Le silence retomba dans la salle, presque étouffant.
L’orbe flottait toujours devant lui.
Kael l’observait, immobile.
L’arme n’était pas tombée.
Elle était née, là, dans l’air, entre les vibrations de l’espace.
Une chaîne d’un noir mat s’était formée, maillon après maillon, mouvante, insaisissable —
au bout de laquelle flottait une lame courbe.
Pas une faucille.
Pas une Faux.
Quelque chose d’entre-deux.
D’indéfini.
Presque... désaccordé.
Elle semblait attendre.
Lorsqu’il tendit la main,
elle s’enroula autour de son bras.
Pas violemment.
Mais avec une précision presque organique.
Un contact tiède, pulsant.
Une respiration inversée, comme si l’objet l’analysait.
Puis un clic discret —
imperceptible pour les autres —
comme une signature cosmique.
La chaîne se resserra à son poignet,
et la lame descendit, suspendue.
Quelqu’un chuchota, plus loin :
— C’est pas normal, ça.
Adam, plus loin, fronça les sourcils.
Gravyor éclata d’un rire nerveux.
— J’veux pas de saloperie pareille, moi.
Même Veda — habituellement impassible — recula d’un pas.
— On dirait… que c’est vivant.
Kael, lui, ne disait rien.
Mais il sentait quelque chose.
Un frémissement dans sa peau.
Une réponse dans son sang.
Et le regard du Guide, posé sur lui.
Longtemps.
Trop longtemps.
Une seule phrase s’échappa, froide, sans émotion :
— Félicitations. Vous êtes le premier à éveiller une arme spirituelle. Pour être plus précis… votre arme est, en quelque sorte, vivante.
Puis… plus rien.
Le Guide détourna les yeux.
Le silence ne reprit pas totalement.
Il se transforma.
Un murmure diffus, fait de soupirs, de regards évités, de mots à peine chuchotés.
Kael n’avait pas bougé.
Son bras toujours enchaîné,
la lame suspendue au bout du kusarigama semblait le regarder.
— Vivante… sérieusement ?
souffla Veda, le regard fuyant.
Son orbe s’était scindé,
projetant devant elle un arc composite d’un noir cendré,
orné de petites sculptures mécaniques mouvantes.
Mais il n’avait ni corde visible…
ni flèche apparente.
Juste une impulsion.
Et un frisson quand elle le fixait trop longtemps.
— J’sais pas pour vous, mais c’est pas normal, hein,
lança Gravyor.
Son arme — ou ce qu’on pouvait appeler ainsi —
prenait la forme de deux gants noueux,
presque primitifs,
faits d’un cuir pâle et d’éclats osseux.
Dès qu’il les enfila,
un réseau de lignes sombres courut le long de ses bras jusqu’à l’épaule.
Il éclata d’un rire bref, tendu.
— Si ça me bouffe le bras, j’vous jure…
Plus loin, Narcisse — la fille de bonne famille —
s’éloigna d’un bond de l’arme qui l’avait choisie.
Une sphère de verre liquide,
lévitant à hauteur de front.
Des fragments de symboles alchimiques y dansaient en silence.
— Ce n’est pas une arme,
c’est une énigme !
Je suis ici pour lancer des sorts, pas… interagir avec ce truc.
Kiyoshi, le moine, gardait le silence.
À ses pieds : un daibo finement sculpté, reposant à l’horizontale,
encerclé par un anneau de clochettes qui ne tintaient pas.
Il joignit les paumes, inclina légèrement la tête,
mais ne toucha pas encore l’arme.
— C’est quoi ce bordel…
murmura Adam, entre ses dents.
Ses mains tenaient deux dagues jumelles,
fines, parfaitement symétriques.
Mais…
il n’arrivait pas à les séparer.
Une fine chaîne invisible semblait les maintenir liées tant qu’il les fixait.
Et dès qu’il détournait le regard, elles vibraient.
Il regardait Kael.
Puis le Guide.
Puis Kael encore.
Ses doigts se crispèrent.
Le Guide, resté au centre,
laissa planer une réponse silencieuse.
Le Guide laissa le silence s’installer,
le temps que chacun apprivoise — ou redoute — son nouvel outil.
Puis il parla.
D’un ton neutre,
comme s’il dictait une règle mathématique :
— L’usage d’une arme ne garantit pas sa maîtrise.
Il y eut un bref frisson dans la salle.
— Ce que vous tenez entre vos mains est le reflet brut de votre potentiel.
Rien de plus.
Rien de moins.
Il leva lentement la main droite.
Trois doigts gantés s’élevèrent.
Petit rappel pour ceux ayant des problèmes de compréhension majeurs,
ou plus communément appelés chez vous « abruti » ou « idiot ».
Donc :
— Pour chaque étage : trois types d’objectifs.
Objectif principal : il permet d’avancer.
Objectif secondaire : il enrichit.
Objectif caché : il transcende… ou détruit.
Son bras retomba, net.
— Si vous terminez un étage avec tous les objectifs complétés du premier coup,
vous obtiendrez une récompense spéciale…
Un très léger sourire se dessina dans sa voix,
imperceptible dans son masque.
— …et un indice pour l’objectif caché du niveau suivant.
Il fit un pas vers l’arche massive au fond de la salle.
— Ce niveau est censé être un sanctuaire.
Pas d’ennemi.
Pas de piège.
Il tourna légèrement la tête.
— Pourtant…
Un silence.
— Il contient, lui aussi, un objectif caché.
Personne ne bougea.
— Libre à vous de le chercher.
Ou de l’ignorer.
Sa voix devint plus lente.
— Mais…
je vous conseille de ne pas toucher à ce que vous ne comprenez pas.
Le silence s’étira.
Trop longtemps.
Presque artificiellement.
Puis…
— Heu… c’est quoi ce truc ?
Un jeune homme, un peu trop nerveux,
s’était approché d’un orbe rougeoyant,
flottant à quelques mètres du centre.
Elle pulsait lentement,
enfermée dans une cage de verre quasi invisible.
Sa surface brillait comme une braise contenue,
mais sans chaleur.
— C’est bizarre, non ?
On dirait… un trophée ?
Il s’était penché.
La lumière rouge se reflétait dans ses yeux.
Le Guide ne bougea pas.
Pas un mot.
Pas un geste.
Juste… l’immobilité absolue.
— Elle est pas indiquée sur la carte…
Une autre voix, plus lointaine,
celle d’une fille cette fois.
Elle s’était approchée.
Puis reculée presque aussitôt.
— Ça me donne la chair de poule.
Mais le jeune homme, lui,
n’eut aucune prudence.
Ni respect.
Il tendit la main.
Puis frappa.
Un coup sec.
La sphère se fissura.
Le Guide tourna lentement la tête vers lui.
D’un ton neutre,
presque las :
— Objectif caché activé.
La sphère explosa.
Un souffle noir parcourut l’immense salle.
Le sol vibra.
Les murs-reflets se gondolèrent,
puis… changèrent de teinte.
Du blanc.
Au gris.
Puis au rouge sombre.
Des cris fusèrent.
Certains reculaient.
D’autres hurlaient sans comprendre.
L’air lui-même devint plus lourd.
Plus dense.
Un cercle noir se dessina sous chacun d’eux.
Kael tenta de bouger — en vain.
Ses jambes refusaient d’obéir.
Un vertige sourd naissait dans sa poitrine.
Le Guide leva lentement les bras.
Sa cape ondula,
comme saluant un vieux rituel oublié.
— Bienvenue dans le tutoriel…
Un soupir.
— …mode Enfer.
Aussi connu sous le nom des Neuf Cercles.
Il s’inclina.
Lentement.
Presque cérémonial.
— Bonne chance à vous, mes petits oisillons.
La porte du premier étage métamorphosé se mit à pulser.
Une force invisible commença à les aspirer,
un par un.
Même les plus forts,
même les plus aguerris,
ne purent résister.
Ils luttaient.
En vain.
Un à un,
ils furent happés.
Comme engloutis par un vortex infernal.
Et l’Enfer,
enfin,
les avala.
Dans l'appartement,
le silence pesait.
Le monde semblait figé.
Une odeur de soufre,
à peine perceptible,
se glissa dans l’air.
Puis,
sans avertissement,
Thana chancela.
Elle leva les yeux.
Son regard se durcit.
— Il… vient de franchir la frontière.
Une fissure invisible parcourut son corps.
Ses pieds s’effritèrent,
puis ses jambes.
Son corps se désintégra lentement
en cendres volcaniques,
balayées vers un point fixe.
Une voix,
à peine audible,
gronda dans l’appartement vide :
— Tch… cette idiote est partie en Enfer sans moi ou quoi… ?
Elle disparut totalement.
Absorbée.
Rappelée.
Invoquée.
Vers lui.
