L’Orbe noire s’éleva lentement,
comme si elle respirait.
Puis une voix familière gronda dans l’air.
Ni forte, ni criée.
Mais impossible à ignorer.
— Félicitations.
Kael se figea.
Thana aussi.
Même Umbra marqua un bref arrêt.
Cette voix…
Celle du Guide.
Mais l’étonnement fut immédiat.
Total.
Pas à cause des mots.
Mais parce que personne —
absolument personne —
ne savait que l’Orbe pouvait parler.
Encore moins à travers lui.
Encore moins par lui.
— Ce… n’était pas censé être possible, murmura Thana.
Kael, lui, restait muet.
Pas par choix.
Mais par incompréhension.
Le Guide.
Ici.
Maintenant.
Comme s’il s’était amusé à observer toute la scène,
et choisissait seulement maintenant d’apparaître.
Un murmure glissa dans l’air.
Ironique.
Presque moqueur.
— Le Guide daigne honorer de sa présence… commenta Kael intérieurement,
la mâchoire serrée.
L’Orbe noire flottait à hauteur de regard.
Immobile.
Mais animée par une présence ancienne,
trop précise pour être un simple artéfact.
La voix reprit.
Plus lente.
Plus grave.
— Félicitations.
— Vous avez réalisé ce que peu pensent seulement à tenter.
Kael ne disait toujours rien.
Son souffle restait bloqué.
Et pourtant, il écoutait.
— Les trois chefs…
auraient dû être séparés.
Leur fusion n’est pas prévue pour ce stade.
Un silence pesant.
Puis la voix conclut :
— Vous auriez dû mourir.
Thana dévia le regard.
Même elle, pourtant toujours ancrée dans ses repères,
semblait avoir du mal à masquer le trouble.
Kael, lui, sentait une sueur froide remonter le long de sa nuque.
Pas de peur.
Mais parce qu’il comprenait ce que cette phrase impliquait.
Ils n’étaient pas censés survivre.
Et le Guide le disait… sans jugement.
Juste comme une évidence mathématique.
Un échec du calcul des probabilités.
La voix continua.
Toujours aussi calme.
Toujours aussi précise.
— Pour cela,
l’Axe vous reconnaît un Haut Fait.
Kael sentit un courant d’air glacial effleurer sa peau.
Comme si l’air lui-même réagissait à ces mots.
— Vous recevez les points de conquête habituels…
— mais ce cas dépasse toute prévision.
Un autre silence.
Plus long.
— Ce que vous avez accompli
surpasse l’objectif caché de cet étage.
Puis, comme s’il lisait une liste scellée :
— En supplément :
→ Points de Mérite bonus
→ Points de Conquête supplémentaires
→ Et… trois essences pures : deux de rang E, une de rang D.
Kael fronça les sourcils.
Thana releva doucement la tête.
Mais la voix ne s’arrêta pas.
Elle devint plus…
inflexible.
— Mais cette fois, un choix s’impose.
Un frisson.
Comme une ligne invisible venant d’être tracée.
— Vous pouvez les absorber directement.
— Rien ne garantit votre survie.
Le ton ne trembla pas.
Il constatait.
— Ce ne sont pas des Essences mineures.
Ce sont des noyaux.
Des échos de volontés.
Un silence.
Puis, plus lentement :
— Ou… vous pouvez les convertir :
→ en Magia cristallisé (Rang E)
ou
→ en Joyaux de Katharsis (Rang E)
Une dernière pause.
Puis la phrase tomba,
comme un verdict :
— Le choix vous appartient.
Kael resta immobile.
Les trois essences flottaient devant lui.
Vibrantes.
Brûlantes.
Deux pulsaient à un rythme rapide, effilé.
L’autre, plus lourde, semblait battre comme un cœur ancien.
Elles ne tournaient pas.
Elles attendaient.
Trop puissantes.
Trop inconnues.
Kael sentit leur présence jusque dans ses os.
Pas comme une promesse.
Mais comme une menace muette.
Il fronça les sourcils.
Sa gorge était sèche.
Ses pensées, embrouillées.
Il tourna lentement la tête vers Thana.
— Tu… en penses quoi ?
Elle ne répondit pas tout de suite.
Elle observa les fragments un moment,
puis lui adressa un sourire.
Discret.
Presque maternel.
— Tu pourras récolter plein de cristaux ou de joyaux plus tard.
Avec du temps.
Avec de l’acharnement.
Elle s’approcha.
— Mais des essences…
celles de Spirit ou d’Anima… ?
Elle haussa les épaules.
— C’est rare, Kael.
Très rare.
Et celles-là… t’ont reconnu.
Elles ne se laisseront pas capturer une seconde fois.
Kael baissa les yeux.
Il entendait.
Mais luttait encore.
Elle leva alors deux doigts,
et les posa doucement contre son torse,
juste au-dessus du cœur.
— Alors, quand une occasion se présente…
ne laisse pas la peur décider.
Elle le regarda droit dans les yeux.
— Et ne t’inquiète pas.
Son ton s’adoucit.
— Tu es mon hôte.
Elle recula d’un demi-pas.
Puis, plus bas :
— Et comme promis…
je serai toujours là pour toi.
Kael ferma les yeux un instant.
Le poids des choix n’avait pas disparu.
Mais quelque chose… s’était allégé.
Il resta ainsi, les paupières closes.
Un instant. Deux. Peut-être plus.
Son cœur battait encore trop fort.
Mais son esprit…
lui, s’était enfin remis à penser.
Les images défilaient.
Le combat.
La peur.
Le regard d’Umbra.
Le silence de Thana.
Le rire du Guide.
Et maintenant, ces essences.
Des fragments de puissance brute,
trop denses pour être naturels.
Trop vibrants pour être inoffensifs.
Il ouvrit les yeux.
Les trois sphères étaient toujours là.
À la même hauteur.
À la même distance.
Offertes.
Mais pas sans conséquences.
Les absorber ?
Risquer de brûler de l’intérieur ?
Ou les convertir, perdre une partie de leur nature, mais gagner en stabilité ?
Kael serra le poing.
— Ce ne sont pas des objets.
Il parlait bas.
Pour lui-même.
Mais Thana l’entendit.
Il leva les yeux vers elle.
— Ce sont des fragments de quelque chose… de vivant.
Et si je les prends…
je ne pourrai plus faire marche arrière.
Thana hocha lentement la tête.
— Justement.
Tu dois choisir ce que tu veux devenir.
Un souffle.
Kael tendit la main.
Ses doigts frôlèrent la première sphère.
Elle ne brûlait pas.
Elle… attendait.
Il inspira.
— Très bien.
Je choisis.
Kael ne bougea plus.
Les essences avaient cessé de flotter.
Elles s’étaient alignées devant lui,
comme si elles attendaient une dernière permission.
Il ne les toucha pas.
Pas encore.
Son choix était fait.
Mais il savait que ce qui suivrait… ne serait pas immédiat.
Ni simple.
Thana s’était reculée de quelques pas.
Pas par peur.
Mais par respect.
Comme si elle savait que ce moment n’appartenait qu’à lui.
Même Umbra,
toujours si vif,
s’était assis à l’ombre de son maître.
Silencieux.
Kael ferma les yeux.
Il inspira.
Longuement.
Une fois.
Puis il s’assit.
Dos droit.
Mains posées sur ses cuisses.
Les essences pulsant devant lui.
— Pas maintenant… souffla-t-il.
Il ne fuyait pas.
Il se préparait.
Car il savait une chose :
Absorber ces fragments,
ce serait plus qu’un gain.
Ce serait une marque.
Un avant. Un après.
Et une fois commencée…
il ne pourrait plus faire demi-tour.
