Ficool

Chapter 6 - La réalité se ferme quand on essaye de l'ouvrir. (1)

** Ce chapitre et le suivant contiennent de la psychologie obscure poussée à l'extrême, il convient seulement à un public averti. Je n'incite en rien à la reproduction des techniques mentionnées, ce n'est qu'une histoire fictive. **

Laura. 

Le dernier moment passé avec Noé fut sympathique. Je pensais qu’il serait comme durant notre première rencontre, mais il m’a surprise. Il était entreprenant, investi, drôle, tout ce que les filles demandent et attendent d’un homme. 

Même si au début il était comme avant, il s’est bien rattrapé. Peut-être qu’il pourra me satisfaire, en fait. Qui sait. 

 

Lundi, 8 heures. 

C'est l’heure d’aller au boulot. Un job d’attardé. Il n’y a aucune stimulation là-dedans. Je ne suis bonne qu’à écouter les clients se plaindre des articles manquants, des réductions absentes, de leur quotidien atrabilaire. 

À part me faire chier toute la journée, je ne fais rien. Tout cela pour un salaire dérisoire. 

Seule ma collègue et meilleure amie me permet d’y rester. Si elle n’était pas là, j’aurais déjà craché à la gueule de mon patron. Ç'aurait été le moment le plus excitant depuis des années. 

Quand j’arrivai à mon lieu de travail, les lampes étaient déjà allumées, avec une présence humaine à l’intérieur. 

Sac à dos en main, je marchai vers les portes coulissantes et parlai à haute voix en demandant qui était là. Il n’y avait que deux possibilités : ma meilleure amie ou un branquignol qui n’est bon qu’à fumer des joints et venir une fois par semaine. 

Une voix féminine sortit de derrière le comptoir. Je la vis avec ses cheveux bruns bouclés. Une beauté rayonnante dès le matin. Ses yeux bleus allaient parfaitement avec son teint basané. Je ne comprends pas comment une femme ainsi peut travailler dans un endroit minable, sincèrement. 

- Comment tu vas, charmante demoiselle ? entendis-je. À part la flemme omniprésente quand je dois me présenter ici, tout va bien. Et toi ?

- Oh, pareil, haha. Il faut bien vivre, hein. 

Elle n’a pas tort. Sans ce travail, pas d’argent ; sans argent, pas de nourritures ; sans nourritures, c’est la mort. J'étais pourtant destiné à avoir une belle vie, une vie économique sans encombre. J'étais loin d’imaginer ce futur. 

Si seulement je ne l’avais rencontré, tout cela ne serait pas arrivé. Un vrai connard. 

Notre patron se pointa nonchalamment, sans nous regarder, et en nous donnant les consignes du jour, c’est-à-dire les ordres à suivre, dans son langage. Je fis mine d’écouter car ce sont toujours les mêmes tâches : arranger les articles en rayon, nettoyer par terre, être de bonne humeur avec les clients et verrouiller la caisse et la porte une fois la journée terminée. Il dévisageait toujours le corps de Maëlis avec une œillade répugnante. 

Ce bâtard puant est enfin parti. Il me dégoute. Dire qu’un type pareil soit mon patron, j’ai envie de vomir sur sa tronche, ça le rendra plus beau. 

Les premiers clients arrivèrent petit à petit. On a rarement plus d’une cinquantaine de personnes par jour, mais parfois, comme les jours de soldes, ça peut vite devenir ingérable. 

Pendant que Maëlis s’occupait des premiers arrivants, je triai les articles dans les rayons. Tout est dans le désordre, alors je ne vous explique pas le bordel monstre que c’est de sortir les objets un à un. Une perte de temps alors que ça pourrait être tellement plus facile. 

J'aperçus un client se plaindre. De ce que j’entendis, c’était parce qu’il n’y avait pas ce qu’il désirait. 

- Eh, monsieur. Ce n’est pas notre faute, ok ? Arrêtez de vous plaindre auprès de nous et cherchez le patron du commerce, plutôt. 

Il me toisa d’un regard fusilleur. Je maintins son regard sans scrupule. Il finit par le détourner en disant qu’il irait chez la concurrence, qu’on était des moins que rien et qu’on devrait rester à notre place. C'est ça, va chez le rival. Ça me permettra de dégager d’ici quand il mettra la clé sous la porte. 

Je terminai de ranger les derniers articles et partis au comptoir. Je m’y appuyai de lassitude. J'en avais déjà marre alors que ça faisait seulement une heure que j’avais commencé. 

Je pris un magazine en appuyant mes coudes sur le bureau. Je le lis entre les lignes, comme un simple passe-temps. Ça m’offre l’opportunité de m’évader dans mon monde imaginaire. 

Maëlis passa derrière moi et me mit une claque aux fesses avec un clin d’œil. Elle n’y était pas allée de mainmorte. 

- Si je n’étais pas en couple, j’aurais tenté la chance, chérie. T'es à croquer. Tu rends ma copine jalouse de notre proximité. Tu n’es pas vraiment mon genre, je préfère les mâles alpha débordant de charisme. Leur puissance sexuelle est à tomber par terre. 

Je fais la meuf mais, si elle tente quelque chose, je me laisserais bien tenter par l’expérience. 

- Ça te dit de venir à une soirée après cet enfer ? me dit Maëlis. 

Je suis tellement enthousiaste de me changer les idées que j’ai accepté sans hésitation. Cependant, je repense à Noé. Je me demande s’il pense à moi. Il ne m’a pas envoyé aucun message depuis notre dernière rencontre. Il était différent, peut-être qu’il jouait un rôle. 

Bien que je m’en fiche de ce ringard, il m’intrigue. Il a changé d’attitude en un rien de temps, comme s’il jouait un rôle et qu’il était habitué d’agir de la sorte. Je l’ai pris pour un mec sans expérience, je me suis peut-être trompée. 

Comment est-ce qu’il a pu passer d’un mec nul en drague à un pro aussi rapidement ? arg, ça me perturbe trop. Je vais aller à sa soirée et arrêter de me prendre la tête pour des conneries. 

 

Fin de journée. 

Je suis enfin libérée de cette prison. C'est le meilleur moment de la semaine. 

J'attendis Maëlis en prenant mon sac et en me dirigeant vers la sortie. Je me demande comment elle peut prendre son temps alors qu’on attend ça depuis le début. À croire qu’elle est maso. 

Pour passer le temps, j’ai pris mon téléphone pour envoyer un message à Noé. J'espérais une réponse rapide de sa part, un signe pour me montrer qu’il était à fond sur moi. 

Les minutes défilent et il ne regarde pas mon message. Simultanément, Maëlis apparut dans mon champ de vision avec un sourire jusqu’aux oreilles. 

Elle était prête pour sortir de cette réalité morose, de cet emprisonnement matériel. 

- C'est le moment pour s’amuser, ma belle. Tu vas rencontrer des jeunes partageant les mêmes idées que toi. Tu vas voir, tu vas passer une soirée d’enfer, me dit Maëlis d’un ton enthousiaste. 

Le message de Noé gisait, non lu, dans le silence numérique de mon téléphone. Un minuscule détail, vite englouti par la marée montante de la soirée qui nous promettait déjà ses vagues de musique et de foule. 

Maëlis, elle, ne laissait aucune place au doute. Son enthousiasme contagieux balayait toute velléité d'attente, sa main s'agrippant à mon poignet pour me tirer hors de ce lieu comme une force de la nature. 

Le bus nous attendait à deux rues. Nous marchions côte à côte, comme deux amies inséparables. Rien ne pouvait nous séparer. Et encore moins ce bouffon qui joue la princesse. 

 

Début de la soirée, vers 20 heures. 

On était arrivés devant l’entrée de la résidence, un énorme palais capable des centaines d’individus à la fois. 

L'atmosphère rappelait les moments qu’on a pu passer à la plage, avec l’odeur d’une fine pluie attisant nos narines. 

Tout était orné de briques empilées à la manière des Annunaki[1]. Les marches pour y accéder étaient faites d’un bois antique, impossible à décrire. Des arbres comblaient le vide l’allée gigantesque, où étaient positionnés une cinquantaine d’individus. 

Je me demande qui a les moyens de se payer ce genre de baraque, sérieux. Si je pouvais le rencontrer, je pourrais me mettre à l’abri pour le reste de mes jours. 

J'avançai vers la porte et appuyai dessus pour pénétrer dans la résidence. Je vis une vingtaine de personnes présentes à l’intérieur, chacune disposant déjà d’une coupe de champagne et d’une tenue bien plus décontractée que la mienne. 

- Où est-ce que t’as trouvé cette soirée, meuf ? dis-je à Maëlis. On se croirait chez les riches, avec nous qui avons débarquées de nulle part car on a entendu de la musique.

- Ne t’inquiète pas, je connais l’organisateur, c’est un ami d’enfance. 

Bon, si elle le dit. Après tout, si je peux m’amuser sans encombre, je ne vais pas cracher sur l’occasion. 

Quelques secondes plus tard, un groupe de trois personnes se pointa devant nous. Deux gars et une fille. Sûrement les connaissances de Maëlis. 

À ma grande surprise, ce fut sa petite-amie. Une fille radieuse, avec de longs cheveux noirs et des yeux obscurs très profonds. Ses formes, alléchantes, me rendaient envieuse. Et sa robe, que dire, si ce n’est qu’elle est éblouissante de paillettes et d’un rouge clair. 

Les deux autres, eux, sont basiques. Ils ne dégagent rien de spécial mais sont attirants du regard. 

Un des mecs n’arrêta pas de me lancer des œillades. Je pouvais sentir sa faim à des kilomètres. Loin de moi l’idée d’être fermée ; autant profiter à fond pour garder un souvenir de cette soirée rarement possible pour le commun des humains.

Après tout, n'est-ce pas là le propre de l'existence ? 

Maëlis s’approcha de moi et me dit furtivement qu’elle allait me laisser pour qu’elle parte de son côté. 

Le type qui me fixait vint près de moi, son approche hésitante trahissant un mélange d'assurance forcée et de nervosité. Il commença à me poser des questions ennuyeuses, ces rituels sociaux dénués de sens, comme si on devait faire connaissance. Un script pré-écrit que je connaissais par cœur. 

Je n’ai pas besoin de le connaître pour m’envoyer en l’air, mes expériences passées ayant gravé en moi la certitude de mon pouvoir d'attraction. Mais vu qu’il lance les hostilités, je vais rentrer dans son jeu. Une partie subtile, où la psychologie humaine est un échiquier, et chaque regard, chaque mot, un pion. 

Ce qui me fascine, ce n'est pas tant la conquête, mais la confirmation de mon emprise, ce moment où le regard de l'autre se perd dans le mien, un aveu silencieux de capitulation. C'est dans cette dynamique que réside la véritable jouissance. 

L'acte en lui-même n'est qu'une formalité, la conclusion logique d'un processus bien plus complexe. Le véritable plaisir est dans l'anticipation, dans la danse des regards et des sous-entendus, dans la certitude que l'autre est déjà à ma merci, avant même que le premier mot ne soit prononcé. 

C'est exactement de cette façon que j’ai procédé avec Noé, sauf qu’à ma grande surprise, c’est lui qui avait inversé le cours de la partie depuis notre dernière rencontre. 

Cette beauté froide que je dégage, il la dégage aussi. Il ne cherche pas l’amour ou la connexion, mais une envie de manipuler mes désirs pour que je rampe à ses yeux. 

Et pour montrer à ce connard qu’il n’a aucun effet sur moi, cette soirée est une opportunité de plus de sonder ces profondeurs, de confirmer ce que je sais déjà : que je suis au centre de leur univers, ne serait-ce que pour quelques heures. 

Leurs attentes, leurs projections, tout cela n'est qu'un décor pour ma propre mise en scène. Je suis l'actrice principale de son drame, et chaque homme n'est qu'un figurant, un élément éphémère dans le grand tableau de mon existence. 

Alors, je souris. Un sourire calculé, teinté d'une ironie que lui seul ne percevra jamais. Il croit me séduire, alors qu'il est déjà pris au piège. 

La soirée peut commencer. 

Le type, dont le prénom m'échappait déjà avant même d'avoir été prononcé, continuait son interrogatoire poli. 

Des banalités sur la musique, l'ambiance, des tentatives maladroites de trouver un point commun. 

À quelques pas, son ami observait la scène, un verre à la main, un sourire en coin. Une partie de la manipulation.  

Mon regard, une fraction de seconde plus importante que la normale, croisa le sien. Juste assez pour qu'il se sente impliqué, qu’il pense que je l’invite. 

Je laissai le premier homme s'enfoncer dans ses questions, répondant vaguement, par des sourires énigmatiques qui ne révélaient rien mais promettaient tout. 

Ma posture, détendue mais renfermée, invitait à la persévérance. C'est dans cette résistance apparente que réside la véritable séduction. 

L'homme, par nature, est un chasseur. Lui offrir la proie sur un plateau, c'est la priver de toute valeur ; il fallait qu'il travaille pour mériter ne serait-ce qu'une miette de mon attention. 

La femme ne peut se permettre de succomber à des plaisirs incessants et moroses de ces chiens. Ils ont faim, alors je donne la patte. Mais cette patte possède des griffes qui s’enfoncent dans leurs veines pour que je les empoisonne de blandices. 

Puis, subtilement, mon regard glissa vers l'ami. Un clin d'œil à peine perceptible, un mouvement de tête imperceptible, comme si je partageais un secret avec lui, au détriment de celui qui me parlait. 

La graine de la compétition était semée. 

L'homme est une créature grégaire, mais aussi profondément individualiste. Mettre en jeu la rivalité, c'est activer un levier puissant. Chacun voudrait être l'élu, le seul à avoir percé la carapace de la femme. 

Je posai une question au premier homme, une question ouverte qui le forcerait à développer, à se dévoiler un peu plus, à me présenter ses faiblesses. 

Pendant qu'il parlait, je volais quelques regards à son ami, des regards qui disaient : "tu vois ? il essaie. Mais toi, tu comprends mieux." C'était la symphonie d’un discours silencieux. 

L'art de la manipulation réside dans l'illusion de la spontanéité. 

Comme il fut flatté par mon apparente attention, il redoublait d'efforts, pensant que je m’intéressais véritablement à lui. 

L'autre s'approchait progressivement, attiré comme un papillon par la flamme. 

Leur ego, cette structure fragile et si facilement influençable, était désormais mon instrument. Je le modelais à ma guise, jouant sur son désir de reconnaissance et de supériorité. 

N'est-ce pas là l'essence même de l'interaction humaine : une constante quête de validation ? 

Leurs conversations devinrent un dialogue à trois. 

Un commentaire à l'un, un sourire à l'autre, distribuant mes faveurs avec parcimonie, comme un dieu distribue ses bénédictions. 

Ils se lançaient des piques, des regards entendus, chacun essayant de prendre le dessus, sans comprendre qu'ils dansaient tous deux sur ma partition. 

Ce n'est pas de la séduction, c'est de la stratégie. Une compréhension innée des failles humaines, des mécanismes profonds qui poussent les êtres à se surpasser pour obtenir ce qu'ils désirent. 

Et ce soir, ce qu'ils désiraient, c'était moi. Ou plutôt, la réalité que je leur renvoyais. 

Leur compétition était un spectacle à mourir de rire. 

Chacun cherchait à s'élever, à prouver sa valeur. Et moi, je me contentais d'écouter et d’observer, un léger sourire aux lèvres. Ils voulaient affirmer leur supériorité pour obtenir un trophée, alors qu’ils ne savent pas qu’ils sont le trophée et que je suis la vitrine. 

La véritable puissance n'est pas de dominer, mais de faire en sorte que l'autre se domine lui-même pour vous. Une fois dominé, il est soumis ; une fois soumis, il obéit. Tel est l’art de la séduction[2]. 

Alors, quand le premier venu me demanda de l'accompagner pour chercher un verre, mon regard se posa brièvement sur l'ami. Un regard qui signifiait : "c'est ton tour maintenant." Et je savais qu'il suivrait. 

Mon pas était léger. Ma main, désinvolte, effleurait son bras juste assez pour qu'il ressente le contact, mais pas assez pour s'y accrocher. C'était une promesse subtile, un aperçu de la suite, sans jamais être explicite. 

Le désir d'anticipation est bien plus puissant que la possession elle-même ; il est le moteur même de l'existence, le carburant de l'illusion. 

La queue au bar était longue. Ma cible en profita pour se rapprocher, ses mots se faisant plus intimes, sa voix plus basse. 

Il me parlait de ses rêves, de ses ambitions. Des confidences banales, dénuées de profondeur, mais qui, dans le contexte de la séduction, prenaient une allure de vulnérabilité. 

Et c'est là le piège : l'illusion de la proximité émotionnelle. Quand l’homme s’ouvre et parle de ses projets d’avenir, il a déjà succombé au charme de la femme. Il pense avoir le dessus, mais se perd dans cette réalité. 

Son collègue finit par nous rejoindre, avec l'excuse banale de la soif. 

Ses yeux balayaient l'espace entre nous, cherchant un signe, une faille. 

Je lui offris un sourire direct, franc, un contraste saisissant avec la réserve que j'affichais envers le premier. 

La dissonance et le dissentiment étaient volontaire. 

Ils créaient un déséquilibre, une question silencieuse dans l'esprit du premier : pourquoi elle est si accessible avec lui, et pas avec moi ? Et dans l'esprit de mon autre cible : j'ai peut-être ma chance. 

Je lui posai une question sur un sujet plus abstrait, une opinion sur l'art ou la nature de la fête, quelque chose qui le sortait de la conversation égocentrique de son comparse. 

Il fut surpris, puis ravi, de mon intérêt. Ses yeux s'illuminèrent. C'était une invitation à la réflexion partagée, une intimité intellectuelle fugace mais puissante. La réalité du miroir. L'autre se sentait légèrement mis de côté, son ego piqué. 

C'était exactement l'effet recherché. 

Le bien, le mal, le juste, l'injuste… tout cela se dissout dans la quête du plaisir et de la confirmation de soi. 

L'homme, dans sa soif de posséder, se livre entièrement. Son regard, ses mots, ses gestes, tout devient un livre ouvert que la femme lit sans effort. Il ne se rend pas compte qu'en cherchant à prendre, c'est lui qui donne. 

Suis-moi, je te fuis ; fuis-moi, je te suis. La psychologie humaine est ravissante de contraste. 

La réalité s’effondre quand on se réveille. 

Les verres en main, le premier arrivé effleura mon cou avec ses doigts, une tentative timide de briser la distance entre nous. 

Son collègue, encore un peu à l’écart, se tenait à quelques pas. Il observait la scène. C'était un homme qui se pensait plus intelligent que son camarade, plus perspicace. 

Je croisai son regard, juste un instant, et dans cet infime laps de temps, je lui envoyai un message muet : "tu es différent. Tu es plus intelligent." 

Alors, je me tournai légèrement vers le premier, mon expression se durcissant imperceptiblement. "Je m'ennuie", murmurai-je, sans le regarder directement. 

Le mot était un poison lent, une douche froide sur son enthousiasme. 

Il chercha la cause, l'expliqua, tenta de se justifier. 

C'est là que l'ami, piqué au vif par ce changement de dynamiques, sentit son heure. Son ego, affamé de reconnaissance, lui dictait de se jeter dans la brèche que je venais d'ouvrir. 

Il s'approcha, ses yeux ancrés dans les miens. Je lui souris, un sourire vrai, un sourire qui était un aveu de complicité tacite, de compréhension mutuelle. 

"On devrait trouver un endroit plus calme", soufflai-je, ma voix juste assez forte pour que le premier entende, sans que l'ami ne pense que ce soit pour lui que je le disais. 

La nuance est tout, la subtilité est le couteau du manipulateur. 

Il posa une main sur l'épaule de son comparse. "Je crois que je vais chercher une chambre. On pourrait continuer à parler là-haut, non ?" 

Le ton était décontracté, mais la suggestion, lourde de sens. 

Le premier, dérouté, le regarda avec incompréhension, puis avec une lueur de trahison dans les yeux. 

Le coup de grâce était donné, non par moi, mais par son propre ami, sous ma douce influence. 

Il avait trahi son ami pour cette irrésistible pulsion de posséder, de surpasser, de s'approprier ce qu'il percevait comme un trophée. 

Et c’est de cette façon que l’ego brise la réalité que l’homme se créait de toutes pièces. Il porte une laisse et l’ego le tient ; dans cet optique, seul un vrai homme peut s’en défaire. 

Le premier venu resta là, hagard, son sourire figé dans une expression de défaite. Il me regarda, cherchant une explication, une excuse. Mon visage resta neutre, impassible. 

Je lui avais donné une chance, il ne l'avait pas saisie. Ou plutôt, il n'avait pas été à la hauteur de mes attentes, à la hauteur de ma réalité. 

Son ego, fraîchement égratigné, le rongeait déjà. 

La blessure narcissique était profonde, et je savais qu'elle allait le pousser à l'action. 

Il les verrait partir, l'ami et moi, disparaître dans l'ascenseur, ou dans le couloir menant aux chambres. La scène se graverait dans son esprit, une image brûlante de son échec. Et l'humiliation publique, ou du moins perçue comme telle, serait un stimulant trop puissant pour qu'il puisse y résister. 

L'homme est une créature d'action, surtout quand son honneur est en jeu. 

La chambre. Un simple mot, mais un monde de possibilités. Je n'avais pas besoin de le dire, mon intention était claire. 

Il viendrait. Non pas pour moi, mais pour lui-même. Pour créer la réalité qu’il souhaite voir, une réalité dépourvue de sens à cause de son ego qui le dicte. 

C'était la victoire ultime.

[1] selon la croyance populaire, c'est une race extraterrestre qui est venu sur terre il y a des milliers d'années pour créer l'humanité et les pyramides.

[2] ne manipulez personne, mais vous pouvez lire le livre de Robert Greene "L'art de la séduction" pour approfondir le sujet.

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