Ficool

Chapter 59 - 54e Echo : Domination & Silence

L'espace demeurait figé autour de Kael.

Pas littéralement, non.

Aucune compétence ne gelait le monde, aucun sort ne suspendait les secondes.

C'était autre chose.

Comme si l'émotion brute, trop dense, trop lourde, avait ralenti le flux du temps lui-même.

Chaque respiration sonnait démesurée.

Chaque battement résonnait comme un coup de marteau.

Même les ombres semblaient retenir leur danse, figées dans une attente suffocante.

Et là, clouée sur son trône...

La Reine Succube — Evelyne, comme venait de l'indiquer la fenêtre du Système.

Son corps demeurait tétanisé, gorge enchaînée contre le dossier, incapable du moindre mouvement.

En semi-asphyxie,

la salive dégoulinait hors de sa bouche,

glissant le long de son menton comme une honte qui refusait de sécher.

Ses yeux convulsaient par intermittence,

secoués de spasmes incontrôlés,

roulant dans leurs orbites comme si son propre esprit cherchait à fuir ce corps prisonnier.

L'effroi la dévorait.

Sans relâche.

Un prédateur invisible lui arrachait chaque fragment de volonté,

ne lui laissant aucun repos,

aucune échappatoire.

Une fenêtre système s'ouvrit sur le côté,

ses lettres blafardes flottant dans l'air comme une cicatrice lumineuse.

Mais Kael...

n'en prit même pas conscience.

Ce n'était pas qu'il l'avait ignorée.

Non.

C'était pire que ça.

Son esprit était happé, englouti dans cet instant.

Un état de transe brute, où seul l'instant existait,

où la présence de la Reine écrasée sous ses doigts

effaçait toute autre réalité.

Le système, le monde, le temps...

tout se dissolvait.

Il n'y avait plus que son souffle,

son regard vide,

et l'écho sourd de la domination.

Cette torture dura.

Longtemps.

Presqu'une heure entière s'écoula dans ce huis clos oppressant.

Les fenêtres système défilaient, impuissantes, comme des échos muets qu'il ne voyait même pas.

Elles n'existaient plus pour lui.

Tout ce qui restait...

c'étaient les pleurs d'agonie d'Evelyne.

Ses sanglots étranglés, ses convulsions, sa gorge labourée par la chaîne.

Chaque larme, chaque spasme, chaque souffle brisé venait nourrir la soif de Kael.

Une soif noire, primitive.

Un besoin viscéral de vengeance.

Et dans le vide de ses yeux, ce spectacle suffisait.

À lui seul.

Il n'admirait rien d'autre.

Il n'entendait rien d'autre.

Il ne vivait que pour ça :

étancher cette faim glaciale qui le dévorait.

Outre les lueurs qui clignotaient sur son flanc, des dizaines de fenêtres s'ouvraient et se refermaient comme des échos insistants.

Kael n'en avait même pas conscience.

Pas d'ignorance volontaire.

Juste... le vide.

Tout son esprit restait fixé sur la gorge étranglée d'Evelyne, sur ses convulsions, sur ses pleurs d'agonie qui étanchaient sa soif de sang et de vengeance.

Mais devant lui, une seule fenêtre persistait.

Stable.

Implacable.

Elle s'imposait à sa vision, comme un jugement qu'on ne peut esquiver :

[Système — Résonance inédite détectée]

[ Graine d'Autorité identifiée]

Source externe : Entité cosmique de type Absolu (Thanatos — Forme affaiblie)

[Analyse de compatibilité en cours...]

Prérequis pour activation complète : non remplis

Statut actuel : Graine mise en hibernation partielle

[Résonance stabilisée au niveau latent]

[Effet partiel débloqué : Aura de Domination — Rang C]

Type : Passif conditionnel

Rayon d'effet : 10 mètres

Fonction : Pression hiérarchique sur cibles de rang inférieur

Statut : Instable

La fenêtre resta suspendue.

Un verdict froid, gravé dans l'air.

Mais Kael... ne la vit pas.

Son regard demeurait fixé dans l'abîme rouge des yeux de sa proie.

Les fenêtres clignotaient, s'empilaient, obstruaient presque sa vision.

Kael les fixa enfin.

Un souffle rauque lui échappa, plus proche du grondement qu'un mot :

— Dégage.

[Erreur — commande non reconnue]

[Reconfiguration forcée...]

Et soudain, toutes disparurent.

Comme si même le système, face à cette injonction glaciale, avait reculé.

Le système se tût.

L'atmosphère s'alourdit encore, suffocante.

Chaque souffle résonnait comme une agonie.

La Reine, toujours assis sur le trône, vacillait à la limite de sa propre fin.

Son cou se tordait sous la chaîne, prêt à céder.

Ses yeux convulsaient, son corps cherchait un air qui ne viendrait pas.

Même les flammes des braseros semblaient vaciller, étranglées par une main invisible.

Soudain, Kael desserra sa prise.

La chaîne du kusarigama se relâcha dans un cliquetis sec, glissant sur la pierre du trône.

Le cou d'Evelyne fut libéré — mais son corps, vidé de toute force, ne suivit pas.

Elle bascula en avant, glissant lourdement, pour finir à genoux, haletante, devant le trône.

Chaque respiration était un râle.

La salive souillait ses lèvres.

Elle n'avait plus la force de se redresser.

À cet instant, elle n'était plus une Reine... seulement une proie écrasée, réduite à supplier l'air qu'on venait de lui rendre.

Kael s'accroupit lentement devant elle.

Son ombre l'engloutit, si proche qu'elle osa à peine respirer.

Terrifiée, Evelyne n'osa lever les yeux. Son regard restait rivé au sol, incapable d'affronter celui qui la dominait.

D'un geste mesuré, implacable, Kael tendit la main.

Ses doigts se refermèrent sur sa gorge nue.

Un cri étranglé jaillit de ses lèvres, brisé, pathétique.

Ses mains tremblaient, cherchant à repousser l'étreinte — en vain.

Il n'y avait rien de brutal dans son geste.

Seulement une froideur absolue.

Un verdict silencieux qui s'abattait sur elle.

Dans une main, Kael tenait toujours Evelyne, pendue, étranglée, ses jambes battant faiblement le vide.

Dans l'autre, le kusarigama venait de réapparaître, l'acier sombre vibrant comme s'il respirait.

La chaîne tressaillit.

Non plus comme un outil de combat.

Mais comme un instrument d'exécution.

Umbra se manifesta.

Son ombre glissa sur le métal, puis pulsa dans l'air.

On pouvait sentir les battements — réguliers, sourds, comme un cœur nouveau.

Un cœur froid, qui frappait à l'unisson du bras de Kael.

Chaque pulsation rapprochait la fin.

La lame glaciale effleura la gorge d'Evelyne.

Une fine traînée rouge perla déjà sur sa peau.

Kael recula légèrement son bras, prêt à frapper.

Précis. Net.

Un seul coup.

Sanguinaire. Irrévocable.

Et juste avant que le croc ne s'abatte —

— KAAAAEL... STOOOP !

La voix brisa tout.

Un cri, mais plus qu'un cri.

Un ordre, une supplique, une incantation.

Thana.

Le temps se figea dans son esprit.

Ses muscles cessèrent de répondre, suspendus dans l'instant.

Son corps entier sembla obéir à cette seule injonction, comme si chaque fibre reconnaissait une clé oubliée.

Le silence tomba.

Seuls restaient les halètements d'Evelyne, suffocante, et les battements froids d'Umbra, qui résonnaient encore dans le vide.

Le regard de Kael se détourna brusquement.

Ses yeux, brûlants de colère contenue, se braquèrent sur Thana.

Dans sa main, Evelyne pendait toujours.

Ses membres tremblaient convulsivement, dégoulinants d'un mélange de sang, de salive, de larmes et de sueur.

Un pantin brisé, mais encore vivant.

Kael serra un peu plus sa prise.

Sa voix claqua, sourde, tranchante :

— À quoi tu joues, Thana ?

Je croyais qu'on devait en finir.

Tu as oublié ce qu'elle nous a fait subir... pour son plaisir ?

Dis-moi clairement... à quoi tu joues !

(Silence.)

Pas une réponse.

Rien qu'un souffle, fragile, comme si elle n'avait plus la force d'expliquer.

Kael serra les dents.

Son bras se contracta à nouveau.

Il se retourna vers la Reine, prêt à achever le jugement.

Mais brusquement —

Un choc glacé : Thana s'agrippa à son bras armé, celui qui tenait le kusarigama.

Ses doigts fins se refermèrent avec une force désespérée.

Elle colla son corps contre le sien, comme pour le retenir par tous les moyens.

Sa voix, tremblante mais ferme, jaillit enfin :

— S'il te plaît... ça suffit.

Tu en as déjà assez fait.

Elle peut encore servir.

Son front s'appuya contre son bras, implorant.

— Donc pas ici.

Pas maintenant.

Ne sombre pas... pas encore.

Son souffle se coupa.

Figé.

Comme si le poids de ses mots venait heurter un mur déjà fissuré en lui.

Ses yeux glissèrent de la gorge d'Evelyne à Thana, encore agrippée à son bras.

Un contraste violent.

D'un côté, la proie suffocante, offerte au fil tranchant.

De l'autre, l'ombre vacillante, mais obstinée, qui refusait de le laisser sombrer.

Sa mâchoire se crispa.

Un grondement sourd monta dans sa gorge.

Il aurait suffi d'un geste.

Un seul.

Pour que tout s'achève.

Mais ce geste...

il resta suspendu.

Le croc du kusarigama vibrait toujours.

Prêt à tomber.

Et pourtant, Kael ne bougea plus.

Ni en avant.

Ni en arrière.

Un silence épais s'étira.

Pesant.

Comme si même la salle retenait son souffle, attendant son choix.

Mais la pression en lui...

c'était insoutenable.

Une puissance condensée, sauvage, prête à éclater.

Trop lourde pour être contenue, trop sombre pour disparaître d'elle-même.

Sans cible, elle aurait déchiré son propre corps.

Alors Kael fit un choix.

Il leva son kusarigama.

La chaîne vibra comme un cœur au bord de l'explosion.

Et, dans un geste net, brutal, il abattit la lame sur le trône.

Un craquement fracassa la salle.

Le marbre sombre se fissura sous l'impact.

Puis il vola en éclats, pulvérisé en une pluie d'éclats noirs et rouges.

Comme si toute la rage, toute la soif de sang et tout l'orage d'émotions s'étaient évacués dans ce seul coup.

Kael resta immobile une seconde, haletant.

Puis il lâcha Evelyne.

Son corps retomba lourdement au sol, suffocant, gisant à ses pieds.

Il se retourna vers Thana.

Ses yeux encore sombres, son souffle encore rugueux.

Mais sa voix, elle, n'était qu'un fil glacé :

— Maintenant... j'écoute ce que tu as à me dire.

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