Le mot résonnait encore dans sa tête.
Purgatoire.
Kael serra les dents.
Un goût métallique emplissait déjà sa bouche, comme si le simple fait de l'entendre avait infecté l'air.
Sous lui, la pierre vibrait.
Faiblement d'abord.
Puis plus fort.
Comme un battement sourd, étouffé par des couches de roche et de chaînes.
Chaque pulsation semblait répondre à ce mot interdit.
Comme si le souterrain lui-même s'en souvenait.
Kael inspira, mais son souffle resta court.
Son regard doré se tourna vers Thana.
Elle gardait le silence.
Ses yeux minuscules, sombres, refusaient de croiser les siens.
Puis, derrière eux...
un tintement plus sec.
Plus proche.
Comme si une première chaîne venait de céder.
Kael inspira, secoua la tête.
Ses yeux dorés fixés sur l'obscurité du couloir.
— Ce n'est ni le lieu, ni le moment d'aborder ce sujet... j'imagine de toute manière.
Il serra les poings, son souffle un peu plus lourd.
— Continuons à avancer.
Et restons prudents.
Son regard glissa vers la direction où les chaînes frémissaient le long des parois.
Un frisson remonta sa nuque.
— ... Je le sens pas, ce couloir.
Il avança prudemment.
Chaque pas résonnait sur la pierre humide.
Par réflexe, presque malgré lui,
il tenta de synchroniser sa marche
au cliquetis régulier des chaînes.
Un battement.
Un pas.
Un claquement.
Un pas.
Comme si calquer son rythme au leur
pouvait lui éviter d'entendre la folie qui se cachait derrière ces murs.
Le couloir était large.
Très large.
Assez pour que cinq personnes puissent marcher côte à côte sans se frôler.
Les murs étaient bâtis en blocs de pierre dense, scellés comme une forteresse.
Chaque fissure semblait suinter d'humidité, chaque jointure vibrait sous le poids des chaînes.
Ils approchaient.
Pas après pas, les deux premières portes se dessinaient.
Placées face à face,
comme les gardiennes silencieuses d'un passage interdit.
Kael ralentit.
Ses yeux dorés détaillaient chaque relief.
Ces portes...
Elles ressemblaient à celle du banquet.
Même technique.
Même gravure.
Même runes d'entrave.
À une différence près.
Elles étaient moins imposantes.
Moins hautes, moins massives.
Mais les matériaux...
les sceaux...
tout était identique.
Il leva la main.
Ses doigts s'approchèrent de la porte.
Un réflexe.
Comme s'il voulait tester la matière, vérifier sa réalité.
Mais il se figea.
Le souvenir de ses gaffes précédentes traversa sa mémoire comme une lame.
Son bras trembla.
Il tourna légèrement la tête, ses yeux dorés rivés sur Thana.
Elle s'y connaissait mieux que lui.
Mieux valait attendre sa confirmation.
Pourtant...
l'extrémité de ses doigts frôla l'armature froide de la porte.
Et aussitôt—
Un clac sourd résonna.
Puis un autre.
Et encore un.
D'un bout à l'autre du couloir, des flammes flottantes s'enflammèrent en chaîne.
Une lueur bleutée jaillit, illuminant chaque porte de chaque geôle.
En quelques secondes, l'intégralité du couloir s'embrasa d'une clarté spectrale.
La discrétion venait de disparaître.
Anéantie.
Kael serra les dents.
Un frisson glacé lui parcourut l'échine.
Kael ouvrit la bouche, prêt à jurer.
Mais Thana parla la première.
Sa voix claqua, sèche, presque autoritaire :
— Arrête de t'en vouloir pour si peu.
Son halo vibra d'un éclat ferme.
— Peu importe ce que tu aurais fait... ça serait arrivé.
Alors cesse de te flageller pour ça.
Un silence pesa.
Kael serra les dents, le regard fixé sur la lueur spectrale du couloir.
Thana reprit, plus basse :
— Continuons.
Un instant, il n'y eut que le silence.
Puis tout éclata.
Un brouhaha s'abattit d'un seul coup sur le couloir.
Des pleurs déchirants.
Des rires hystériques.
Des cris de torture, d'os qu'on brise, de chair qu'on arrache.
Des murmures de haine.
Et d'autres, plus doux, suintant d'un amour malade.
Tout s'enchaînait.
Tout se mélangeait.
Un torrent de voix impossibles à distinguer.
La pierre vibrait sous chaque intonation.
Les flammes dansaient au rythme de cette folie sonore.
Une personne normale...
n'aurait pas tenu plus de quelques secondes.
Ses tympans, son esprit, son âme même...
auraient cédé sous la surcharge.
Kael plaqua les mains contre ses tempes.
Le vacarme cognait, martelait, lacérait chaque recoin de sa conscience.
Impossible d'y échapper.
Chaque seconde allongeait la fissure dans son esprit.
Une pression continue, acide.
Un gouffre sonore prêt à l'engloutir.
Il serra les dents.
Mais son souffle se brisa.
Thana, perchée sur son épaule, observait.
Son halo vibrait d'un éclat nerveux, presque tremblant.
Alors, d'une voix glaciale, elle trancha :
— Umbra.
L'ombre frémit, encore lovée à demi contre la peau de Kael.
— Dévore-les.
Toutes les âmes de ces geôles.
Maintenant !
Sa voix claqua dans l'air, implacable, comme un ordre de sentence.
L'ombre s'étira.
Un frisson parcourut l'air, et aussitôt les cris changèrent de tonalité.
Le vacarme se mua en hurlements brisés, étouffés, happés dans un gouffre invisible.
Umbra se déploya.
Ses volutes noires glissèrent hors de la marque de Kael, serpentant vers les geôles.
Chaque porte vibra, chaque sceau palpita, puis des filaments d'ombre se faufilèrent à travers les barreaux.
Les âmes furent aspirées.
Une à une.
Leurs voix hurlantes se transformèrent en râles déchirés, jusqu'à s'éteindre dans le néant.
Kael tressaillit.
Ses mains toujours plaquées contre ses tempes, il haletait.
Le silence commençait à revenir, mais son souffle restait court.
Un doute l'assaillit soudain.
— Et... le sceau de Lilith ? Est-ce qu'il...
Thana répondit aussitôt, sans même attendre la fin de sa phrase.
— Bien sûr que non.
Elle ne le quittait pas des yeux.
Sa voix vibrait d'une intensité glaciale.
— Ce sceau protège ton esprit.
Des illusions, des manipulations, des attaques mentales.
Les ombres d'Umbra happaient encore les dernières silhouettes translucides, leurs formes déformées disparaissant dans sa masse.
— Mais là, Kael...
ce n'est pas ton esprit qui est attaqué.
Son halo s'assombrit.
Chaque mot tomba comme une condamnation :
— C'est ton âme.
Thana tremblait encore, son halo palpitant d'une lueur sombre.
— C'est pour ça que je suis hors de moi...
Sa voix se brisa un instant, puis revint plus tranchante que jamais :
— Ils ont osé toucher à ton âme.
Peu importe qui ils étaient avant...
personne... personne ne touche à ton âme !
Kael releva la tête, encore haletant.
Ses yeux dorés tentaient de se faire plus doux.
Il chercha ses mots, maladroitement.
— Ne t'inquiète pas...
les bruits commencent à s'atténuer.
J'ai moins mal.
Mais Thana explosa presque, sa voix claquant dans l'air humide :
— Tu ne comprends pas, Kael !
Elle s'avança, minuscule, son regard incandescent planté dans le sien.
— C'est de ton âme qu'on parle !
C'est plus que fragile.
La moindre erreur... et tu disparaîtrais à tout jamais.
Ses mots tombèrent comme des lames.
— Tu aurais pu mourir si je n'avais pas envoyé Umbra s'en occuper...
à la seconde près !
Thana ne lui laissa pas le temps de répondre.
Son halo vibra d'un éclat implacable, presque dur.
— Donc tu vas me faire le plaisir de renforcer ton âme.
Avant de sortir d'ici.
Et de la réparer.
Kael resta figé, surpris par la violence de son ton.
Ses lèvres s'entrouvrirent, mais aucun mot n'en sortit.
Thana s'approcha encore, ses yeux minuscules flamboyant d'une intensité glaciale.
— Je me fiche du temps que cela prendra.
Je ne te lâcherai pas la grappe avant que ce soit fait.
Le silence retomba, seulement brisé par l'écho lointain des chaînes.
Kael détourna les yeux, incapable de soutenir son regard.
Soudain, Umbra se redressa.
Son ombre se contracta, puis fila droit vers Thana.
Un silence tendu, puis...
— Oui, dit-elle en hochant la tête.
... Ok.
D'accord.
Tu peux continuer, on s'en occupe.
Kael la fixa, encore essoufflé.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
Thana tourna vers lui ses yeux minuscules, brillants d'un éclat sérieux.
— Umbra vient de m'expliquer que chaque âme dévorée a laissé un fragment derrière elle.
Il ne sait pas ce que c'est.
Mais il ressent une énergie qui s'en dégage.
Kael fronça les sourcils.
— Des fragments...
Thana hocha la tête.
— Je lui ai dit qu'on se chargerait de la récolte.
Il peut continuer son "farming" tranquillement.
Ils s'approchèrent de la première geôle.
Kael ralentit aussitôt.
Ses yeux dorés se plissèrent.
Le sol...
Il en était couvert.
Une vingtaine de fragments scintillaient, disséminés sur la pierre humide.
Petits éclats translucides, palpitant d'une faible énergie, comme des braises encore vivantes.
Et tout ça...
venait d'une seule geôle.
Kael inspira.
Un souffle court, incrédule.
— ... Tout ça, pour une seule cellule ?
Thana hocha lentement la tête.
Son halo vibrait d'un éclat grave.
— Oui.
Et il y en aura d'autres.
Kael resta figé devant le sol jonché d'éclats.
Ses yeux dorés parcouraient les fragments, incrédules.
— ... Ça veut dire qu'il a dévoré au minimum vingt âmes, rien que dans cette cellule ?
Un silence pesa.
Puis un souffle lui échappa, entre ironie et frisson.
— Rappelle-moi de bien le nourrir...
et de ne jamais l'ennuyer.
Il força un léger sourire, mais son poing resta fermé.
Son souffle se fit plus profond.
— ... Vingt âmes, rien que pour commencer.
Il se redressa lentement.
Ses yeux dorés s'illuminèrent dans la pénombre.
— Alors voyons ce quecachent les autres geôles.
