Ficool

Chapter 36 - Ou pire, une meute d'ours...

 Alastor les avait pourtant prévenus : une expédition de trente-six heures n'est pas reposante. Il leur a d'ailleurs demandé à plusieurs reprises s'ils étaient bien sûrs d'eux, s'ils seraient capables de maintenir la pression et la fatigue. Et ils ont répondu oui, bien évidemment.

 Hetros parce qu'il a déjà été confronté à ce type de mission, Drast parce qu'il était hors de question qu'il se retrouve bloqué avec les marcheurs, faute d'une autre unité disponible pour sa réaffectation.

 Sauf qu'à trois heures du matin, lorsque la nuit ne cesse de s'allonger, lorsque le moindre mouvement dans les branches rappelle la potentielle présence de l'ennemi, le monde n'est plus le même. Les arbres semblent se rapprocher et s'éloigner simultanément, la brise devient rafale et le moindre bruit, malgré l'éloignement certain de sa source, résonne partout et hérisse le poil de ceux qui l'entendent. Celui, en l'occurrence. Drast de Gasal.

 Emmitouflé sous un plaid, dague à la main et muscles tendus au cas où il faille agir, il observe la forêt autour de lui tandis qu'Hetros et le professeur Alastor dorment. Celui qui prend le premier quart écope aussi du dernier dans ce genre de situation. Pas tout à fait réveillé, pas tout à fait endormi non plus, Drast se sent particulièrement aveugle.

 Ça n'est pas la nuit, l'absence de lune ou même le silence parfois brisé. Ça n'est pas non plus la légère peur qui glisse dans ses veines et — par chance ! — l'empêche de se rendormir. Non. C'est tout le reste.

 Drast n'est pas un bon veilleur. Il n'a ni les sens particulièrement affûtés de Saïna ni l'instinct terrible d'Hetros. Quant à son don, il n'a jamais été utile que pour détruire et briser. Alors en cet instant où d'autres pourraient sentir, d'une manière ou d'une autre, ce qu'il se passe à une vingtaine de mètres d'eux, lui se retrouve enfermé dans une zone étroite, de cinq mètres au mieux, et dont les extrémités sont comme floues.

 Il pourrait y avoir des Oubliés qui approchent, les contournent ou les encerclent, peut-être les trois. Il pourrait y avoir une wyverne non loin d'ici, remontant lentement leur piste. Ou une meute de loups. Ou pire, une meute d'ours… Il s'arrête : les meutes d'ours n'existent pas. Et puis quand bien même, les chevaux auraient déjà fui si l'une d'entre elles approchait.

 Et bien sûr, pour ne rien gâcher au tableau, il y a cette présence qui l'oppresse, comme si quelque chose au-delà de ses conceptions l'observait en permanence. Il se ramasse quelque peu sous son plaid, raffermit sa prise sur son arme. Inspire lentement, laisse son estomac chauffer pour se rassurer.

 Il a bien parlé de cette présence aux autres — à Hetros et Alastor, en premier lieu, puis à d'autres —, et si certains la sentent également, rares sont ceux à la percevoir aussi clairement que lui. Enfin, non, il ne s'agit pas de « clarté » de la perception. Celles et ceux qui l'ont sentie l'ont sentie…

 Mais elle lui évoque quelque chose de différent. Quelque chose qu'il connaît sans l'avoir jamais vécu, comme si l'impression elle-même avait été inscrite dans son âme, et ce bien avant sa naissance. Il inspire lentement, sent un picotement agiter ses jambes, son dos, comprend qu'il faut qu'il marche un peu.

 Il peut bien faire quelques rondes autour des dormeurs, non ? Enlève le plaid, se craque la nuque et se lève. Inspire, expire et se tord pour désengourdir ses membres. Il a des courbatures absolument partout, et ce n'est que le début — le vrai début — de l'expédition. Il baisse les yeux vers les dormeurs, tombe sur le regard du professeur et manque de crier. D'un simple geste du doigt, il lui indique qu'il va faire une ronde et le professeur approuve d'un léger hochement de tête avant de se tourner de l'autre côté.

 Comment se fait-il qu'il l'ait senti se lever ? Ses dons sont-ils si affûtés qu'il parvient à les maintenir même lorsqu'il dort ? Les cours de première année évoquaient cette possibilité pour des utilisateurs d'eau ou de terre dont la perception exacerbée de leur propre don permettrait celle de mouvements… Mais l'air aussi ?

 Drast expire donc lentement, plein d'une admiration encore renouvelée pour le pro… pour la Griffe de Catarphone. Il s'éloigne de quelques pas et entame sa ronde, le regard fixé sur les quelques morceaux de bois ou parcelles de terre éclairées par la lumière des étoiles.

 Les sens autant aux aguets qu'il le peut, Drast entame donc son cercle autour du camp. Pas de bruit ou presque, pas de mouvements en dehors de ceux causés par le vent. C'est presque fini, il le sait. Il n'a que son tour de garde à tenir et ils rentreront tous les trois pour faire leur rapport au commandement et s'installer dans l'une des carrioles pour dormir. Leur rapport sera d'ailleurs des plus simples : rien de particulier à signaler, aucune trace de fuite ou de combat, la route intacte sur la portion qu'ils ont longée avant de s'enfoncer dans les montagnes.

 C'est évidemment à cette pensée qu'il voit les buissons sur la gauche bouger. Il raffermit la prise sur son arme et se baisse, laisse du magma naître dans sa gorge. Alastor et Hetros sont derrière lui, ça ne peut pas être eux. Les chevaux sont vers l'ouest. Eux non plus, donc.

 Il grogne, recule pour se rapprocher des arbres derrière lui.

 C'est une jeune femme qui émerge. Elle se fige lorsqu'elle le voit et fronce les sourcils. Elle porte un pourpoint bleu abîmé et un pantalon de cuir déchiré à plusieurs endroits. Ses courts cheveux, noirs dans l'obscurité, sont retenus en arrière, trois dagues trônent à sa ceinture, une quatrième dans sa main droite. Elle s'est battue récemment, tout le dit, mais il sait qu'il ne faut pas qu'il fasse confiance à son instinct. Trop de guerriers se sont fait avoir de la sorte à travers les siècles. Et Drast de Gasal n'est pas l'un d'entre eux, pas après les victoires de Saïna et Regia.

 La fille lève alors lentement les mains et les fins tremblements qui l'agitent trahissent l'épuisement ou la faim, sûrement les deux.

 « Il m'a demandé de trouver les cousins Lorls. »

 Hein ? Et pour toute réponse à la question muette de Drast, elle enlève un anneau à sa main gauche et le jette aux pieds du noble. Il ne se baisse pas, il ne détourne pas le regard. Il crache simplement une glaire de magma à proximité du bijou et, après quelques instants, y jette un coup d'œil rapide.

 Sur l'anneau aux reflets argentés ont été gravés un arc et une ramure de cerf.

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