La nuit s’était installée dans la forêt de Morval.
On entendait le chant des hiboux porté par la brise fraîche d’un soir de printemps.
À travers les arbres, on apercevait la lumière vacillante des flammes dans la cheminée du chalet du père et du fils.
Mais, contrairement à l’habitude, aucun cri de protestation ne résonnait. Le mauvais perdant ne râlait pas.
L’invincible gagnant n'était pas non plus là, hilare, savourant sa victoire depuis sa chaise en regardant son fils s’énerver.
Il n’y avait ni vacarme, ni éclats de voix.
Rien que le silence.
Seul le craquement du bois dans l’âtre rythmait l’ambiance pesante.
Elric était assis face à la cheminée, les deux lettres laissées par son père serrées dans la main.
Son regard perdu dans les flammes, il ruminait.
— Ce vieux fou… il a osé m’abandonner… Quel père indigne… Je vais le tuer…
Il répétait ces mots, les yeux écarquillés, l’esprit tourmenté.
Puis, il poussa un hurlement de rage, brisant la quiétude de la nuit.
— Je vais le retrouver… et le battre à mort.
Animé d’une rage brûlante, il prit le coffre et se dirigea vers la forge.
Là, il saisit l’épée forgée par son père et la contempla longuement.
— Pourquoi cette épée surpasse-t-elle toutes celles que j’ai forgées ?
— Qu’est-ce qui manque aux miennes ?
Il resta là, silencieux, à méditer.
Une voix du passé résonna dans son esprit — celle de son père, un jour où il avait brisé l’une de ses épées.
« Tes épées sont belles… mais elles n’ont aucune âme. Même le meilleur métal ne peut rivaliser avec une lame imprégnée de volonté. Jusqu’à présent, aucune de tes armes n’a eu assez de volonté pour surpasser la mienne. »
Elric grimaça.
— Pourquoi je pense encore à ce père indigne ?!
— Donner une âme à une épée… Qu’est-ce que ça veut dire, bon sang ?!
Il se tira les cheveux, exaspéré.
— Il arrive même à m’agacer quand il n’est pas là...
Il secoua la tête.
— Je n’y arriverai pas en restant là à me torturer l’esprit.
Il attrapa son marteau. Le feu de la forge brûlait encore.
Il posa le métal, le chauffa, et commença à frapper.
Clang. Clang. Clang.
Des étincelles jaillirent.
Dans son esprit, une seule obsession : briser enfin l’épée de son père.
À chaque coup, il revoyait ses échecs. Chaque frappe était un cri, un refus d’abandonner.
« Cette fois, ce sera différent », se disait-il.
Mais au fond, ce n’était pas une certitude. Juste un espoir.
Après des heures de travail, vint le moment de vérité.
Il prit sa nouvelle lame et la fit s’entrechoquer avec celle de son père, les yeux clos.
Clang…
Il ouvrit lentement les yeux.
Son épée était couverte de fissures.
Il la fixa, puis la jeta.
Un instant, il pensa abandonner. Utiliser simplement celle de son père.
Mais une image le stoppa net : celle de son père riant de sa lâcheté.
— Ça ne se passera pas comme ça. Mon épée surpassera cette maudite lame.
Une lueur nouvelle brûlait dans son cœur.
Il remit du bois dans la forge.
Une nouvelle détermination l’habitait.
Parviendra-t-il, cette fois, à forger l’arme qui le délivrera de ses échecs passés…?
