Ficool

Chapter 23 - L'ennemi est déjà au courant.

 Et Kriost interrompt immédiatement son histoire, pour le plus grand malheur du barde et d'Olia, dont les regards sont sans équivoques. Ils en veulent plus. Ils en veulent tous plus. Toutes et tous l'ont écouté, le regard fixe. Ils ont suivi la finale dans une immobilité presque malaisante et, par réflexe, Kriost pose sa main droite contre le sol.

 Il ferme les yeux un instant, inspire et quelques gouttes naissent sous sa paume. Ses pouvoirs reviennent enfin. Il soupire.

 « Et il s'est passé quoi quand les poissons sont plongés dans la marque ?

 — Cela m'intéresse également ! »

 Kriost observe la gamine, dont l'admiration et la curiosité semblent trop réelles pour être feintes. Il secoue donc la tête, un sourire sincèrement déçu sur le visage.

 « Je ne peux pas te le raconter, ça.

 — Mais pourquoi ?

 — Parce que ce doit être un secret de son clan, Olia. » C'est la vieille soigneuse qui a répondu. Elle porte sur la petite un regard bienveillant, quoique strict. « La simple utilisation du Chant des vagues a dû lui valoir de se faire carboniser par sa sœur.

 — Carboniser ?

 — Gronder très fort ?

 — Oh… Oui, comme jamais avant. »

 Kriost a bien cru que sa sœur le jetterait aux abysses lorsqu'il est revenu sur le Tourbillon après le tournoi. Comment avait-il pu imaginer qu'utiliser un couplet à Catarphone était une bonne idée ? Qu'aurait-elle fait s'il avait été enfermé dans l'une des prisons de la cité ? Il n'a même pas rédigé son couplet à elle ! Il est stupide, bête, inconsidéré, bas, naïf et… Et la réponse de Kriost, simple constat qu'elle, sa sœur, aurait envoyé le clan, les Émissaires et tous leurs alliés pour le sauver, n'a évidemment rien arrangé.

 Plusieurs sorcières — Seldi incluse ! — ont dû s'interposer pour éviter que, pour la toute première fois de l'histoire du clan Düsud, la Matriarche tue son Porte-voix.

 Un terrain d'entente fut finalement trouvé par Seldi : deux mois sur le Brouillard, vœu de silence et assignation aux grandes malades. Toutes ont accepté, et loué la précision de ce châtiment.

 Kriost, lui, ne parla pas pendant deux mois.

 « Je pense que votre sœur a surtout été très inquiète.

 — Hein ? » L'intervention du forgeron l'a sorti de ses pensées. « Qu'est-ce que…

 — Vous étiez seul au cœur de l'Incendie et vous avez dû utiliser le pouvoir le plus intimement lié à votre statut et…

 — Oui, mais…

 — Il n'y a pas de mais face à l'inquiétude terrible qu'éprouve un parent. »

 Kriost va pour rétorquer qu'elle n'est pas sa mère et s'interrompt devant le regard désabusé tout en sourcils haussés de l'homme. Oh… Oh effectivement ; et il sourit. Le couplet n'a jamais rien eu à faire là-dedans.

 Il jette alors un œil à l'unique fenêtre et voit les puissants rayons que Larfill envoie sur les Cinq nations. Ils ont dépassé midi, l'histoire a pris moins de temps qu'escompté.

 « J'ai une question, moi aussi. »

 De nouveau, la vieille soigneuse. Kriost revient à elle et, dans la lumière toute relative qu'offre le jour, elle lui semble plus vieille encore. Ils lui semblent tous plus épuisés et mal en point qu'à l'origine. Peut-être même plus qu'ils ne le sont réellement. Combien de temps ont-ils passé ici ? Combien d'années leur semblent écoulées depuis leur dernière sortie ?

 Il hoche la tête pour lui signifier qu'il l'écoute. Son air soucieux le dérange.

 « Eh bien… Peut-être que je me trompe, mais vous avez beaucoup évoqué le point de vue de Saïna lors de la finale, ses impressions, ses idées et… Je ne suis pas bien sûre de comprendre comment vous pouvez les détenir. »

 … Touché. Il retrousse brièvement la lèvre et elle penche la tête sur le côté.

 « S'agit-il de suppositions ? »

 Il soupire, regrette que la moindre fluctuation dans son esprit s'affiche directement sur son visage. Seldi devra lui apprendre.

 « Non, il ne s'agit pas de suppositions.

 — Vous l'avez donc rencontrée ?

 — Oui.

 — Après la finale ? »

 Les questions s'enchaînent un peu trop à son goût et l'empêchent de réfléchir.

 « Oui, elle fait partie des guerriers venus libérer Egara. »

 Ils sourient tous, mais quelque chose ne va pas. De la joie, oui, mais pas celle à laquelle on s'attendrait. Aucune étoile dans leurs yeux, aucun soupir soulagé ou murmure attendrissant. Il se revoit un instant plus jeune, entouré des Anciennes toutes plus heureuses de pouvoir reprocher à sa sœur qu'il ne les ait pas parfaitement saluées.

 Il n'aime pas ça et son pouvoir est encore trop faible, trop inconstant pour qu'il les sonde et puisse déterminer s'ils sont des Oubliés. Ils ne l'étaient pas il y a deux semaines, il en est certain. Et on l'a renvoyé ici pour qu'il s'en assure et que, le cas échéant, il absorbe toute leur concentration à eux et toutes celles et ceux qui percevront par leur biais.

 Un tintement de grelot ; qui est ce foutu barde ? Il l'observe, le dévisage un instant. Les traits lui disent quelque chose, comme s'il l'avait déjà vu il y a une éternité, mais rien ne lui revient. Un passage à Leinster, peut-être ?

 « Kriost ? »

 Retour vers la soigneuse.

 « Vous attendez quelque chose, n'est-ce pas ? » Il ne répond pas, ne détourne pas le regard. Il attend seulement la suite. « Vous n'êtes pas revenus pour rien. » Inspire lentement, expire tout autant. « Et cela doit arriver aujourd'hui. »

 Comment ? Il ferme les yeux, étend sa conscience vers sa sœur, vers Seldi, vers n'importe quelle sorcière probablement présente dans les bois alentour et ne ressent toujours rien. Il est seul, comme prévu. Plus qu'il ne l'aurait pensé. Il se tasse contre le mur malgré lui.

 « Je n'ai que deux questions pour vous… et surtout pour nous. »

 Ah ?

 « Votre clan est-il arrivé ?

 — Oui. »

 Inutile de mentir là-dessus. Qu'ils soient Oubliés ou non, l'ennemi est déjà au courant.

 « Je vois… » Elle voit ? « Que s'est-il passé lors de votre évasion ? »

 Il inspire et penche la tête sur le côté. Seldi l'a mis un million de fois en garde contre ce genre de questions, parce qu'elles sont dangereuses et qu'il aime trop parler, parce qu'elles tirent de lui toutes les informations utiles.

 « Cela nous occupera jusqu'à vous puissiez nous dire quel vent nous portera.

 — Je ne…

 — Eh bien racontez-nous tout ce que vous pouvez, dans ce cas. »

 Un regard vers le barde, qui semble avoir compris.

 Kriost sait des choses qu'ils ne peuvent pas encore savoir. Pas tant qu'il ne sait pas lui-même.

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