Ficool

Chapter 47 - 42e Echo : Paradoxe & Saturation

Il n’y avait ni enfer, ni ciel.

Il n’y avait même pas de monde.

Juste un froid si ancien qu’il semblait précéder la vie.

Ce ne fut pas la douleur qui le réveilla.

Ce fut l’absence de tout ce qui aurait dû être là.

Pas de lumière. Pas de chaleur. Même pas le son de sa propre respiration.

Kael ouvrit les yeux sur un monde gris sans forme. L’air n’était ni glacial, ni brûlant, mais son corps frissonnait. Un frisson qui ne venait pas de la peau — mais de plus profond.

Un froid de l’âme.

C’est ça, l’Enfer ?

La pensée s’échappa de sa gorge sans qu’il la maîtrise. Un murmure rauque, désincarné.

— Oui.

La réponse tomba net.

Une voix calme. Celle de Thana.

— Mais pas le cœur de l’Enfer. Tu es à la frontière. Les Limbes.

Il cligna des yeux, comme si cela allait lui permettre de mieux comprendre ce qu’il voyait. Ou ce qu’il entendait.

Il voulait lui répondre, mais une autre pensée se glissa avant les mots.

— Pourquoi... t’es là, toi ?

Ce n’était pas une accusation. Ni même une question posée à voix haute. C’était un mélange de surprise, de doute... d’instinct.

Thana ne répondit pas tout de suite.

Un battement. Puis un autre.

Quelque chose n’allait pas.

Thana ne répondit pas tout de suite.

Le silence s’étira, chargé de cette tension nouvelle entre eux — pas hostile, mais… réajustée.

— Je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé, finit-elle par dire. Je n’ai pas décidé de venir ici.

Sa voix n’était pas confuse. Juste... retenue.

— Quelque chose m’a attirée. Ou aspirée. Peut-être même... invoquée.

Elle laissa planer un silence.

— Mais je pense comprendre pourquoi. Tant que tu étais sur Terre, je pouvais maintenir notre lien à distance. Faiblement, mais assez.

Un autre battement.

— Mais là, Kael... tu as changé de monde. Alors j’ai dû te rejoindre. Intégrer ton corps à nouveau. Il n’y avait pas d’autre voie.

Un faible sourire se dessina sur ses lèvres. Presque involontaire.

Il ne répondit pas. Pas tout de suite. Mais il était là, ce sourire.

Le genre de sourire qu’on tente de cacher, même dans le noir.

Thana était avec lui. Et malgré tout ce qu’il avait vu, malgré ce monde brisé, cette voix… ça comptait.

Il ouvrit la bouche pour parler.

Puis ce fut le choc.

Une douleur aiguë, fulgurante, comme si ses veines venaient de se contracter d’un coup.

Son cœur s’emballa.

Ses poumons brûlèrent comme si on les avait remplis d’acide.

Et alors qu’il cherchait encore à former un mot, il cracha du sang.

Épais. Foncé. Il ne venait pas de la gorge, mais de plus profond.

Quelque chose à l’intérieur avait cédé.

Il n’eut pas le temps de comprendre. Pas le temps de penser.

La douleur, cette douleur-là, ne laissait pas de place à autre chose.

— Kael !

La voix de Thana claqua.

Il s’effondra à genoux — ou peut-être tomba-t-il simplement sans s’en rendre compte.

— Putain… gronda Thana. J’ai oublié…

Sa colère n’était pas tournée vers lui.

Elle vibrait d’un agacement brutal… contre elle-même.

— Tu n’as jamais été exposé à une atmosphère saturée en Magia...

Elle parlait vite, basculée dans une urgence froide.

— Et à la différence des autres humains, ta flamme est déjà active, ancrée dans ton corps. Le Magia commence à circuler naturellement, sans que tu ne le contrôles. Mais à cette densité-là… c’est la première fois. Ton système interne ne suit pas. Il déborde.

— Ton système interne ne suit pas. Il déborde.

Elle s’interrompit. Juste un instant.

Puis fit quelque chose qu’elle n’avait jamais fait.

Pas même avant.

Elle fit déferler son propre Magia noir dans le corps de Kael — non pas pour lui en donner, mais pour éjecter celui de l’atmosphère, celui qu’il n’avait pas encore converti, et qui était en train de le brûler vivant.

C’était une méthode de choc. Un geste qu’elle n’avait utilisé sur personne.

Même pas sur Lyana.

— Accroche-toi, dit-elle en attrapant son visage entre ses deux mains.

Son ton avait changé. Plus bas. Plus direct. Plus... humain.

— Tiens bon. Je suis désolée... mais ça va être extrêmement douloureux. Tu dois tenir.

Leurs visages étaient face à face.

Et sans prévenir, elle ouvrit brusquement la bouche et hurla.

Un cri qui n’avait rien d’humain.

Un cri de Banshee.

Mais aucun son ne sortit.

Seulement une brume noire, dense, mouvante, qui jaillit de sa gorge pour s’engouffrer dans celle de Kael à une vitesse effroyable.

Il tenta de reculer. Son corps, par réflexe, chercha à fuir.

Mais Thana ne bougea pas.

Ses yeux restaient plantés dans les siens, inébranlables.

Elle le maintenait.

Parce qu’à cet instant précis, la moindre interruption pouvait le tuer.

Et alors… Kael sentit.

La brume noire pénétra ses voies respiratoires, descendit brutalement dans ses poumons, puis s’infiltra dans chaque canal de son corps.

Ce n’était pas une douleur. Pas comme avant.

C’était... une présence.

Dense. Froide. Absolue.

Mais familière.

C’était le Magia de Thana. Celui-là même qu’il avait déjà supporté, intégré, lors de leur première connexion.

Sauf que cette fois, il envahissait tout.

Il traçait sa route à travers ses nerfs, ses veines, ses méridiens subtils.

Et il poussait dehors, à chaque passage, les résidus instables du Magia ambiant.

Ce n’était pas un renfort. C’était une purge active, un nettoyage intérieur de force.

Kael sentit la pression s’alléger. Ses poumons se décrispaient. Son cœur reprenait un rythme moins chaotique.

Et une fois l’intérieur vidé… le Magia noir ne ressortit pas.

Il resta.

Il se fixa.

Remplissant ses réserves internes. Occupant les vides.

Pas besoin de le convertir.

Ce Magia-là était de la bonne affinité.

Thana relâcha lentement ses mains.

— Maintenant, écoute-moi bien, dit-elle calmement. C’est toi qui prends la suite.

Kael respirait à nouveau. Difficilement. Mais c’était réel.

— Tu vas apprendre à bloquer le Magia ambiant par portions. L’empêcher de te saturer d’un coup. Tu vas le purifier lentement, dans ton cœur, puis le convertir. Et recommencer.

Elle le fixa droit dans les yeux.

— Jusqu’à ce que ça devienne un réflexe.

Elle resta un instant silencieuse, comme pour s’assurer qu’il avait bien entendu.

Puis elle ajouta, plus bas :

— Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais je resterai là. Le temps qu’il faudra. On n’est pas pressés.

Elle leva lentement les yeux, regardant autour d’eux.

— Mieux vaut perdre une demi-journée ici… que ta vie plus tard.

Kael acquiesça faiblement. Il ne pouvait pas parler. Pas encore.

Mais il comprenait. Et surtout, il sentait que son corps… répondait à nouveau.

Thana reprit, plus technique cette fois :

— Tu dois commencer par isoler le Magia ambiant. Ne cherche pas à tout contrôler.

Coupe une portion. Une zone de ton corps.

N’importe laquelle.

Et bloque-la. Ferme-la comme si tu allais retenir ta respiration dans un seul muscle.

Kael ferma les yeux.

Il visualisa. Son bras gauche. Puis l’épaule. Puis le flanc.

Une étincelle.

Thana hocha lentement la tête.

— Bien. Maintenant, sens le Magia dedans. Il n’est pas pur. Il est trop dense, trop… sale. Tu dois le faire descendre. Amène-le jusqu’à ton cœur.

Kael trembla. Son souffle se coupa un instant.

Mais il le fit.

Lentement, il fit glisser cette masse instable vers la poitrine. Il sentait chaque résistance, chaque point de friction.

— Laisse ton cœur le purifier, murmura Thana. Ne le force pas. Il sait comment faire.

Et il le fit.

Une pulsation. Puis une autre.

Le Magia changeait.

Il devenait fluide. Naturel. Vivant.

— Bien.

La voix de Thana était plus calme.

— Maintenant, renvoie-le. Là d’où il vient. Fais circuler. C’est ton corps. Il doit t’écouter.

Et il le fit.

Encore.

Puis une autre fois.

Et encore.

Et au bout d’un moment…

— ... C’est pas possible, souffla Thana.

Elle ne parlait pas à lui. Mais à elle-même.

Kael venait de boucler quatre cycles complets. Sans rupture. Sans erreur.

— T’as intégré ça comme si tu l’avais toujours su.

Il rouvrit les yeux. Son regard était plus clair. Plus ancré.

Et cette fois, il réussit à parler.

— Je l’ai pas su. Je l’ai senti.

Thana ne répondit pas.

Elle le regardait, toujours immobile, mais ses yeux ne brillaient plus de calme.

Ils semblaient… dérangés.

— Ne bouge plus, dit-elle enfin.

Kael fronça les sourcils.

— Quoi… ?

Thana inclina très lentement la tête.

— Quelque chose vient de bouger derrière nous.

Il tourna à peine les yeux. Juste assez pour voir.

Et ce qu’il vit…

Ce n’était pas une silhouette.

Ni un ennemi.

Juste une brume.

Épaisse.

Vivante.

Et elle s’étendait déjà dans leur direction.

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