Ficool

Chapter 13 - Bienvenue au Tournoi des Flammes.

 Kriost a chaud, depuis deux bonnes semaines maintenant. Peut-être trois ? Il n'en est plus tout à fait sûr. Les jours s'enchaînent et, confiné dans l'une des cabines d'un assez gros chaland, il n'a pu observer le monde alentour que par le biais d'un hublot donnant sur les plaines de l'Incendie. Seldi lui avait promis un voyage en première classe, le tout sur mesure et… et il n'aurait jamais dû la croire. Il était pourtant si heureux !

 Visiter la grande cité de Catarphone, assister au non moins célèbre Tournoi des flammes et vivre une traversée superbe à la découverte des méthodes de navigation fluviale et des villes toutes aussi fluviales qui bordent l'Ardent… Ç'aurait vraiment été parfait.

 Ce à quoi il ne s'attendait pas, c'est que les marins — si l'on peut nommer ainsi un simulacre d'équipage plus chargé de nourrir des bêtes que de dompter les vagues et le vent — l'enferment dans sa cabine. Une lettre l'y attendait. De Seldi, évidemment.

 C'est pour ta sécurité, et éviter que tu dévoiles au moindre pélot que tu es le Kriost Düsud, le vingt-sixième Porte-voix de ton clan, frère et fils de matriarches.

 Au fond, elle a eu raison, et il le sait… Mais l'heure n'est pas encore à la reconnaissance des mesures prises en anticipation.

 Quelques livres, une couchette, un lavabo serti d'un cristal d'eau et de très probables cristaux de chaleur incrustés entre les couches de bois pour limiter ses pouvoirs. Ils ont fait fort, il ne peut pas le leur enlever.

 Et donc Kriost a chaud. Affalé à même le sol de sa couchette, il désespère d'arriver. On lui avait promis un voyage d'une semaine — et demie, au plus ! Et comme il devait atteindre Catarphone au premier jour du tournoi, il ne sait même pas combien il en a loupé. D'autant que ces foutus marins s'arrangent pour lui livrer ses repas lorsqu'il dort. Ça aussi, ce doit être un coup de Seldi.

 Le temps s'étire un peu plus, quelques secondes deviennent minutes et une ombre glisse sur le visage du jeune. Il ouvre les yeux, sourit à la maison de pierre grise qui passe par le hublot. Il se lève, sourit plus encore : les maisons sont nombreuses et forment des rues, de grosses pierres grises irrégulières forment des quais et des badauds vaquent à leurs occupations, sortent de boutiques, se hèlent entre amis pour se rejoindre et discuter.

 Enfin ! Enfin Catarphone, ses immenses bâtisses grises et son peuple tout en hardiesse et en feu. Ils sont grands, bruns dans la grande majorité, hirsutes ou bien peignés, buste relevé et sourire fier, chargés d'une vie que l'on ressent jusque dans leur manière de marcher. Toutes et tous n'appartiennent évidemment pas à la description, mais le regard de Kriost ne se fige pas sur ceux qui y dérogent. Pas encore.

 C'est sa première fois dans les terres de l'Incendie et, pour l'heure, c'est de la vision des guerrières et chevaliers qu'il veut s'abreuver. Haaa. L'agacement et la chaleur disparaissent tandis que l'embarcation passe un pont sous lequel est gravée une bataille épique. Kriost n'en voit qu'une partie, où sont alignés des centaines de guerriers hétéroclites. Guidés par une femme armée d'une guisarme monstrueuse, ils marchent vers un ennemi que Kriost ne peut pas voir, même en collant son nez sur le hublot, le regard à la limite de la révulsion arrière.

 Il faudra qu'il revienne pour voir le reste.

 L'avancée continue, les maisons grossissent et les pierres des quais sont de plus en plus régulières. La masse de personnes s'épaissit, elle aussi, mais très peu si l'on doit la comparer à celles de Rowenia ou Oceus qui s'agitent perpétuellement sur les bords de fleuve, de jour comme de nuit. Ils approchent pourtant du cœur de la cité, de l'endroit même où se trouvent le plus de monde et… oh non. Non, non non non, non. Ce doit être un combat important qui se tient aujourd'hui. Ils sont probablement déjà tous au Colisée !

 L'énervement teinte immédiatement Kriost, qui s'assied, rageur, sur sa couchette. L'émerveillement n'étouffant plus l'impatience, il vérifie l'ensemble de ses affaires et entame de les ranger. Trois fioles de sa mère, quelques vêtements, la lettre de sa sœur, sa gourde et sa bourse. Une dague et un anneau de Naïade, juste au cas où. D'autant plus que Kristal a refusé qu'il embarque son Léviathan. Trop voyant, apparemment.

 Quelques autres minutes passent — Kriost perdu entre la joie, l'énervement, l'impatience, la reconnaissance et l'expectative —, le navire s'immobilise. Des cris explosent, mais il ne parvient à comprendre ce qui est dit et la porte menant aux cabines s'ouvre. Une voix de femme emplit immédiatement l'espace.

 « Vous avez fait quoi ?!

 — Je… Mais c'est-à-dire que… »

 Le marin hésite énormément… Kriost fronce les sourcils. Non. Il craint la personne à qui il parle.

 « Ce sont elles qui m'ont dit de faire comme ça !

 — Qui ça, elles ? »

 La femme a la voix ferme et assurée. C'est elle qui dirige. Elle le sait. Les autres le devraient.

 « Eh bien ?

 — Les… » Il baisse la voix. « Les sorcières… »

 Et la femme répond d'un rire sincère. L'oreille plaquée contre la porte de sa cabine, Kriost sourit. Il l'aime bien celle-ci. Le marin rejoint rapidement la femme, probablement plus surpris qu'autre chose, et elle s'arrête immédiatement de rire.

 « Vous savez qui je suis, n'est-ce pas ?

 — Ou… oui.

 — Et vous savez que je suis celle censée le récupérer.

 — Oui…

 — Alors, donnez-moi cette foutue clef et arrêtez de me faire perdre mon temps. C'est le jour des demi-finales, bon sang de Vaslforth ! »

 Demi-finales ? Non… C'est impossible. Il a dû mal entendre. Les premières années sont une quarantaine et donc, s'il ne se trompe pas, plus d'une quinzaine de combats seraient déjà passés ? Non, ce n'est pas possible. Qu'a-t-il bien pu faire au Voyageur pour mériter cela ?

 Les bruits d'une armure métallique approchent et interrompent les réflexions de Kriost. Il recule de la porte, qui s'ouvre l'instant d'après. Une armure dorée et une cape blanche, de longs cheveux d'or et un regard de feu tant dans sa fierté que sa couleur. Edora, il sait que c'est elle, a les traits plus durs que ce à quoi il s'attendait. Elle ouvre la bouche, mais il s'incline légèrement pour la devancer :

 « C'est un immense honneur que vous me faites en m'invitant, Edora de Calastille. » Kristal a été claire : tous les égards lui sont dus. « Je tâcherai de vous montrer toute ma gratitude.

 — Redressez-vous, Porte-voix. »

 Un froncement de sourcil, qu'il ne contrôle pas. Il n'a jamais aimé qu'on l'appelle par son titre. « Êtes-vous prêts ? » Directe, tout comme l'a décrite Seldi. « Je ne veux pas vous presser, mais vous deviez arriver il y a plus d'une semaine et… »

 Elle s'interrompt tandis qu'il récupère ses affaires, glisse la dague à sa ceinture et l'anneau à son index droit.

 « J'ai entendu, allons-y. »

 Il lui sourit et elle fronce légèrement les sourcils, avant de sourire elle aussi.

 Ils traversent le couloir, sortent des cabines et descendent du navire. Une petite calèche en bois sombre les attend, sur le départ. Kriost prend néanmoins un instant, juste un, pour s'imprégner des bruits de la cité, des six tours qui la ponctuent, de la lumière du milieu de matinée qui ne parvient pas à percer les nuages que crachent les forges ; puis vient l'odeur, un mélange étrange de soufre et de charbon, qui arrache au jeune une grimace écœurée.

 Edora se tourne, une lueur amusée dans le regard.

 « Rassurez-vous, toute la ville n'est pas ainsi. »

 Elle l'invite à monter d'un mouvement de tête et il s'exécute. Si l'extérieur de la calèche ne payait pas de mine, ça n'est clairement pas le cas de l'intérieur. Bois sombre, lustré, fauteuils en velours rouge et aux coussins bien rembourrés. En face de l'entrée se trouvent des armoiries gravées dans une plaque en or : un encrier et une dague enroulée dans un parchemin. Il y a même un petit cristal de lumière incrusté dans le plafond.

 Il s'installe dans le sens de la route et Edora devant lui.

 « Avez-vous fait bon voyage ? »

 À son timbre hasardeux, il sait qu'elle sait. Ou du moins qu'elle se doute. Il va pour vomir son énervement, mais se rappelle juste à temps des demandes de sa sœur : traiter Edora avec respect, obéir à ses règles et demandes, tout faire pour ne pas l'agacer outre mesure. Il soupire.

 « Disons presque. Ç'aurait évidemment pu être mieux… Mais ç'aurait surtout pu être pire. Merci. » Nouveau soupir avant de se rappeller. « Oh, tenez. »

 Il fouille son sac, en sort la lettre de sa sœur, qui n'est presque pas froissée, et la tend à la capitaine :

 « Il était plus simple de vous faire parvenir ce message par moi que par oiseaux. »

 Ils se sourient, puis Edora tire un petit couteau d'un tiroir sous la banquette. Kriost comprend immédiatement et laisse glisser son regard de la capitaine vers la fenêtre à sa gauche. Il n'y a pas à dire, les murs colorés de la République sont bien plus engageants que la pierre gris sale… Mais Kriost perçoit quelque chose de puissant dans les rues pavées et les portes renforcées qui l'entourent. Les maisons, la cité elle-même ! Tout ici est fait pour pouvoir être défendu, au contraire du Maelstrom où l'on se bat toujours, ou presque, sur l'océan.

 Il souffle du nez, satisfait.

 « Nous sommes presque… »

 Mais Kriost ne l'écoute pas. Le Colisée est apparu et une carpe géante faite de foudre vient d'être dévorée par un phénix gigantesque. Son vol l'a guidé de l'intérieur du Colisée vers la carpe, puis en rase-mottes au-dessus de la ville. L'oiseau hurle puissamment avec d'exploser en une constellation de petites flammes avalées dans le vent, pour le plus grand plaisir du garçon.

 « Nous sommes arrivés, Kriost Düsud. Bienvenue au Tournoi des flammes de Catarphone. »

 Il se tourne vers Edora, voit son fin sourire et, plus sincèrement qu'auparavant, il lui dit :

 « Encore merci pour votre invitation, Edora de Calastille. »

 Et elle fronce légèrement les sourcils, comme surprise par la déclaration. Il se détourne alors d'elle pour observer un peu plus le Colisée qui approche.

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