Kael, malgré cette sensation étrange et persistante, avait l'impression d'être sorti de l'Enfer.
Le paysage autour de lui... inconnu.
Depuis sa sortie du portail, l'illusion avait déjà pris le pas sur lui — sans qu'il ne puisse s'y opposer.
Et pourtant... cette vue semblait promettre une forme de liberté.
Presque.
Mais il y avait un problème.
Où était Thana ?
Je l'ai appelée.
À voix haute.
En murmure, dans mon esprit.
Rien.
Le vide.
Un silence complet.
C'était la première indication qu'une chose clochait.
La seconde... ce malaise persistant, ancré sous ma peau.
Malgré moi, je tentai de me convaincre qu'il y avait une raison logique à tout ça.
Peut-être que nous avions été séparés.
Mais aussitôt cette pensée formée... je sus que c'était faux.
Mon lien avec elle m'aurait immédiatement indiqué si elle était proche ou éloignée.
Son état d'esprit. Son énergie. Tout.
Ici... rien.
Quelque chose clochait vraiment dans ce lieu.
Pour l'instant... mieux valait analyser l'environnement.
Et continuer de chercher.
Mourir avant de l'avoir retrouvée serait vraiment idiot.
La connaissant... elle me maudirait pour ça.
Devant moi : un désert rocailleux.
Quelques fossés.
Des falaises abruptes.
Pas un seul point d'eau en vue.
En clair... un enfer sans flammes.
J'étais dépité.
Marre de marcher.
Puis, en fixant mes ombres projetées par ce qui ressemblait à deux soleils, une pensée me traversa :
Umbra, lui, ne pouvait pas me quitter.
Pas comme Thana.
Mais le choc me frappa aussitôt.
La vérité me transperça.
Je n'étais jamais sorti.
Umbra n'était pas là.
Aucune énergie.
Aucun retour.
Pas même une réaction, bonne ou mauvaise.
Et ça... ça ne lui ressemblait pas.
Il décida de repartir en exploration..
Mais avant même ses premiers pas laissez dans le sable qu'il vit quelque chose d'assez trouble d'où il se trouvais.
Au loin... quelque chose venait de naître dans l'horizon vide.
Une silhouette massive, posée sur la mer de pierre, là où quelques secondes plus tôt il n'y avait que le désert.
Une plateforme.
Noire, lisse, immobile.
Trop nette pour être un simple rocher.
Trop... construite.
Je plissai les yeux.
La chaleur tremblait dans l'air, déformant les contours.
En avançant, les détails se précisaient.
La structure n'était pas vide.
Quelque chose se tenait en son centre.
Une forme haute, effilée, comme taillée dans un seul bloc.
Chaque pas resserrait l'étau dans ma poitrine.
Ce n'était pas possible.
Puis, à quelques mètres à peine, la vérité se fixa dans mon champ de vision.
Et mon corps... réagit avant même que mon esprit ne comprenne.
Un frisson secoua ma nuque.
Mes muscles se crispèrent.
Mes mains tremblèrent, comme si elles se souvenaient d'une douleur oubliée.
Et alors seulement, l'image s'imposa :
La plateforme du temple.
Et, en son centre... la prison de verre d'obsidienne noire.
Impossible.
Elle ne pouvait pas être ici.
Pas dans ce désert.
Pas maintenant.
Une pulsation brutale explosa derrière mes tempes.
Comme si quelque chose tentait de forcer mes pensées à se détourner.
Je reculai d'un pas... puis d'un autre.
La douleur monta, acérée, vibrante, prête à me fendre le crâne.
Non.
Pas question de céder.
Mes doigts se crispèrent, mes ongles labourant ma paume.
Mes genoux plièrent, mais je restai debout.
Je voulais continuer à regarder.
À graver cette vision dans ma mémoire, comme une preuve contre elle.
La prison semblait pulser, respirer.
Chaque battement envoyait une onde plus violente, plus envahissante.
Je mordis ma lèvre jusqu'au sang.
Tant que je tenais... elle ne gagnerait pas.
Puis, un éclair blanc me traversa l'esprit.
Un cri étouffé m'échappa.
Mes jambes cédèrent.
Et le monde bascula dans un noir liquide.
La lumière revint d'un coup.
Trop douce.
Trop stable.
Je respirai... et l'air avait ce parfum familier, mélange de linge propre et de bois ciré.
— Kael...?
Je tournai la tête.
Elle était là.
Lyana.
À genoux près de moi, ses mains effleurant mon épaule.
Un petit sourire, timide mais teinté d'une pointe de moquerie.
— Tu t'es évanoui... à peine quelques minutes.
Tu parlais d'une... Thana, et d'un temple.
J'avoue que je n'ai pas tout compris.
Sa voix était douce.
Trop douce.
Elle continua, cherchant mes yeux.
— Je m'inquiétais... tu as même murmuré que tu devais "la" retrouver, avant de tomber.
Tu sais, tu devrais arrêter de te mettre dans des états pareils.
J'hochai la tête, lentement.
Mes lèvres formèrent un léger sourire, comme si je buvais chacune de ses paroles.
Mais à l'intérieur... tout hurlait.
Chaque mot qu'elle prononçait, je le pesais.
Chaque geste, je l'observais à rebours.
Si elle inclinait la tête pour paraître douce, je notais la rigidité dans sa nuque.
Si ses mains semblaient apaiser, je sentais leur immobilité trop calculée.
À l'extérieur, j'étais ce frère attentif et rassuré.
À l'intérieur, j'étais une lame qui cherchait la faille.
Ses mots glissaient encore, mais je n'écoutais plus vraiment.
Je gardais mon rôle, mes hochements de tête mesurés, mon regard juste assez accroché au sien pour qu'elle s'y accroche aussi.
Puis... quelque chose troubla ma vision périphérique.
Une sensation tiède, presque imperceptible, sur ma joue gauche.
Je baissai imperceptiblement les yeux.
Une larme.
À l'extérieur, mon expression ne changea pas.
Je laissai la goutte tracer sa route, comme si c'était un simple écho de soulagement.
Pour elle, c'était crédible.
Rassurant, même.
Mais à l'intérieur... je me penchai sur l'énigme.
Pourquoi ?
D'où venait cette larme ?
Je ne ressentais ni chaleur, ni vraie peine, ni joie.
Juste ce mouvement involontaire, comme un fragment de moi qui n'obéissait plus à mes ordres.
Et plus j'essayais de remonter à l'origine, plus j'avais l'impression que cette larme... n'était pas la mienne.
Et plus je forçais à en comprendre l'origine... moins j'avais de contrôle sur elle.
Comme si cette goutte n'était pas une fuite, mais une fracture.
Pas un débordement d'émotion.
La conséquence... d'un refus.
Un refus d'exprimer quelque chose.
Quelque chose d'enfoui si profondément que même mes pensées semblaient l'éviter.
À l'extérieur, je restais impassible, jouant toujours le frère apaisé.
À l'intérieur, je sentais la larme comme une intrusion.
Un code fissuré.
Un message que mon propre corps m'envoyait, et que je n'arrivais pas encore à lire.
Et plus je cherchais... plus la vérité se dévoilait.
Cette larme n'appartenait pas à l'illusion.
Elle venait de moi.
Elle portait le poids de tout ce que j'avais refoulé :
La culpabilité.
Les excuses jamais prononcées.
L'incapacité à la protéger.
La promesse brisée de toujours être là.
Ce n'était pas un geste calculé, ni une faiblesse passagère.
C'était le rappel silencieux de chaque fois où je l'avais laissée affronter seule ce que j'aurais dû encaisser à sa place.
Et dans cette pièce trop parfaite, face à ce visage que je savais faux...
cette larme, elle, était réelle.
Et soudain, je lâchai toute distance.
Ma main se posa sur son épaule.
Puis l'autre, sur sa taille.
Je l'attirai contre moi et la serrai.
Fort.
Comme si je pouvais faire disparaître des années de silence en un seul geste.
Les mots jaillirent.
Tout ce que je n'avais pas pu dire lorsqu'elle était encore consciente.
Tout ce que j'avais enterré sous la colère, la peur et les mensonges.
Sans filtre.
Sans calcul.
Je lui parlai de mes échecs.
De ma honte.
Du poids écrasant de n'avoir pas tenu ma promesse.
De la nuit où je n'étais pas là.
De chaque instant où j'aurais dû me mettre entre elle et le monde... et où j'avais failli.
Ma voix tremblait, mais je ne m'arrêtais pas.
Ce n'était pas pour elle que je parlais.
C'était pour moi.
Comme si, en lui offrant cette vérité nue, je pouvais me délester de mes péchés.
Comme si cet aveu pouvait racheter ce qui ne le serait jamais.
Je savais que ce n'était pas le cas.
Trop facile... bien trop facile de me libérer pour si peu.
Mais, malgré tout... le sentiment d'avoir parlé à Lyana.
D'avoir tout dit.
Ça m'avait allégé.
Libéré d'une partie de ce poids que je m'obstinais à garder...
comme une punition.
Comme si souffrir en silence pouvait équilibrer mes fautes.
Et là... pour la première fois depuis longtemps, ce fardeau ne me tirait plus aussi bas.
Après un moment de calme, je relâchai lentement mon étreinte.
Juste assez pour qu'il n'y ait plus qu'une dizaine de centimètres entre mon œil et celui de Lyana.
Je plantai mon regard dans le sien...
Non.
Pas dans le sien.
Derrière.
Là où je savais que tu te cachais.
Là où, tapie dans l'ombre, tu observais chaque battement de mon cœur, chaque faille dans mon esprit.
Mon iris accrocha la tienne comme une lame glisse sous la peau.
Je voulais que tu sentes ma présence.
Ma colère.
— Reste bien où tu es...
Toi qui as si bien joué avec moi tout ce temps.
Ma voix se fit basse, mais chaque mot vibrait d'une promesse que tu comprendrais.
— Je viens de te remercier... comme il se doit.
Attends-moi.
J'arrive bientôt... pour toi.
Une chaleur étrange monta dans ma poitrine, pulsant jusque dans mon cœur.
Puis je le sentis : le système se réactivait.
Je souris, sans rompre le contact visuel.
— Oh... parfait.
L'Œil de Nyx s'ouvrit dans mon iris, et à travers les yeux de Lyana, je te vis.
Je gravai ta présence dans la marque.
— Tu es marqué.
Inutile de fuir.
Tu n'auras nulle part où aller... et tu ne m'échapperas pas.
— À tout de suite...
