, sans la trouver, il allait étouffer avec elles.

Ses doigts s'attardaient sur chaque fissure.

L'humidité s'y accrochait comme une peau froide.

La poussière, elle, collait à ses phalanges, lui laissant une fine pellicule grisâtre.

Il inspira plus fort.

Une odeur de renfermé lui remplit les poumons.

Viciée.

Aigre.

Comme si l'air lui-même pourrissait avec les murs.

Chaque geste résonnait trop fort dans le silence :

le frottement de sa main sur la pierre,

le bruit sec d'un éclat qu'il déplaçait,

le grincement sourd quand il appuyait trop fort.

Il s'accroupit de nouveau.

Ses yeux balayèrent le sol.

Les planches, assombries par l'humidité, portaient des traces de moisissure verdâtre.

Un sol qui n'avait rien d'une cellule de pierre brute.

Trop travaillé.

Trop habité.

Kael fronça les sourcils.

Un frisson remonta le long de sa colonne.

Tout en lui criait que ce lieu n'était pas une simple geôle.

Et puis, au moment où il se redressa pour inspecter les étagères...

un éclair le traversa.

Le sol.

Que faisait un plancher... ici ?

Dans une geôle ?

Kael se figea, ses yeux dorés écarquillés.

Puis il se jeta à genoux.

Ses doigts s'enfoncèrent entre les lattes noircies.

Il tira.

Encore.

Encore.

La moisissure éclata sous ses ongles, l'humidité gicla en éclats sombres.

Pas de discrétion.

Pas de méthode.

Thana l'observait, figée.

Sous cet angle, il avait l'air presque hystérique.

Comme possédé.

— Kael ?... qu'est-ce que tu—

Il ne répondit pas.

Trop concentré.

Trop happé.

Un pincement lui serra le cœur.

Elle n'avait jamais vu son regard ainsi.

Et soudain, Kael s'arrêta.

Ses mains tremblaient.

Son souffle aussi.

— ... Je l'ai trouvé !

Il arracha une dernière planche.

Sous l'humidité, ses doigts saisirent un rouleau de vélin, intact.

Il le déroula avec une lenteur presque religieuse.

Ses yeux s'accrochèrent aux pigments, aux traits minutieux.

Un petit garçon, sept ou huit ans, peint avec une précision troublante.

Au-dessus de lui...

une entité noire, drapée, absolue.

Les contours vibraient comme une ombre vivante, comme si la plume avait saisi l'impossible.

Thana s'approcha, ses lèvres crispées.

Un souffle s'échappa d'elle.

Un son étranglé.

Et une larme roula sur sa joue.

— ... Hypnos.

Thana essuya discrètement sa joue, comme si rien ne s'était passé.

Le parchemin restait déployé entre eux, lourd de silence.

Mais ce n'était pas le moment.

Pas maintenant.

Pas avec Hypnos.

Elle serra les lèvres, détourna les yeux.

Kael, lui, continuait de fixer les lignes comme s'il cherchait encore un sens caché.

Il ne disait rien.

Un pincement traversa le cœur de Thana.

Et s'il lui en voulait ?

Et si son silence n'était pas du recueillement... mais de la colère ?

Elle inspira.

Doucement.

Rassembla son courage.

Ses lèvres s'entrouvrirent.

— Kael... je—

Une ombre éclata dans la cellule.

Sèche.

Violente.

Umbra jaillit, lacérant l'air d'un frisson noir.

Les flammes spectrales vacillèrent, le sol vibra.

Thana essuya la trace humide au coin de son œil.

Elle rassembla son souffle.

— Kael... je—

L'ombre jaillit.

Umbra était revenu.

L'air se contracta, une odeur de cendre froide mordit la gorge.

Les flammes spectrales frissonnèrent, puis se calmèrent—comme si la geôle retenait son souffle.

Des murmures graves roulèrent dans la masse noire.

Pas des mots. Des ondes.

Des pulsations irrégulières qui heurtaient la peau plus qu'elles n'atteignaient l'oreille.

Thana inclina la tête, très légèrement.

Son halo vibra—deux fois, court, comme pour répondre.

— ... Oui. Où ?

Elle marqua un arrêt, les yeux fixés dans l'ombre.

— Je t'écoute.

Kael serra la mâchoire.

— Qu'est-ce qu'il dit ?

Thana traduisit, la voix basse, précise :

— Il a patrouillé plus loin, comme convenu.

Dans l'une des geôles... une âme vient d'articuler des mots.

Pas des gémissements. Des mots.

Les volutes d'Umbra se tendirent vers le couloir, désignant une direction invisible.

Une pulsation plus lourde traversa la cellule.

— Il confirme qu'elle parle encore, ajouta Thana.

Et... qu'elle nous attend.

Kael échangea un regard avec elle.

Le parchemin tremblait à peine entre ses doigts.

Umbra resta immobile, suspendu, comme une lame dans l'air—prêt à les guider au premier signe.

Kael inspira longuement.

Ses yeux restèrent fixés sur Umbra, mais sa voix se tourna vers Thana :

— Même si quelque chose... d'aussi étrange est arrivé, on ne peut pas laisser ça derrière nous.

Elle le scruta un instant, puis hocha la tête sans discuter.

Alors, en silence, ils reprirent leur récolte.

Chaque fragment, ramassé un à un.

Le tintement sec se répéta dans la besace, monotone, presque rassurant.

Kael ajouta le vélin peint, soigneusement roulé, à l'intérieur.

Puis, sans savoir pourquoi... il prit aussi la peluche.

Usée, abîmée, mais encore intacte.

Ses doigts se crispèrent légèrement dessus, comme s'il avait peur qu'elle disparaisse.

Thana l'observa en silence.

Son halo vibra faiblement, troublé.

Elle aurait pu demander pourquoi.

Elle aurait pu lui rappeler que ce n'était qu'un jouet.

Qu'un débris inutile.

Mais elle se tut.

Elle voyait bien son regard doré, plus serré, plus grave encore.

Un instinct le guidait.

Et elle avait appris, déjà, à ne pas contrarier cet instinct.

Kael serra la besace contre lui.

Puis releva les yeux vers l'ombre.

— Montre-nous.

Umbra se mit en mouvement, fluide, ses volutes noires effleurant les murs comme une coulée d'encre vivante.

Kael emboîta le pas, Thana perchée sur son épaule.

Son regard, lui, ne restait pas droit devant.

Il pivotait sans cesse, à gauche, à droite, comme happé par ce qu'il apercevait derrière les barreaux.

Les geôles qu'Umbra avait déjà vidées restaient béantes.

À l'intérieur, il n'y avait plus de cris.

Plus de lueurs spectrales.

Mais des fragments de vies figées.

Ici, une table bancale couverte de vaisselle.

Là, une broderie inachevée, fil encore passé dans l'aiguille.

Plus loin, une lanterne posée sur un petit bureau d'écolier.

Toujours la même scène : des instants arrachés au quotidien, cloués dans l'éternité.

Kael fronça les sourcils, le souffle plus lourd.

Chaque cellule, chaque regard volé à ces reliques, renforçait l'impression que ce lieu n'avait jamais été pensé pour punir...

mais pour enfermer tout un monde.

Le couloir semblait s'étirer à l'infini.

Pas un bruit, si ce n'est le froissement sourd d'Umbra glissant contre les murs.

Kael suivait, le regard rivé aux geôles ouvertes.

Chaque pas le rapprochait, chaque pivot de tête arrachait une nouvelle vision de vies brisées.

Et puis, soudain—

Umbra s'arrêta net.

Ses volutes se figèrent, tendues vers une cellule à moitié effondrée.

Kael s'approcha.

Ses yeux dorés croisèrent l'impossible.

À l'intérieur, recroquevillée dans l'ombre, une silhouette fragile.

Un souffle ténu.

Puis une voix.

Faible. Tremblante.

— Pitié... je ne veux plus rester ici...

Je veux rejoindre ma maman... et mon papa.

Kael se figea.

Le temps se suspendit.

Ses doigts se crispèrent autour de la peluche.

Puis, lentement, elleglissa.

Chuta sur la pierre humide.

Le bruit sourd résonna dans le silence comme un glas.

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