Se pourrait-il que ce garçon se cogne la tête en trébuchant tout à l'heure ? Je l'observe, perplexe. Quelque chose en lui me trouble. Il me donne une impression familière que je ne m'explique pas. C'est comme si nous étions proches, comme si un lien invisible nous unissait. Mais pourquoi dit-il des bêtises pareilles ? Pourquoi m'appelle-t-il maman ? C'est n'importe quoi ! Comment pourrais-je avoir un fils sans jamais l'avoir su ? Comment pourrais-je ne pas le reconnaître ?
Je reste là, face à lui, incapable de comprendre ce qui se passe. Pourtant, sûr de lui, il m'attrape la main. Son geste est tendre, presque hésitant, mais chargé d'une chaleur inexplicable. Son regard doux plonge dans le mien. On dirait qu'il veut me dire : "Fais-moi confiance… je ne mens pas. Ne t'en va pas."
Ces yeux… oui, ces yeux me semblent familiers. C'est étrange. C'est comme si je les avais déjà vus, comme si j'étais habituée à les regarder chaque jour. Mais impossible de me souvenir où. Ce souvenir invisible me glisse entre les doigts. Un mystère que je n'arrive pas à percer. Et pourquoi apparaît-il maintenant, ici, comme sorti de nulle part ?
Si j'avais réellement un enfant… Rensley me l'aurait dit. Il ne m'aurait jamais caché quelque chose d'aussi important. Donc ce garçon ment. Il doit être manipulé par quelqu'un. Ou pire… être un imposteur. Cette idée me traverse si brusquement que mon cœur se serre. Le doute m'envahit, lourd, oppressant. Je le fixe, puis un déclic se fait dans ma tête.
— Ooooh… maintenant je vois !
Je m'approche doucement de lui et me baisse pour être à sa hauteur. Mon ton se veut calme, presque rassurant, mais une curiosité méfiante perce dans ma voix.
— Petit garçon… qui t'a envoyé ici ? Où sont tes parents ? Est-ce que… est-ce que c'est une sorte d'enlèvement ? À ton âge, être déjà mêlé à ça… tu es si jeune, pourquoi faire quelque chose d'aussi malveillant ?
Il fronce légèrement les sourcils et me répond d'une voix innocente, presque blessée :
— Maman… qu'est-ce que tu racontes ? De quoi tu parles ?
Je serre les dents. Ce mot — maman — résonne en moi avec une force étrange, mais je refuse de me laisser convaincre.
— On t'a forcé la main, gamin ? Tu es menacé ? Dis-le moi, je peux t'aider. Tu n'as pas besoin de jouer ce rôle.
Il secoue doucement la tête, toujours accroché à ma main.
— Non, maman… personne ne m'a menacé.
Son calme me déstabilise davantage. Je respire lentement, essayant de garder mon sang-froid.
— Où sont tes parents, alors ?
Il relève les yeux vers moi, et avec une assurance déconcertante, il dit :
— Elle est juste là.
Je cligne des yeux, surprise. Mon estomac se noue.
— Elle ? Qui ça, elle ? Je t'ai demandé où sont tes parents !
Il semble sincèrement ne pas comprendre ma réaction.
— Je n'ai pas de père, répond-il doucement. J'ai juste ma mère et ma grand-mère. Elles m'ont élevé toutes les deux.
Mon souffle se bloque.
Une seconde.
Deux.
Trois.
Je sens quelque chose glisser dans ma poitrine, comme une fissure qui s'ouvre. Ce garçon se tient devant moi, persuadé que je suis sa mère. Pas une hésitation dans sa voix. Pas une once de mensonge dans ses yeux.
Et pourtant… je ne le connais pas. Je suis certaine de ne jamais l'avoir vu. Mais alors pourquoi ai-je ce sentiment étrange, ce frisson le long de l'échine, comme si une partie de moi reconnaissait quelque chose ?
À ces mots, je le fixe longuement avant de lui demander, légèrement hésitante :
— Où… où sont-elles ?
Il n'hésite pas, répond avec un naturel déconcertant :
— Ma grand-mère achète quelques accessoires pas loin. Et moi, je me suis faufilé pour acheter un cadeau pour ma mère… parce qu'elle est sortie depuis quelques jours et elle n'est pas encore rentrée. Ma grand-mère m'a dit qu'elle est à l'hôpital, qu'elle a eu un accident. Mais elle ne veut pas que je la voie. La dernière fois qu'elle est allée la voir, elle m'a dit que ma mère ne s'était pas encore réveillée. Et là… maintenant… je te vois. Tu es réveillée. Et tu fais juste semblant de ne pas me reconnaître.
Ses mots me frappent comme une vague glaciale. Je déglutis difficilement.
Un accident ? Une mère dans le coma ? Un enfant livré à lui-même ?
Et au milieu de tout ça… moi ?
Je respire profondément et lui demande, presque à voix basse, comme si j'avais peur de sa réponse :
— Où est-elle, ta maman ?
Son regard s'ancre dans le mien. Son visage se ferme, déterminé. Sa voix devient ferme, presque accusatrice.
— La voici ! Elle est juste là, devant moi ! Et cette personne… c'est toi.
Il marque une pause.
— Toi, Maylidjy Bijoux.
C'est comme un claquement.
Mon nom complet, sorti de la bouche d'un enfant que je ne connais pas.
Un frisson remonte jusqu'à ma nuque.
Agacée, choquée, déstabilisée, je saisis sa main un peu brusquement.
— Tu t'es bien renseigné, hein ? Maintenant ça devient sérieux. Même les enfants se mettent aux arnaques. Il n'y a qu'une seule solution : le poste de police.
Il ne dit rien.
Il ne proteste pas.
Il ne cherche pas à fuir.
Il me suit… calmement. Obéissant. Comme s'il était certain que la vérité finirait par éclater d'elle-même.
Lorsque nous arrivons au poste, j'explique tout à l'agent de police. Celui-ci nous écoute attentivement, puis nous montre deux fauteuils. Nous nous asseyons face à lui. Après avoir entendu ma version puis celle du garçon, l'agent nous observe tous les deux longuement. Son regard passe de lui à moi, de moi à lui. Puis, à ma grande surprise, il hausse un sourcil et dit, d'un ton perplexe… et légèrement moqueur à mes yeux :
— Vous êtes sûrs que vous n'êtes pas mère et fils ?
En parfaite synchronisation, comme un écho involontaire, nous répondons :
— Pourquoi nous fixer ainsi ?
L'agent pointe doucement son stylo vers nous.
— Vous avez des traits de ressemblance. Et… vous avez exactement les mêmes expressions. Le même ton quand vous répondez. Sans doute qu'il ressemble davantage à son père… mais le sourire, la dentition… c'est identique. Comment pouvez-vous nier qu'il n'est pas votre fils ?
Je me crispe.
Je commence réellement à croire que cet agent fait partie du plan du garçon. Ou alors… il est aveugle.
Je me redresse, un peu agacée, mais je garde un ton maîtrisé :
— Monsieur l'agent… c'est impossible.
Il croise les bras, intrigué.
— Pourquoi serait-ce impossible ?
Je prends une grande inspiration et articule clairement :
— Parce que je ne le connais pas. Et je n'ai jamais été enceinte de qui que ce soit. Alors il m'est impossible d'avoir un fils. Monsieur l'agent, je vous le jure.
Il m'observe, visiblement déconcerté. Ses yeux se plissent légèrement.
— D'accord, d'accord… calmez-vous. On va clarifier tout ça.
Il pose son carnet sur la table.
— Je vais vérifier les identités. Donnez-moi vos noms complets.
Il me regarde.
— On commence par vous, Madame.
Je sens la tension dans l'air. Le garçon me regarde, les mains serrées sur ses genoux, comme s'il attendait une confirmation qu'il tient pour acquise. L'agent guette chaque réaction, chaque respiration.
Mon cœur bat vite, trop vite. Mais,
Je réponds d'un ton assuré :
— Maylidjy Bijoux.
L'agent hoche la tête, puis se tourne vers le garçon.
— Et vous, petit ?
Le gamin se redresse légèrement et répond, avec une douceur presque timide :
— Sleydjy Bijoux.
À peine a-t-il prononcé son nom que mon esprit se fige. Je cligne des yeux, interdite. La surprise me frappe si fort que je parle sans réfléchir :
— Tu vois comment ce garçon peut être le mien ? C'est abs…
Je m'interromps brusquement.
— Attends… quoi ? Qu'est-ce que tu viens de dire ? Répète ça ! Encore !
Le garçon me regarde avec un calme étrange, comme s'il avait attendu ce moment, comme si tout était normal pour lui. Puis, avec une petite voix mais une certitude inébranlable, il répète :
— Sleydjy Bijoux.
Un frisson glacé me traverse. Je m'entends lui demander :
— Comment… comment se fait-il que tu as le même nom de famille que moi ?
L'agent se racle la gorge avant de répondre d'un ton clair, presque évident :
— Cela signifie que vous êtes bien mère et fils.
Je secoue la tête immédiatement, refusant, rejetant, suffoquant presque.
— Impossible.
Non… non, non, non.
Impossible.
C'est alors que l'agent tourne l'écran de son ordinateur vers nous. Je me penche, malgré moi. Sur l'écran… mon nom. Mon identité. Mon dossier. Et juste en dessous, attachée comme une vérité implacable… l'identité de l'enfant.
Sleydjy Bijoux.
Fils : Maylidjy Bijoux.
Je sens mes mains trembler. Je recule de quelques centimètres, incapables de respirer normalement.
— Impossible… impossible… C'est vraiment impossible… je n'ai jamais… je ne peux pas…
L'agent, agacé par mon refus, frappe légèrement la table et dit d'un ton sérieux, presque autoritaire :
— Madame, écoutez-moi attentivement.
--- Mais Mr. L'agent S'il vous plaît écouté moi...
— Madame, j'ai du pain sur la planche.
La voix de l'agent claque comme un avertissement.
— Si vous avez l'intention de me faire perdre mon temps, sachez que je n'hésiterai pas à vous mettre en garde à vue.
Un frisson traverse mon dos. Pourtant, je ne lâche pas. Je sens la panique grimper, mêlée à une incompréhension profonde.
— Mais Monsieur l'agent, j'ignore vraiment les origines de ce garçon !
Ma voix tremble.
— Ce n'est vraiment pas mon fils !
Il lève les mains, excédé.
— Madame ! Sortez !
La peur me pétrifie. Je reste plantée là, incapable de bouger.
— Monsieur l'agent, s'il vous plaît… comprenez-moi.
Je m'accroche à la table comme à une bouée
.
— Je ne connais pas ce gamin. C'est peut-être une forme d'enlèvement !
L'agent laisse échapper un rire sec, sans joie. Il secoue la tête avec un mépris à peine caché.
— Les parents d'aujourd'hui… c'est donc ça ?
Il soupire lourdement.
— C'est comme ça que vous amusez vos enfants ? Faire du théâtre ? Vous croyez que je n'ai que ça à faire ?
Je sens mes yeux s'agrandir. Du théâtre ? Il pense vraiment que je plaisante ?
— Vous dépassez les bornes, Madame. En tant que policier, j'ai des choses importantes à régler. Je n'ai pas le temps de jouer à cache-cache avec vous.
Il me pointe du doigt.
— Cherchez un boulot, et envoyez votre fils à l'école. Ça vous empêchera de vous ennuyer et d'embêter les autres !
Je reste bouche bée. Je n'arrive même plus à protester.
Puis il se tourne vers un autre agent.
— Amenez-les.
Il soupire.
— Ils seront libérés sur caution, à la venue de l'un de leurs proches.
Je me sens humilée, impuissante.
Un autre policier nous escortes dans une petite salle froide, presque vide. Il nous tend un carnet.
— Un numéro pour contacter un proche.
Je donne celui de ma mère, nerveuse, espérant qu'elle répondra vite.
Sans que je m'en rende compte, le garçon donne le sien aussi.
Quelques minutes passent avant que l'agent revienne en fronçant les sourcils.
— Et pourquoi vous avez donné tous les deux… le même numéro ?
Mon cœur rate un battement.
Le même numéro ?
Avant que je ne comprenne quoi que ce soit, la porte s'ouvre. Ma mère apparaît, un peu essoufflée mais parfaitement calme, comme si elle savait exactement ce qui se passait.
Je me redresse, soulagée.
— Maman ! Merci d'être venue. Je…
Mais ma phrase meurt dans ma gorge lorsque le petit garçon court vers elle, un immense sourire aux lèvres.
— Grand-mère ! Te voilà enfin !
Je cligne des yeux.
Grand-mère ? Ma mère ? Non…
Il doit parler à quelqu'un d'autre.
Il doit confondre.
Je regarde derrière ma mère pour vérifier si une autre femme entre… mais il n'y a personne. Juste elle.
Et là…
Là, devant mes yeux…
Ma mère ouvre largement les bras, rayonnante comme je ne l'ai jamais vue depuis longtemps.
— Hé ! Mon enfant !
Sa voix est douce, chaleureuse, familière, pleine d'amour.
— Tu ne t'es pas fait mal ? Tu vas bien ?
Le garçon se jette dans ses bras comme s'il l'attendait depuis des heures.
Je sens ma respiration se bloquer.
Mes jambes faiblissent.
Ma mère connaît ce garçon.
Ce garçon l'appelle grand-mère.
Et elle le serre comme son petit-fils.
Je reste plantée là, pétrifiée, tandis que ma mère caresse les cheveux du garçon avec tendresse.
Je reste immobile, incapable de comprendre ce qui se passe. Tout semble tourner autour de moi. Le sol, les voix, même la lumière paraît vaciller.
Une pression violente traverse ma tête, comme si quelque chose essayait d'émerger de très loin. Des images floues surgissent dans mon esprit : des couleurs, des silhouettes, un rire enfantin… mais rien de clair. Rien que des fragments impossibles à assembler.
Je porte mes deux mains à ma tête.
La douleur pulse.
Je n'arrive pas à respirer correctement.
Ma mère s'approche aussitôt, affolée.
— Ma fille, tu vas bien ?
Elle pose ses mains sur mes épaules.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu as mal à la tête ? Réponds-moi ! Laisse-moi t'emmener à l'hôpital !
Je ferme les yeux une seconde, inspire… et la douleur retombe aussi vite qu'elle est venue. Comme si rien ne s'était passé.
Je me redresse lentement et fixe ma mère.
— Man… qu'est-ce qui se passe ici ? Tu… tu le connais ?
Ma mère fronce les sourcils, sincèrement déconcertée.
— Comment ça "si je le connais" ?
Elle pointe le gamin du doigt.
— Tu ne le reconnais pas, toi ?
Je secoue la tête, le cœur battant.
— Pourquoi devrais-je le connaître ? Qui est-il ?
Elle ouvre grand les yeux, bouche entrouverte, comme si je venais de dire la chose la plus absurde du monde.
— Comment ça tu ne le connais pas ?! Lidjy !
Sa voix tremble légèrement.
— Se pourrait-il que tu aies perdu la mémoire ?!
Je me redresse complètement, interdite, presque irritée.
— Perdu la mémoire ? Mais de quoi tu parles, Man ?
Elle me fixe, silencieuse, un mélange d'inquiétude et de peur dans les yeux.
— Perdue la mémoire ? De quoi tu parles, Man ?
Je la fixe, incrédule. Ma voix résonne dans le couloir du commissariat comme un écho qui cherche une réponse logique.
Ma mère soupire légèrement, mais ses yeux restent brillants d'inquiétude.
— Je suis sérieuse, Lidjy.
Sa voix tremble, comme si elle mesurait chacune de ses paroles.
Je fronce les sourcils, agacée mais sincère.
— Moi aussi, Mère, je suis sérieuse !
Je désigne le garçon qui nous observe, silencieux, l'air blessé.
— Tu connais ce garçon ? Et pourquoi il m'appelle "maman" ?
Le silence tombe d'un coup. Un silence lourd. Oppressant.
Ma mère baisse les yeux un instant, comme si elle hésitait entre vérité et prudence.
Je l'observe attentivement.
— Qu'est-ce qu'il y a, maman ?
Je sens mon cœur cogner contre ma poitrine.
— Dis quelque chose, s'il te plaît !
Dans ma tête, tout se mélange.
Je me répète qu'un enfant qui tente une arnaque ne peut pas être reconnu par tout le monde.
Oui, certains peuvent récupérer des informations personnelles… Oui, certains peuvent même avoir des complices… mais ma mère ?
Non. Impensable. Ma mère n'a jamais été mêlée à des histoires louches.
Pourtant, elle agit comme si… comme si je devais connaître ce garçon.
Comme si évidemment j'étais sa mère.
Je lui fais signe de la main, lentement, comme pour vérifier qu'elle est vraiment là, qu'elle ne délire pas.
— Mère ! Pourquoi tu ne dis plus rien maintenant ?
Elle lève brusquement les yeux vers moi, presque choquée.
— Lidjy ! Est-ce que c'est une farce que tu me fais ?
Elle hausse le ton, vexée.
— Si c'est le cas, j'espère que tu vas arrêter ton cirque tout de suite ! Venir jusqu'au commissariat pour faire tout ce scandale… ce n'est ni poli, ni agréable à voir.
Elle secoue la tête, indignées.
— Je suis déjà trop âgée pour supporter vos bêtises de jeunes !
Je reste bouche bée.
Elle est sérieuse.
Elle est vraiment sérieuse.
— Man ! Que racontes-tu ? Quel scandale ?
Je regarde autour de moi, perdue.
— Quelle scène ? Je ne connais vraiment pas ce garçon ! Il s'est peut-être trompé de personne, ou...
Je m'interromps soudain.
Une pensée me frappe comme un éclair.
— Attends…
Je fixe ma mère.
— Tu viens de l'appeler "ton fils", tout à l'heure. Pourquoi ? Ça veut dire quoi, au juste ?
Ma mère pince les lèvres, puis soupire longuement, comme si elle attendait ce moment.
— Quoi d'autre cela pourrait être ?
Elle me regarde droit dans les yeux.
— C'est ton fils, Lidjy.
Ses mots tombent comme une pierre dans mon estomac.
— Après ton coup à la tête, tu étais à l'hôpital. Tout indique que tu as perdu la mémoire. Peut-être que certains souvenirs sont encore flous. Mais cet enfant…
Elle pose une main sur l'épaule du garçon.
— …tu ne voulais pas que son père apprenne son existence. C'est tout.
Je sens le sol se dérober sous mes pieds.
— Perdu la mémoire ? murmuré-je.
C'est comme si je n'arrivais plus à respirer.
Ma mère s adoucit un peu. Son regard retrouve de la tendresse.
— Sortons d'abord.
Elle attrape son sac.
— J'ai déjà rempli les formalités. Rentrons à la maison. Je vais tout te raconter en chemin.
Je reste un moment immobile, désemparée.
Puis j'acquiesce lentement.
— D'accord, maman…
Elle me tend la main pour m'aider à me relever.
Je me lève doucement, encore étourdie.
Puis, dans un automatisme étrange, comme si mon corps agissait sans consulter mon esprit, je tends la main vers le gamin.
Il la prend avec naturel.
Comme si… comme si c'était normal.
Comme si c'était un geste que je faisais depuis des années.
Je déglutis difficilement.
Nous sortons de la petite salle, ma mère devant nous.
Une fois dehors, ma mère commence à me raconter quelques détails dont je ne me souvenais pas. Je l'écoute à moitié, mais soudain, sans raison apparente, ma tête recommence à me faire mal, exactement comme tout à l'heure dans la pièce. Sauf que cette fois, la douleur monte plus fort, plus vite. Ma vision se trouble, les contours du monde se déforment comme dans une brume épaisse. Je ferme les yeux pour retrouver mes repères, mais c'est là qu'une voix résonne soudain dans ma tête, claire et lointaine à la fois, comme si quelqu'un m'appelait depuis un autre espace.
— Lidjy ! Lidjy !
Je reconnais la voix de ma mère. Pourtant, elle résonne comme un écho amplifié, déformé, presque inquiétant. La pression dans mon crâne s'intensifie. Le son devient plus fort, plus imposant, comme si la voix tentait de me tirer hors de quelque chose.
— Lidjy, viens ici ! Il y a une voiture qui arrive !
Je l'entends, mais ma réaction tarde. Ses mots me parviennent de très loin, comme si j'étais plongée sous l'eau et que tout autour de moi avançait au ralenti. Je n'arrive pas à décider si je dois bouger, courir ou rester immobile. Mon corps ne répond plus, mes pensées s'éparpillent. Je sens à peine le vent, la présence des passants, l'agitation. Tout devient flou.
C'est alors qu'une autre voix s'élève, plus aiguë, plus affolée ,la voix du garçon, de Sleydjy. Elle se résonne dans ma tête avec une urgence qui me transperce.
— Maman ! Maman, fais attention !
Avant même que je ne comprenne ce qu'il se passe, je sens deux petits bras m'entourer brusquement et me pousser avec force. Le monde bascule. Mon corps est projeté en arrière, violemment. Je tombe au sol, mon crâne frappe le rebord du trottoir dans un choc sourd. La douleur explose, mais tout de suite après, c'est comme si mon esprit se déconnectait.
Des voix s'agitent autour de moi. Les passants crient, certains s'approchent, d'autres reculent. La voix paniquée de ma mère résonne à nouveau, mais cette fois à l'extérieur, plus proche, plus réelle. Elle nous appelle, moi et Sleydjy, sans s'arrêter, comme si sa voix pouvait empêcher le pire.
Et au milieu de tout ça, des images floues, lointaines, se forment dans ma tête. Elles deviennent nettes, soudaines, comme si une porte que j'avais gardée fermée trop longtemps s'ouvrait. Des souvenirs que je croyais perdus réapparaissent. Tout ce qui était parti revient, précis, ordonné. Je vois des visages, des gestes, des lieux. Je me rappelle de tout, comme si un verrou venait de céder.
Quand je reprends pleinement mes esprits quelques minutes plus tard, je cligne plusieurs fois des yeux pour stabiliser ma vision. J'aperçois ma mère non loin de moi, agenouillée sur l'asphalte, serrant Sleydjy dans ses bras. Elle le secoue légèrement, l'appelle encore et encore, complètement affolée. Son visage est déformé par la panique.
Elle ramène Sleydjy près de moi, sur le trottoir. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je comprends rapidement ce qui se passe. Le choc. La voiture. Le geste de Sleydjy. Sa petite silhouette tremblante. Et puis je vois le sang.
Il saigne.
Je me relève d'un geste brusque, malgré la douleur lancinante à ma tête. Je porte instinctivement ma main à ma tempe et sens l'humidité chaude de ma propre blessure. Mais je n'y prête aucune attention. Tout ce qui compte, c'est lui.
Je me penche sur Sleydjy, totalement paniquée.
— Sleydjy ! Regarde-moi, mon cœur ! Regarde-moi !
Ma voix tremble, se casse. Ma vision se brouille, mais pas à cause du choc : à cause de la terreur pure.
Ma mère pleure, étouffée par la panique. Les passants parlent tous en même temps, certains demandent de l'aide, d'autres crient qu'une ambulance arrive.
Et finalement, dans un hurlement de sirène strident, un véhicule arrive. Les portes s'ouvrent, les secouristes courent vers nous. Tout devient rapide, urgent, professionnel. Ils évaluent, parlent, prennent Sleydjy, me prennent aussi.
En quelques secondes, on nous installe dans l'ambulance. Ma mère monte avec nous. Les portes se referment. Le monde extérieur disparaît.
Et tout ce que je sais, c'est que nous partons à toute vitesse vers l'hôpital, dans une urgence qui me colle la peur au ventre.
