Ficool

Chapter 48 - 43e Echo : Folie & Carnage

La brume ne restait plus figée.

Elle rampait.

Lentement d’abord, presque paresseuse,

puis avec une aisance troublante — comme si elle respirait.

Pas une bourrasque. Pas un souffle.

Mais le monde semblait aspiré. Compressé.

Kael serra les dents sans s’en rendre compte.

Il n’y avait pas eu de bruit, pas de menace explicite…

Et pourtant, ils étaient encerclés.

La nappe grise se refermait comme une main molle.

Puis, au cœur de cette brume vivante,

des formes apparurent.

Une. Deux. Trois.

Jusqu’à atteindre près d’une douzaine de ses créatures.

Pas d’apparition soudaine.

Elles étaient là depuis le début.

Une seule espèce à première vue.

Chaque créature semblait avoir sa propre manière d’évoluer :

certaines avançaient à quatre pattes, la colonne basse, presque fluide.

D’autres, redressées, frôlaient la bipédie, les épaules arquées.

La même enveloppe. La même volonté.

Seule leur démarche les distinguait.

Tout le reste hurlait l’uniformité.

Mais…

Pas un son. Pas un cri.

Comme ces spectres anciens que décrivent les contes —

ceux qui n'ont aucun souffle de vie… mais qui savent quand tu retiens le tien.

Et pourtant…

Chaque pas. Chaque bascule de leur corps.

Obéissaient à une pulsation commune.

Un rythme ancien. Primal.

Comme si une volonté plus grande les guidait.

Pas une chasse désordonnée.

Un rite, plus précisément, on aurait dit un rite de prédation ancien et primal.

Une marche sacrée avant le festin.

Ce n’était pas un piège.

C’était une offrande inversée.

Et Kael, à cet instant…

était leur centre.

Car elles tournaient.

Lentement.

Silencieusement.

Réduisant le rayon. Pas à pas. Sans jamais s’arrêter.

Comme si chaque tour effaçait une issue.

Comme si le monde rapetissait autour de lui.

Leurs silhouettes se glissaient à travers la brume,

disparaissaient, réapparaissaient plus loin — toujours en orbite.

Leurs pas suivaient une cadence qu’on ne pouvait pas entendre,

mais que le corps ressentait.

Oppressante. Précise. Préméditée.

Et dans ce cercle mouvant, tout était pensé pour que la proie oublie qu’elle n’est pas déjà condamnée.

Pour qu’elle cesse d’être un être pensant… et redevienne une cible.

Kael…

Ce n’était plus arrivé depuis longtemps.

Il ressentait de la peur.

Mais pas n’importe laquelle.

Une peur ancienne.

Celle qu’on vit enfant, mais qu’on n’a jamais vraiment comprise.

Celle qu’on enterre, qu’on scelle.

Et cette peur-là… il ne pouvait pas la lier à un souvenir.

Il savait qu’il l’avait déjà ressentie.

Mais l’accès à cette mémoire… était verrouillé.

Thana comprit.

Quelque chose dans son passé… ressemble à ce moment.

Quelque chose qu’on lui a effacé.

Mais quoi…?

Et Kael… changeait.

Il passait de la terreur à la colère,

de la colère à un fou rire malaisant,

si déformé qu’il aurait fait frissonner le Diable lui-même.

Même Thana, pourtant liée à lui,

sentit une gêne s’installer.

Un malaise.

Puis…

Sans prévenir, une des bêtes bondit.

Sortie de la brume, elle lui lacéra le dos.

Une taillade nette, tranchante, sanglante.

Et pourtant —

Kael ne réagit pas.

Ni cri.

Ni sursaut.

Rien.

Son esprit continuait sa rotation dérangée : peur, colère, ricanement.

C’était comme si la douleur n’existait plus.

L’agresseur retourna dans la brume.

Une autre tenta sa chance.

Elle bondit par le flanc droit, gueule ouverte, prête à lui arracher la gorge.

Mais au dernier moment,

le bras de Kael se leva.

Un réflexe ?

Peut-être.

Mais son regard avait changé.

Plus froid que la brume.

Plus tranchant que la griffe.

Et cette créature-là…

pour la première fois,

ressentit quelque chose qu’elle ne connaissait pas : la peur.

Kael ouvrit la bouche.

Une voix basse en sortit.

Chaque mot chargé d’une violence sèche.

— Et toi... qui t’a autorisé à essayer de me bouffer ?

Puis il mordit.

Oui.

Il mordit.

Ses dents se plantèrent dans la gorge de la créature,

et d’un mouvement brutal,

il lui arracha la trachée.

Un bruit humide.

Un craquement sourd.

Et dans la brume…

un silence nouveau.

Pas religieux.

Pas ritualisé.

Un silence de terreur.

Parce qu’à cet instant…

la meute avait compris.

La proie avait changé.

Puis… plus rien.

Le monde se coupa net.

Pas d’image.

Pas de son.

Juste une impression…

Comme si le temps avait glissé.

Comme si Kael avait été remplacé par un vide actif,

quelque chose de froid, méthodique…

Et très loin de ce qu’il était.

Il n’y eut pas de cri.

Pas de souvenir.

Seulement un flou.

Et quand Kael ouvrit les yeux — vraiment —

Il était debout,

au milieu des cadavres.

Son kusarigama pendait, ruisselant,

comme s’il venait de finir un rituel.

Son souffle était court.

Mais il ne savait pas pourquoi.

Il ne savait même pas où était passé le reste.

— Kael !

Sa voix.

Il la reconnaissait.

Mais elle semblait venir de loin.

— Kael, réponds-moi !

Ses pas résonnaient autour de lui.

Elle courait.

— Regarde-moi… putain, KAEL !

Il tourna lentement la tête.

Son regard était vide.

— Tu m’entends ?! Tu SAIS ce que tu viens de faire ?!

Elle l’attrapa par les épaules.

Le secoua.

— Dis-moi que tu te rappelles ! Dis-moi que c’est toi, merde !

Elle cherchait son regard.

— Tu m’as fait peur… Tu…

Sa voix se brisa.

Juste un instant.

— Tu m’as fait peur…

Il baissa les yeux.

Du sang. Partout.

Pas le sien.

Il ouvrit la bouche.

Rien ne sortit.

Alors Thana reprit.

Encore. Encore.

— Tu m’as parlé dans une langue que je ne devrais pas entendre…

Elle le fixa droit dans les yeux.

— Dis-moi que tu sais ce que c’était.

Dis-moi que c’était toi…

Une larme, minuscule, fendit sa joue.

— Parce que si ce n’était pas toi, Kael…

Elle ne termina pas.

Mais son silence valait mille aveux.

Kael cligna des yeux.

Sa voix, enfin, brisa le silence.

— Qu’est-ce qui…

Il regarda autour de lui.

Les corps. Les lambeaux. Les sillons dans la brume.

— C’est toi… qui as fait ça ?

Sa voix était sincère.

Vraiment.

Et c’est ce qui brisa Thana.

Elle éclata.

— Moi ?

Elle rit. Un rire étranglé.

— Tu plaisantes ? Tu crois que c’est MOI qui ai fait ça ?!

Elle le repoussa d’un geste brusque.

Pas de haine. Juste… trop plein.

— Tu ne te souviens de rien. Rien du tout, hein ?

Il secoua la tête. Lentement.

Elle s’écarta. Fit quelques pas.

— D’abord, tu as mordu l’un d’eux à la gorge. Comme une bête. Sans arme.

Elle se retourna.

Les yeux brillants.

— Ensuite, tu as sorti ton kusarigama.

Tu t’es mis à… danser avec.

Elle chercha ses mots.

— Tu n’as pas combattu.

Tu as… joué.

— Tu tranchais, tu déchiquetais, tu sautais de l’un à l’autre comme si leur vie n’avait aucun poids.

Sa voix s’accélérait, se déformait.

— Tu riais, Kael. Tu RIAIS. Comme si tu avais attendu ce moment toute ta vie.

Elle fit un pas vers lui.

— Et quand j’ai essayé de t’arrêter…

Sa voix se brisa de nouveau.

— Tu m’as parlé dans une langue que même moi… je n’ai plus le droit d’entendre.

Elle baissa les yeux.

— Tu ne m’as pas reconnue.

Kael ne dit rien.

Il porta lentement deux doigts à ses lèvres.

Les effleura.

Puis les observa.

Du sang.

Épais. Sombre.

Il ne sentait aucune douleur dans sa bouche.

Ce n’était pas le sien.

Il baissa les yeux, regarda ses bras, ses mains, le sol.

Puis, comme si le monde s’élargissait d’un coup,

il regarda autour de lui.

Les douze corps.

Mutilés. Lacérés.

Il n’y avait aucune logique dans leur chute.

Aucune ligne, aucune méthode défensive.

Juste un carnage.

Il recula d’un pas.

Sa gorge se serra.

Et malgré tout… il ne pouvait pas dire que Thana exagérait.

Elle n’était pas comme ça.

Elle ne criait jamais.

Elle ne pleurait jamais.

Et jamais elle ne perdait le contrôle.

Et là… elle avait fait les trois.

Il resta là.

Immobile.

Le regard noyé dans le sang.

Thana n’ajouta rien.

Pas un mot.

Elle le fixait toujours.

Mais cette fois… sans colère.

Juste une tristesse profonde.

Et Kael, lui…

Ses lèvres tremblaient.

Une larme coula.

Puis une autre.

Il leva les yeux vers elle.

— Qu’est-ce qu’il m’arrive, Thana… ?

Sa voix se brisa.

— S’il te plaît… aide-moi.

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