Kael avançait à pas lents, mais son regard doré brûlait encore.
Les ténèbres ne l'écrasaient plus.
Elles reculaient.
Pour la première fois depuis longtemps, il ne se sentait plus prisonnier d'une obscurité sans fin.
Un regain de détermination vibrait dans ses veines.
Ses pas résonnaient contre la pierre, lourds mais assurés.
Le couloir qui s'étirait devant lui avait des allures de donjon : murs épais, froids, taillés grossièrement, comme dans un château ancien.
Il inspira profondément.
Oui.
Ça ressemblait à un couloir de jeu vidéo.
Et c'est à ce moment que Thana, toujours perchée sur son épaule, parla.
Sa voix hésitante brisa le silence :
— Dis-moi... Kael... est-ce que... ce ne serait pas... un... "donjon" ?
Kael cligna des yeux, interloqué.
Thana poursuivit, maladroite, en cherchant ses mots comme si elle s'essayait pour la première fois à une langue étrangère :
— Tu sais... un endroit où il faut... "farmer"... comme dans le jeu auquel j'avais joué avec Lyana.
Kael la fixa, un instant interdit.
Puis un souffle presque amusé lui échappa.
Il ne s'attendait pas à ça.
Mais en un sens, elle n'avait pas tort.
La quête parlait d'âmes enchaînées à libérer.
Des objectifs répétitifs.
Des bonus à l'infini.
Oui... ça ressemblait exactement à ce qu'elle décrivait.
— Tss... on dirait bien ça, marmonna-t-il, un rictus au coin des lèvres.
Il raffermit sa prise sur ses émotions, l'or de ses yeux luisant contre la pierre.
Un "donjon", donc.
Et il comptait bien le vider jusqu'au dernier souffle d'ombre qu'il contenait.
Kael avançait, l'Œil de Nyx toujours ouvert.
Dans son champ de vision doré, les ténèbres n'étaient plus homogènes.
Elles pulsaient.
Des filaments de Magia couraient le long des murs de pierre, invisibles pour un œil normal.
Il fronça les sourcils.
— La densité augmente.
Thana confirma d'un hochement de tête, sa petite silhouette vibrant légèrement.
— Tu sens bien... ça converge quelque part, plus bas.
Ils suivirent le flux silencieux, chaque pas les enfonçant un peu plus dans le couloir humide.
Le sol devint inégal, les dalles fendues laissant s'échapper de fines traînées de brume sombre.
Puis, soudain, l'espace s'élargit.
Le couloir déboucha sur une vaste salle.
Kael se figea au seuil.
Devant lui s'étendait un banquet.
Une longue table de pierre, dressée mais brisée par le temps, sur laquelle reposaient encore des coupes ébréchées, des assiettes fendues.
Et autour...
Des silhouettes spectrales.
Assises.
Immobiles.
Leur corps translucide se tordait au rythme de leur souffle inexistant.
Des convives éternels, figés dans un festin sans fin.
Le silence n'était interrompu que par le grincement de chaînes invisibles.
Un poids lourd, oppressant, saturait l'air.
Kael sentit son instinct hurler.
Il n'avait pas encore mis un pied dans la salle, mais déjà, il savait : ces spectres n'étaient pas là pour être approchés.
Leur corps translucide se tordait au rythme de leur souffle inexistant.
Des convives éternels, figés dans un festin sans fin.
Le silence n'était interrompu que par le grincement de chaînes invisibles.
Un poids lourd, oppressant, saturait l'air.
Kael sentit son instinct hurler.
Il n'avait pas encore mis un pied dans la salle, mais déjà, il savait : ces spectres n'étaient pas là pour être approchés.
...
— Attends.
La voix de Thana claqua dans son esprit.
Elle se redressa sur son épaule, le halo de son corps minuscule vibrant d'un trouble palpable.
— Tu ne réagis pas... murmura-t-elle, presque incrédule.
Comment tu peux rester ainsi, comme si leur présence ne t'écrasait pas ?
Kael fronça les sourcils.
Il allait répliquer, mais elle poursuivit, plus vite, plus chaotique :
— Non... je comprends. Tes yeux ne sont pas complètement éveillés. Ils perçoivent... mais pas encore assez.
Alors... voyons si je peux...
Un éclat sombre jaillit de sa paume minuscule.
Il glissa dans la pupille dorée de Kael.
Et tout bascula.
Les spectres cessèrent d'être de simples silhouettes translucides.
Leurs contours explosèrent en une marée de Magia brute.
Une densité écarlate, oppressante, saturant chaque recoin de la salle.
Kael suffoqua.
Son ventre se contracta.
Et il vomit, violemment, incapable de supporter la vision.
Ces choses n'étaient pas des âmes.
C'étaient des abominations.
Leur existence même hurlait contre la logique.
Thana serra les lèvres.
Sa voix résonna, plus calme, comme pour poser des repères dans le chaos :
— Pour comparer... le chien du premier étage avait vingt fois moins de densité que l'un d'eux.
Tu comprends ? Même ces "spectres" écrasent déjà l'échelle.
Kael, encore plié, tenta de reprendre son souffle.
Et Thana ajouta, avec un sourire amer, presque ironique :
— Mais il y a une faille. Ils n'agissent que contre les êtres organiques.
Un non-organique peut les traverser, ou même les attaquer... et ils ne réagiront pas.
Kael releva lentement la tête, encore tremblant.
Le contraste l'assaillit de plein fouet : une horreur indicible, mais avec une faille grotesque.
Il inspira, essuya le sang au coin de ses lèvres.
La Tour ne se contentait pas de broyer.
Elle se moquait aussi.
Ils se retirèrent du seuil de la salle.
Kael s'adossa contre le mur glacé du couloir, une main sur l'estomac, encore secoué par ce qu'il venait de voir.
Le goût acide lui remontait dans la gorge, mais il força sa respiration à se calmer.
Un silence pesa.
Puis Thana prit la parole, plus posée qu'auparavant, comme pour détourner son esprit du choc :
— On ne peut pas rester là.
Elle désigna la salle de banquet d'un mouvement discret.
— En longeant le mur ouest, nous pourrions atteindre la grande porte, là-bas... regarde.
Kael leva les yeux.
Même à distance, il distinguait les lourds battants de pierre, partiellement dissimulés par l'ombre.
Devant eux, un escalier plongeait vers les profondeurs.
Thana reprit, avec un calme presque logique :
— Si nous cherchons vraiment des geôles, il n'y a qu'un endroit où elles peuvent se trouver.
Le plus bas possible.
Kael essuya ses lèvres d'un revers de main, son regard encore brûlant d'or.
Il inspira profondément, et hocha la tête.
Descendre, donc.
Kael reprenait lentement son souffle.
Ses mains encore tremblantes s'étaient crispées sur ses genoux, comme s'il devait s'ancrer pour ne pas vaciller à nouveau.
Thana, elle, observait toujours la salle, ses yeux brillants d'un éclat analytique.
— Tu dois comprendre une chose, dit-elle enfin.
Ces spectres ne fonctionnent pas comme les autres créatures que tu as affrontées.
Kael tourna légèrement la tête vers elle, le front encore perlé de sueur.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Ils ne se soucient pas de l'odeur.
Ni de la vue.
Ni de l'ouïe.
Elle marqua une pause, sa voix plus basse encore :
— Leur existence est fixée sur un seul paramètre. Si tu franchis leur périmètre, alors ils attaquent. Et leur offensive est... fatale.
Kael resta silencieux, ses yeux dorés rivés sur les silhouettes attablées.
Il comprenait.
Le danger n'était pas dans leur apparente immobilité, mais dans cette limite invisible qu'il ne devait jamais franchir.
Kael resta encore un instant immobile, ses yeux dorés fixés sur la salle de banquet.
Les spectres ne bougeaient pas.
Le festin éternel continuait, comme si leur simple présence suffisait à maintenir ce lieu enchaîné à la Tour.
Thana rompit le silence, sa voix plus posée, plus tranchante :
— Si nous longeons le mur ouest, nous pourrons atteindre la porte. Et derrière, il y a un escalier.
Elle le fixa, certaine de son raisonnement.
— Si des geôles existent dans cet étage, elles se trouvent forcément plus bas. Toujours plus bas.
Kael serra les poings, la mâchoire crispée.
Son corps encore secoué du choc, mais son esprit déjà prêt à plonger.
Il hocha lentement la tête.
Et son regard s'ancra dans les ténèbres, là où l'escalier les attendait.
Descendre.
C'était la seule voie.
