On l'avait tirée du lit au milieu de la nuit.
Le drap rêche encore collé à sa peau, Saphira ne résista pas. Elle savait que résister ne servait à rien. Depuis qu'elle avait huit ans, chaque geste de sa vie était décidé par d'autres. Depuis la mort de sa mère dans cette cour crasseuse, sous les coups d'un garde trop zélé. Depuis qu'on lui avait arraché jusqu'à son nom — elle ne s'appelait plus que "la fille muette".
Elle n'était pas muette. Mais elle avait compris très tôt que le silence protège mieux que les mots.
Un homme la traînait par le bras, un sac de jute à ses pieds. C'était tout ce qu'elle possédait. Deux robes, un peigne, et une lettre pliée mille fois qu'elle n'osait pas lire. La dernière de sa mère.
Ils traversèrent les rues du quartier ouvrier. Saphira ne pleurait pas. Elle fixait l'horizon, comme si quelque chose de plus grand l'attendait là-bas. Comme si, cette fois, ce n'était pas une punition.
— Tu vas bosser chez le Duc Alvar, lui cracha l'homme. Un dur. Si tu survis un mois, t'auras de la chance.
Elle ne répondit pas.
Ils arrivèrent devant un carrosse noir et or. Deux chevaux aux yeux fous piaffaient dans la brume du matin. Le cocher ne regarda même pas Saphira. Pour lui, elle n'était qu'une livraison.
Elle grimpa sans un mot.
Et dans le silence du voyage, alors que le paysage défilait, elle pensa à sa mère. À sa voix rauque. À ses doigts usés qui sentaient toujours la lavande volée. À cette phrase qu'elle répétait souvent, presque en chantant :
> "Un jour, tu deviendras le cœur de ce monde, même s'il t'a rejetée."
Saphira ferma les yeux. Peut-être qu'elle n'était pas née pour être aimée.
Mais peut-être que le monde finirait par la regretter.