Chapitre 15 — Les roses sans parfum
Adrian marchait d’un pas lent dans la rue encore humide. La dispute avec Maya résonnait dans sa tête comme un écho désagréable. Elle l’avait blessé, oui, mais surtout, elle avait mis à nu ce qu’il refusait d’admettre : il perdait le contrôle. De tout. De Maya. De Camille. De lui-même.
Il fit un détour avant de rentrer. Devant la vitrine d’un fleuriste encore ouvert, il hésita un instant, puis entra.
— Un bouquet pour votre compagne ? demanda la fleuriste avec un sourire.
— Oui… Des roses blanches. Pas trop grandes.
Elle composa un bouquet élégant, simple mais soigné. Adrian régla, remercia poliment, puis reprit sa marche.
Il entra chez lui sans bruit. Camille était assise sur le canapé, un livre sur les genoux, les jambes repliées sous elle. Elle leva les yeux en l’entendant, puis fronça légèrement les sourcils en voyant le bouquet.
— Tu t’es perdu chez un fleuriste ? fit-elle, ironique.
Adrian força un sourire, s’approcha lentement.
— C’est pour toi. Je… Je me suis dit que ça faisait longtemps que je ne t’avais pas offert de fleurs.
Camille le regarda en silence. Elle ne prit pas immédiatement le bouquet. Ses yeux cherchaient à lire plus loin, à comprendre l’intention cachée.
— C’est vrai, admit-elle en prenant les fleurs. Ça fait même des années.
Elle se leva, alla déposer le bouquet dans un vase, puis revint s’asseoir. Adrian la rejoignit, gardant un ton calme.
— J’ai été distant ces derniers temps. J’aimerais qu’on parle. Qu’on essaie de… mieux se comprendre.
— Mieux se comprendre ? répéta-t-elle. C’est une drôle d’idée qui te vient après minuit avec un bouquet à la main.
Il baissa les yeux.
— Je veux juste… qu’on retrouve quelque chose de bien, Camille.
Elle l’observa un instant, puis haussa les épaules.
— C’est une belle phrase. On verra si tu la répètes encore demain matin.
Puis elle se leva et partit se coucher, le laissant seul dans le salon.
**
Le lendemain, Camille arriva au bureau légèrement en avance. Elle croisa Maya à la cafétéria. La jeune femme semblait pâle, fatiguée. Camille, elle, avait un éclat étrange dans les yeux. Un mélange de malice et de contrôle.
— Salut Maya, lança-t-elle d’un ton léger.
— Salut, répondit Maya avec un sourire crispé.
Camille remua son café, puis, l’air de rien :
— Dis donc, tu ne vas pas me croire… Adrian est rentré hier soir avec un bouquet de roses blanches. Comme ça, sans raison. Tu imagines ?
Elle gloussa doucement.
— Il a même dit qu’il voulait "qu’on se comprenne mieux." C’est touchant, non ?
Maya pinça les lèvres, mais conserva un masque neutre.
— C’est gentil de sa part, répondit-elle d’un ton feintement détaché.
— Mmh, oui. Après tout ce temps, ça m’a un peu surprise. Tu crois qu’il essaie de se racheter ? demanda Camille avec une fausse naïveté.
Maya ne répondit pas tout de suite. Son regard s'était assombri imperceptiblement. Camille, satisfaite, prit une gorgée de café puis s’éloigna, laissant Maya seule avec son trouble.
Dans la matinée, Camille s’installa à son bureau, les jambes croisées, un air serein sur le visage. Devant son écran, elle pianotait distraitement, mais son esprit était ailleurs. Elle repensait au regard de Maya, à cette petite crispation dans ses traits, à cette tension dans sa voix. Le doute s’était insinué, et Camille n’avait eu qu’à souffler légèrement pour qu’il germe.
Un message d’Adrian s’afficha sur son téléphone. "Bonne journée, j’espère qu’on pourra parler ce soir." Elle ne répondit pas tout de suite. Elle le laissa attendre. Dans cette histoire, elle reprenait doucement la main. Il ne s’en rendait pas encore compte, mais il avait perdu l’ascendant. Et Maya… Maya n’était plus qu’un château de cartes tremblant sous la brise.
Vers midi, Camille s’accorda une petite pause en extérieur. Le soleil perçait timidement entre les nuages. Elle marcha un moment dans un parc voisin, savourant cette solitude choisie. L’air frais lui faisait du bien, et elle réfléchissait à ses prochains mouvements. Pas de précipitation. Pas d’excès. Juste assez pour continuer à faire douter, à fissurer le vernis.
Plus tard, alors qu’elle s’apprêtait à repartir, elle croisa à nouveau Maya dans le couloir. Cette fois, leurs regards se croisèrent plus longuement. Camille, toujours souriante, la salua avec douceur. Mais dans ses yeux brillait une lueur qui n’avait rien d’innocent. Maya baissa les yeux en premier.
Camille n’avait plus besoin de mots. Elle semait, patiemment. Et bientôt, elle récolterait.